Rewmi au cœur
L’opposition en général, la coalition Idy2019 en particulier et le parti Rewmi notamment, sont sous le coup d’interpellations et d’arrestations, depuis quelque temps.
Le colonel Abdourahmane Kébé sera très probablement déféré aujourd’hui, d’après les sources proches du dossier. En attendant d’avoir les derniers éléments de l’information pour savoir pour quel chef d’accusation il sera vraisemblablement poursuivi, le motif de son interpellation dans l’après-midi du dimanche laisse perplexe. ‘‘... Face à ce qui apparait comme un hold-up que veulent nous imposer les valets de Macron, une seule attitude, la révolte populaire...’’, a-t-il soutenu sur un post Facebook, après la proclamation des résultats provisoires du scrutin du 24 février 2019.
Pour Me Abdoulaye Tine de l’Union sociale libérale, membre d’Idy2019, ces ‘‘propos ne (lui) paraissent pas dépasser les limites de la liberté d’expression et ne sauraient donc, comme on tente de le faire, tomber sous le coup de l’article 95 du Code pénal. Et nulle loi ne peut retirer la liberté d’un individu de ne pas vouloir reconnaitre quelque chose qui ne lui parait pas conforme aux principes démocratiques’’. D’autres rumeurs plus persistantes avancent qu’un fichier audio avec des propos encore plus séditieux ont incriminé l’ancien attaché de défense à l’ambassade du Sénégal à Washington, attaché militaire, naval et de l’air. Agé de 59 ans et la retraite depuis 2017, il est soumis à l’obligation de réserve jusqu’à 65 ans, car étant toujours officier supérieur de réserve, d’après certaines sources.
Le camp de Rewmi a toutefois nié énergiquement, doutant de l’authenticité de la bande sonore. Ne serait-ce pas son profil de haut gradé militaire, chargé de la défense de Rewmi, qui explique le remue-ménage des pouvoirs publics ? Une question à laquelle on ne veut pas répondre dans les coulisses de la coalition Idy2019 où il est tout simplement question ‘‘de privation de libertés’’. Me Abdoulaye Tine estime que ‘‘ce sont des arrestations purement arbitraires, dans la mesure où c’est purement préventif. Il n’y a pas de débuts d’exécution qui peuvent justifier de telles mesures excessives et attentatoires aux libertés individuelles’’.
Toujours est-il que la situation interpelle, vu la série d’incarcérations qui a précédé celle du colonel. Une vague d’arrestations ou d’interpellations frappe l’opposition sénégalaise, la coalition Idy2019, notamment. En tout, une quinzaine de personnes appartenant à cette coalition dont 13 du parti Rewmi, la formation politique d’Idrissa Seck qui polarise l’opposition. Le secrétaire national à la jeunesse de Rewmi, Mory Guèye, a été arrêté au lendemain des manifestations de l’opposition devant les grilles de la Rts, alors que Moussa Thiombane et Bassirou Dieng, tous deux responsables de Rewmi à Guédiawaye, ont été cueillis pour avoir organisé cette manifestation. Abdourahmane Diallo, Amélie Ngom, Malamine Fall (Grand parti), Bigué Simone Sarr, Amath Thiaw, Marième Soumaré, Mamadou Diallo, Amadou Bathily, Bineta Mbaye et Yankhoba Sagna attendent tous d’être jugés ce mardi pour infractions diverses.
‘‘Il doit se dire que quelque chose se prépare et il frappe à l’aveuglette’’
Pour Me Pape Kanté, avocat au barreau du Canada, cette vague d’arrestations ne traduit rien d’autre que l’inquiétude qui gagne l’autre camp et le chef qui l’incarne, Macky Sall. ‘‘Il a peur. Le non-recours et la non-reconnaissance est un message subliminal à l'effet que d'autres moyens de lutte seront envisagés, puisqu'on ne croit pas à la justice. C’est dire qu'on s’en remet au peuple à qui appartient les suffrages. Il doit se dire que quelque chose se prépare et il frappe à l'aveuglette’’, rapporte l’activiste Idrissa Fall Cissé sur un post Facebook. La coalition Idy2019, qui a rejeté les résultats provisoires de ce jeudi, a pourtant décidé de ne pas faire de recours devant cette déconvenue. La mandataire n’a pas signé les procès-verbaux et n'a pas assisté aux délibérations devant le juge Kandji. Idy2019 ne s’est pas explicitement opposée à la réélection de Macky Sall.
