Une circulaire pour l’effectivité de la loi
La Direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) a pris une circulaire dans le but de rendre effective la directive de l’Union économique monétaire de l’Ouest africain (UEMOA) relative à la présence de l’avocat durant la garde a vue. Ladite circulaire, présentée hier par le ministre de la Justice, a été saluée par les différents participants dont le Bâtonnier de l’Ordre des avocats.
Après les complaintes des avocats devant les juridictions et dans des espaces d’échanges, un nouveau pas vient d’être franchi pour l’application effective du règlement n°5 de l’Union économique monétaire de l’Ouest africain (UEMOA) relatif à l’assistance des robes noires à leurs clients gardés à vue. En fait, le ministère de la Justice a, par le biais de la Direction des affaires criminelles et des grâces (DACG), pris une circulaire qui définit les conditions d’application de la loi.
Selon le Dacg, Mandiaye Niang, la circulaire est signée dans l’après-midi d’hier. Car, bien qu’entrée en vigueur depuis janvier 2015 et intégrée dans l’article 55 du Code de procédure pénale depuis octobre 2016, la directive de l’Union économique monétaire de l’Ouest africain (UEMOA) portant présence de l’avocat durant la garde à vue tarde à être effective au Sénégal. Accusés d’avoir fait fi de la loi, les officiers de police judiciaire (OPJ) renvoient la balle aux avocats qu’ils reprochent de ne jamais se présenter. Il s’y ajoute, selon le Garde des Sceaux qui présidait hier la cérémonie de présentation de la circulaire : ‘’Les différents acteurs de la chaîne pénale n’ont pas la même compréhension de la loi.’’ Ainsi, c’est en vue d’une perception uniforme que la circulaire a été élaborée.
‘’Il est utile - je dirais même vital – pour les principaux acteurs judiciaires, notamment les officiers de police judicaire, les avocats et les procureurs d’avoir une lecture conforme des nouveaux droits consacrés’’, a souligné le Professeur Ismaïla Madior. Ainsi, c’est pour une meilleure compréhension du règlement que le document définit la notion d’interpellation au sens de la procédure pénale. Il détermine la consistance des formalités pesant sur les OPJ après l’interpellation et précise également les modalités pratiques de l’intervention de l’avocat. A ce propos, le DACG a expliqué les limites de l’intervention de l’avocat. Il a été formel en indiquant que la présence est ‘’une présence passive’’. ‘’Il a le droit de s’entretenir de manière confidentielle avec son client. Il assiste à l’audition mais n’a pas une part active. Il n’a pas accès au dossier et ne peut demander une copie. Il ne peut pas poser une question, ni répondre à la place de son client ou lui souffler des réponses’’. La circulaire définit aussi les obligations directes qui pèsent sur l’OPJ. ‘’Celui-ci doit aménager un délai pour permettre à l’avocat de venir. Pour Dakar, il a été suggéré un délai d’attente de 2 heures pour éviter que l’OJP soit l’otage d’un avocat non diligent’’, a indiqué M. Niang.
Une présence passive pour l’avocat
Cependant, même si leur présence est passive, le Bâtonnier de l’Ordre des avocats, Me Mbaye Guèye, s’en réjouit. ‘’Je suis d’accord que la présence soit passive car cela peut dissuader beaucoup de pratiques. Pour un premier pas, ce n’est pas négligeable même si on peut faire comme les autres pays’’, s’est-il félicité. Aussi, a-t-il souligné, au Mali, la directive est une disposition constitutionnelle et un droit interne au Bénin. Néanmoins, il estime que ‘’c’est un grand jour pour les droits humains mais aussi pour le Barreau et surtout pour le Sénégal qui doit conserver son statut de terre de liberté’’.
Le procureur général de Saint-Louis, Aly Ciré Bâ, a abondé dans le même sens en parlant ‘’d'une avancée civilisationnelle’’. Aminata Kébé, représentante du Haut commissariat des Nations unies, a pour sa part souligné que la mise en application du règlement par cette circulaire ‘’est un facteur de succès lors du passage du Sénégal devant le comité des droits de l'homme des Nations unies, pour l'examen périodique universel des droits de l'Homme’’. ‘’Il faut voir derrière cette directive le respect de la Convention contre la torture car la présence de l’avocat donne du crédit au procès-verbal. C’est une garantie de justice’’, a soutenu Me Yaré Fall de la Ligue sénégalaise des droits humains. ‘’La circulaire a vocation à conjuguer soigneusement, autant que possible, les impératifs aussi divergents que sont le respect des droits de la défense et la sauvegarde de l’ordre public, tout en restant dans les grands équilibres de la procédure pénale’’, a conclu le Garde des Sceaux.
Toujours est-il que le Bâtonnier considère que ‘’l’intérêt de la circulaire, c’est d’être flexible car elle permettra de faire une évaluation de la loi après’’. ‘’On ne peut pas prévoir et anticiper sur les difficultés qui pourraient survenir. C’est avec l’expérience et à la lumière de la pratique qu’on fera une évaluation’’, a renchéri le Garde des Sceaux.
L’insuffisance et l’accessibilité des avocats, un obstacle
Cependant pour une meilleure effectivité du règlement, il faut également résoudre la question de l’accessibilité des avocats. ‘’Cette loi risque de ne pas avoir son efficacité si le problème d’accès au service de l’avocat n’est pas résolu. Car les magistrats sont plus nombreux que les avocats’’, a relevé Babacar Bâ du Forum du justiciable. Aussi, a-t-il invité à l’augmentation d’avocats mais également à la création d’autres barreaux dans les régions. Le ministre de la Justice a fait le même constat en soulignant que ‘’le nombre réduit d’avocats et leur répartition disproportionnée sur l’étendue du territoire national sont interprétés, à juste titre, comme un obstacle majeur au droit à l’assistance d’un conseil’’. En effet, le Professeur Ismaïla Madior Fall a relevé qu’en 2018, le Sénégal compte 358 avocats pour une population de 15 millions d’habitants environ dont une vingtaine seulement officie en dehors de la région de Dakar. Par conséquent, a-t-il poursuivi, ‘’notre système judiciaire est encore loin d’être conforme aux standards internationaux en matière de ratio avocats /justiciables’’.
‘’Je vous concède qu’il y a un nombre insuffisant d’avocats. Nous avons encore besoin de bras dans le Barreau’’, a appuyé le Bâtonnier non sans annoncer l’organisation de l’examen du Barreau pour cette année. La loi le prévoit tous les trois ans, mais le Bâtonnât peut organiser l’examen en cas de nécessité. Le ministère a réitéré son engagement en vue d’une meilleure couverture du pays par le Barreau, par l’accroissement rapide du nombre d’avocats. M. Fall a aussi fait savoir que son département a aménagé des plages de réflexions sur une requalification de l’aide juridictionnelle au profit d’une réduction de la vulnérabilité des justiciables. ’’L’accent pourrait être davantage mis sur l’amélioration de l’accès des démunis à la justice et sur l’appui des jeunes avocats qui désirent s’implanter dans les autres ressorts’’, a-t-il précisé.
FATOU SY