Quand les vendeuses dictent leur loi aux automobilistes
On pensait que la lancinante question de l’occupation anarchique n’était ressentie qu’à Dakar. Mais ce n’est pas forcément le cas, car dans la capitale du Rail, la situation est également préoccupante. Et à Thiès, ce sont plus précisément les vendeuses de fruits et légumes, de beignets et autres denrées qui dictent leur loi aux automobilistes et piétons.
Des voies complétement occupées. Des marchandises étalées à même sol. Devant ces étales, des femmes. Elles vendent des fruits, légumes, poissons, beignets… Un désordre total. C’est le décor qu’offre le marché central de Thiès, communément appelé Sahm, en ce début de matinée. Dans ce lieu de rendez-vous commercial, chacun s’occupe de son petit commerce sans se soucier du désagrément causé. Où et comment doit-on déposer nos marchandises ? Des questions qui ne préoccupent guère ces vendeuses du marché central de Thiès.
Sahm est pris d’assaut très tôt le matin par ces femmes. Elles occupent toutes les voiries de ce marché à leur guise. Une occupation anarchique qui rend difficile la fluidité du trafic. Pendant les heures d’activités intenses, impossible d’emprunter les rues qui mènent à la gare Mont-Rolland et à la Cathédrale Sainte Anne. ‘’Je suis là depuis 8 h. C’est mon lieu de travail. J’y vends des fruits et légumes. C’est une activité que j’exerce depuis plus de dix ans. Depuis que je suis dans ce marché, je me débrouille tant bien que mal pour nourrir ma famille.
Mon mari travaillait dans une société de la place et il est à la retraite. Tant que je vis, je me battrai pour ma famille’’, soutient Ndèye Rama Ndiaye. Avec cette activité, elle réussit, ajoute-t-elle, à inscrire ses trois filles et ses deux garçons à l’école. Le marché Sahm, c’est son ‘’bureau’’ préféré. ‘’Les automobilistes n’arrêtent pas de nous tympaniser en nous disant que nous sommes à l’origine des nombreux bouchons. Je crois que ce n’est pas un endroit qui leur est réservé. Nous sommes dans un marché et celui-ci est différent d’une autoroute. D’ailleurs, ce sont deux appellations différentes. Il faut qu’ils nous laissent travailler en paix’’, fulmine d’emblée Mme Ndiaye, qui précise que personne ne peut leur faire la morale dans leur ‘’propre espace’’.
De la pagaille
Dans ce marché, on se bouscule dans tous les sens du fait de l’étroitesse des chemins. Le site est également un endroit très prisé des conducteurs de motos Jakarta et de charrettes. Ils s’immobilisent et attendent patiemment les clients venus s’approvisionner en condiments et/ou les grossistes qui veulent décharger leurs marchandises. Personne ne veut céder le passage à son vis-à-vis. Dans cet espace, c’est la loi du business qui prévaut. Du coup, l’adage ‘’charité bien ordonnée commence par soi-même’’ est appliqué à la lettre.
Ce marché central de Thiès est sans doute le plus compliqué du département en termes d’accessibilité. Mais, face à cette situation invivable, les vendeuses campent toujours sur leur position. ‘’Si les gens pensent qu’on bougera d’ici, ils se trompent lourdement. Je vais continuer à étaler ma marchandise parce que je paie une taxe journalière minimale de 100 F Cfa. Par contre, il y a d’autres qui paient plus que moi, car cela dépend de la longueur de l’espace occupé. Dans ce pays, tout le monde défend ses intérêts. Nous faisons la même chose pour préserver notre travail parce que c’est notre gagne-pain’’, tempête de son côté Rokhaya Sarr. Toutefois, la native d’Aiglon (quartier de la commune de Thiès-Est) met en garde les automobilistes qui, selon elle, sont à l’origine de leurs nombreuses tentatives de déguerpissement. ‘’Ce sont des soutiens de famille tout comme nous. Donc, je ne vois aucun intérêt de jouer au méchant. Nous allons continuer à exercer notre métier dans ce marché. On s’en sort très bien. Nous n’attendons rien de l’Etat du Sénégal. En revanche, nous voulons que le maire de Thiès Nord nous appuie dans l’installation de cantines modernes. Nous étalons nos produits à même le sol. Je crois que c’est révolu. Il faut savoir évoluer’’, déclare Rokhaya Sarr.
Tous coupables
Si certaines refusent d’admettre qu’elles sont à l’origine des embouteillages dans cette partie de la ville, Marie André Mendy use elle de tout son aura pour ramener ses camarades à la raison. D’après cette vendeuse de beignets, ce sont ses ‘’consœurs’’ qui empêchent la bonne fluidité du trafic dans cette zone. Cette ancienne élève du lycée Malick Sy de Thiès trouve qu’elles sont toutes responsables de cette situation. ‘’Parfois je leur demande de plier leurs bagages pour céder le passage aux automobilistes, mais elles s’y opposent catégoriquement. Je pense à ces élèves qui ont cours à 8h dans une école privée catholique qui se trouve derrière le marché et qui sont coincés dans ces embouteillages.
Ça me fait énormément mal. Par contre, je n’y peux rien. Je ne peux pas me chamailler tout le temps avec ces dames qui, pour la plupart, ont l’âge de ma mère. Il faut le reconnaître, c’est nous qui créons ces bouchons’’, insiste Marie André Mendy. Ainsi, invite-t-elle ses camarades vendeuses à exercer leur travail en ‘’toute légalité’’ et à penser à l’avenir de ces jeunes élèves. Le fait de payer cette petite taxe, dit-elle, ne ‘’nous donne pas le droit d’occuper toutes les allées du marché’’. Une telle situation pousse souvent les automobilistes à se frayer d’autres itinéraires. Pendant ce temps, les vendeuses du marché Sahm continuent à écouler leurs produits, dans la plus grande tranquillité.
GAUSTIN DIATTA (THIES)