‘’L’évasion des colons de la musique’’ au cœur du débat
Il est noté, à l’image de différentes multinationales évoluant dans divers secteurs, l’arrivée, en Afrique, de géants de la musique. Les artistes sénégalais, Didier Awadi et Malal Almamy Talla alias ‘’Fou Malade’’, ainsi que le rappeur congolais Lexus Legal ont échangé autour de cette question. C’était avant-hier, à l’occasion du premier panel du Forum des cultures urbaines du Sud (Focus) ou sommet du hip-hop. Il s’est tenu à la Maison des cultures urbaines à Ouakam.
Dans le cadre de la célébration des “30 ans du hip-hop Galsen”, est initié un certain nombre d’activités dont un sommet du hip-hop. La thématique générale retenue est la relation entre cet art et la transformation sociale. Six conférences sont prévues dans le cadre de ce sommet ou Forum des cultures urbaines du Sud (Focus). Le premier panel s’est tenu lundi après-midi à la Maison des cultures urbaines à Ouakam. Il a réuni des rappeurs aux styles et aux philosophies différents : Didier Awadi, Malal Almamy Talla aka ‘’Fou Malade’’ et Lexus Legal. La discussion entre Awadi et Talla fut assez âpre, du fait de leurs approches différentes et divergentes a priori, mais qui, fondamentalement, sont complémentaires sur ce que le boss de Guédiawaye hip-hop appelle ‘’l’évasion des multinationales’’.
Awadi est de ceux qui pensent qu’on ne doit pas leur fermer les portes, ni ne pas leur ouvrir le marché. Pour lui, les ‘’grands’’ qu’ils sont doivent s’investir, participer afin que le business de Sony ou d’Universal soit profitable aux jeunes artistes africains qui signeront au sein de ces labels. Pour Malal, l’Afrique mérite aujourd’hui d’avoir ses propres labels internationaux. Il considère qu’ils ‘’n’ont pas besoin d’Universal’’. ‘’Ils ne sont que d’autres colonisateurs qui viennent nous envahir. Ils ont compris qu’il y a des intérêts. Il n’y a finalement rien pour nous et par nous’’. Awadi est en partie d’accord avec lui. Si les géants de la musique viennent en Afrique, ce n’est sûrement pas ‘’à cause de nos plages, mais parce qu’ils savent qu’il y a du talent ici’’, assure le sankariste.
Tout de même, il est d’avis que l'accent doit être mis sur une collaboration équilibrée et mutuellement avantageuse entre le meilleur du talent sénégalais et les entreprises étrangères. Il considère que les partenariats entre les artistes hip-hop sénégalais et les sociétés étrangères peuvent être vraiment bénéfiques pour les deux parties et permettre l’essor de l’entrepreneuriat. D'après lui, la voie vers l'émancipation de l’artiste, de la domination des grandes firmes musicales mondiales se fera à travers cette collaboration qui, avec le temps, leur permettra d'acquérir beaucoup de notoriété et les moyens financiers indispensables à leur indépendance totale. “Si des multinationales doivent venir, on ne pourra pas arrêter la mer avec nos bras’’, se dit Awadi.
Pour Malal Talla, ‘’le défi, c’est de voir comment sauver la musique africaine qui risque de tomber entre les mains des colons de la musique. Le monde est ouvert. Les gens doivent travailler ensemble. Seulement, aujourd’hui, après s’être battu pour bien asseoir le hip-hop, nous devons faire pression sur nos gouvernants pour avoir des labels internationaux’’.
Pour Lexus Legal, le défi est ailleurs. Il faut que les artistes essaient de mieux connaitre les outils avec lesquels ils travaillent. Il leur faut connaitre les rouages du marketing, par exemple, ou le cadre légal régissant leur environnement. Pour cela, il leur faut aller vers la professionnalisation. Et l’entrepreneuriat est le meilleur moyen pour y arriver, selon Didier Awadi. ‘’N’ayons pas peur d'être entrepreneur. Il faut qu’on soit dans le même état d’esprit que les Anglo-Saxons. L’Anglo-Saxon, il est sans complexe par rapport à la question de l’argent, là où le Francophone considère que l’argent c’est sale et quand on fait de l’art, on ne doit pas parler d’argent. On peut bien vendre et toujours rester engagé. L’un n'empêche pas l’autre”, déclare Awadi.
Pour Awadi donc, être entrepreneur ne veut pas dire ‘’faire du business’’, comme l’entendent certains. Aux jeunes, Awadi a lancé ce message : ‘’Vous avez besoin d’être des entrepreneurs, sinon vous allez dépendre des subventions. Je ne veux pas être la main qui donne, mais celle qui reçoit. Il faut travailler pour être indépendant. On n’a pas, aujourd’hui, tout ce qu’on veut. C’est pour cela qu’on est fragile.’’
Ami Jo Fall (Stagiaire)