Mieux, reçu en audience le vendredi par le khalife général des mourides, le leader de Rewmi semblait avoir fermé la porte à toute éventualité de créer du désordre. Sa déclaration de jeudi comportait un seul point à la limite de l’équivoque où il attribuait les conséquences de ce qui arriverait au président sortant. Deux jours avant la proclamation des résultats provisoires, les jeunes de la coalition Idy2019 avaient toutefois promis de ‘‘former un gouvernement parallèle’’, s’il n’y avait pas un second tour qui sanctionne le scrutin. Des déclarations frisant les menaces contre le président de la Cena Doudou Ndir et des invectives contre le président de la Cnrv Demba Kandji, le Premier ministre Boun Abdallah Dionne et Macky Sall. ‘‘S’il essaie de faire le forcing pour installer un gouvernement, on va installer un gouvernement parallèle de Idy2019. Qu’il se le tienne pour dit. Nous sommes en discussion avec nos coordonnateurs dans les départements et les régions. La mobilisation se prépare partout à travers le Sénégal’’, avaient promis le responsable des jeunes de Rewmi, Mory Guèye.
Un jour avant la proclamation, mercredi, les femmes de l’opposition, qui ont improvisé un concert de contestations avec des casseroles, après une conférence de presse, ont été arrêtées au siège de Bokk Gi Gis, sur la Vdn. Toute chose qui fait que l’un des cadres de Rewmi, Yankoba Seydi, s’en est offusqué sur Twitter, hier. ‘‘Ces arrestations résultent d’une peur bleue, nous le savons. Macky, tu sais que ce ‘vol’ de haut vol ne passera pas et tu vas à l’offensive, mais sache que nous répondrons. Colonel Kébé, les jeunes et femmes arrêtés, nous perpétuerons leur combat pour libérer Sunugal des pirates’’.
Traque sur Internet
Le colonel Kébé n’aura pas été la seule ‘‘victime’’ de Facebook. Karim Guèye alias Xrumxaax aura finalement écopé d’une amende de 50 000 F Cfa hier, pour un live appelant à protester à la place de l’Indépendance, qui n’aurait pas mérité que les forces de sécurité s’emploient. Il a été jugé pour le chef d’accusation d’appel à un attroupement non armé par voie de presse. Après une semaine passée derrière les barreaux, la mousse médiatique que les autorités ont contribué à former a éclaté, hier, de la plus insignifiante des manières pour l’activiste, avec cette amende modique. Les Live Facebook n’ont pas seulement perdu ce leader du mouvement Nitou Deug.
En pleine campagne électorale, un autre activiste proche de la coalition Idy2019, Idrissa Fall Cissé, ainsi que son camarade Badara Gadiaga, ont été interpellés pour un direct sur le réseau social, lequel dénonçait des ‘‘extra’’ inscriptions sur les listes, alors que la période de révision a pris fin le 23 avril 2018. Des cars de transport en commun ‘‘Ndiaga Ndiaye’’ avaient pris d’assaut la Direction de l’automatisation des fichiers ‘‘transportant des militants proches du pouvoir qui venaient s’enrôler sur les listes’’, a-t-il dénoncé. Désigné par un agent Asp, il sera interpelé et libéré après quelques heures passées sous audition, pour avoir filmé la scène. ‘‘Après quelques minutes de prise, un des vigiles a alerté un agent de la police et j'ai été interpellé avec un ami activiste, Badara Gadiaga. Arrivés au bureau du commissaire, ce dernier nous a demandé si nous étions des journalistes et quelles étaient les motivations de nos vidéos live. On lui a dit que non, mais qu'on était des citoyens activistes. Il nous a carrément fait savoir qu’on n’avait pas le droit de filmer dans ses locaux. Il a ensuite demandé à ses agents de prendre nos filiations et de nous éconduire’’, a déclaré Idrissa Fall Cissé.
Deux autres militants de Rewmi ont également été alpagués à Touba par la Division des investigations criminelles (Dic), jeudi, après la proclamation des résultats provisoires du scrutin. Malamine Fall du Grand parti, qui diffusait la protestation des leaders féminins de l’opposition sur la plateforme Facebook, a également été arrêté. Dans une vidéo circulant sur Internet, ils ont appelé à s’opposer par la violence aux chiffres avancés par le juge de la Cour d’appel Demba Kandji.
Répression et intimidation, selon Cos/M23
En tout état de cause, les membres de la société civile condamnent tant bien que mal ces arrestations. La Commission d’orientation stratégique du M23 est montée au créneau, hier. ‘‘La Cos/M23 interpelle ainsi les autorités sur l’impertinence d’un tel comportement et rappelle ces dernières à une dynamique autre que la répression et l’intimidation de membres de l’opposition, surtout suite à une situation post-électorale très tendue. En conséquence, la Cos/M23 exige du pouvoir en place la libération immédiate de nos concitoyens, dont la privation de liberté conforte encore une fois nos craintes d’une gouvernance dictatoriale dictée par un Etat policier qui met à terre les fondements de la démocratie et des libertés’’.
Quant au fondateur du think-tank AfrikaJom, Alioune Tine, l’Etat doit arrêter d’utiliser la force. ‘‘D’autres ont appelé à la paix et ont fait des médiations. C'est ça la régulation démocratique. Ce n’est pas la police des idées. Il faut libérer le colonel. Aucune raison ne justifie cette arrestation arbitraire’’, a-t-il défendu sur twitter hier.
OUSMANE LAYE DIOP