Publié le 29 Aug 2019 - 02:05
MALICK SEYDI, CHEF DE LA DIVISION DE LA GESTION DU PERSONNEL A LA DIRECTION DES RESSOURCES HUMAINES

‘’Les autorités sont conscientes de cette problématique’’ 

 

Si le déficit de spécialistes était une maladie, on dirait qu’elle est endémique. Dans cet entretien, le chef de la Division de la gestion du personnel au ministère de la Santé, Malick Seydi, explique les causes de la situation et étale les politiques mises en place pour combler le gap.

 

Nous avons constaté un déficit en spécialistes au Sénégal. Quelles sont les spécialités où il y a plus de gap ?

C’est vrai nous avons constaté un déficit criard en spécialistes. Cela ne date pas d’aujourd’hui. Nous avons élaboré un plan national de développement des ressources humaines (Pndrhs) 2011-2018 qui vient de finir en décembre 2018. Nous sommes en train d’élaborer le prochain Pndrhs qui va concerner la période 2020-2028, arrimé au Plan national de développement sanitaire et social Pndss 3e génération.

Alors, dans ce premier Plan national de développement des ressources humaines, nous avons constaté un gap énorme en spécialistes. Par rapport à cette situation, nous avons fait une planification pour résorber ces gaps. C’est vrai, la planification en est une, mais elle devrait être accompagnée par la mise à disposition de moyens suffisants qui permettent la résorption significative et progressive de ces gaps. Les spécialités qui ont un effectif précaire dans le système de santé sont nombreuses. Le système a un grand manque en anesthésistes réanimateurs (techniciens supérieurs et médecins). Ce sont eux qui assistent les chirurgiens sur tout ce qui constitue des actes opératoires. Sans l’anesthésiste réanimateur, le bloc ne peut pas fonctionner, parce que personne ne peut opérer.  Le gouvernement a fourni un effort considérable dans le relèvement du plateau technique. Presque toutes les régions ont un bloc opératoire fonctionnel. Ce qui fait que nous avons besoin de résorber ce gap en anesthésistes aussi bien en techniciens qu’en médecins.

Les autres spécialités qui posent problème sont, entre autres, la pédiatrie, la gynécologie, la néphrologie, la chirurgie, l’imagerie médicale… Vous avez entendu, l’année dernière, les difficultés que nous avons avec la radiothérapie. Au moment où l’on parle, nous n’avons que deux radiothérapeutes au Sénégal. C’est vrai, ce n’est pas une spécialité qui court les rues, mais c’est un besoin qui est là et les efforts nécessaires sont fournis pour combler ce gap. Bien sûr, des difficultés, nous en aurons toujours, mais dans la chaine de décision, tout le monde travaille au renforcement du système de santé, à travers le relèvement de la qualité de l’offre de services de santé dans toutes les régions du pays.  Au-delà des spécialités que nous venons de citer, nous avons ce que nous appelons le personnel de soutien et les paramédicaux qui jouent également un rôle très important dans le processus de prise en charge des malades.

Il faudra donc veiller à combler le déficit enregistré, pour permettre aux structures de santé de fonctionner correctement.

Qu’est-ce qui explique cette situation ?

Il y a plusieurs facteurs qui peuvent expliquer cette situation. Il y a deux ou trois leviers sur lesquels il faudra se focaliser. La première explication, c’est par rapport à la formation. Vous n’êtes pas sans savoir que le gouvernement a fait des efforts en doublant la bourse de la spécialisation de 150 et 300 mille F Cfa. C’est pour permettre à davantage de Sénégalais de s’inscrire dans ces spécialités, de permettre à ces derniers d’avoir de meilleures conditions d’études. Nous avons constaté que par rapport au nombre de médecins qui s’inscrivent en spécialisation, en tout cas jusqu’en 2018, nous avons 60 % d’étrangers et 40 % de Sénégalais.

C’est pour répondre aux exigences de la couverture maladie universelle, que le gouvernement a fait en sorte que les médecins sénégalais qui veulent se spécialiser puissent bénéficier d’une prise en charge correcte. En contrepartie, ils s’engagent, à la fin de leur formation, à servir le système de santé partout où besoin est. L’autre levier est celui de l’utilisation. La politique, aujourd’hui, est que toutes les régions dotées d’un plateau technique permettant d’accueillir un spécialiste doivent pouvoir en avoir. La situation, entre 2017 et 2018, s’est véritablement améliorée en matière de couverture en spécialistes. Il faut également une politique d’incitation pour permettre à ces agents d’aller servir dans les zones dites difficiles. Pour y arriver, il faudra vraiment qu’on tienne compte aussi bien des conditions d’existence et d’exercice de la profession. Les autorités sont conscientes de cette problématique et des dispositions sont en train d’être prises pour y remédier. Nous agissons en fonction des possibilités que nous avons, ayant en ligne de mire l’ensemble des gaps et des préoccupations.

Concrètement, que fait l’Etat pour inciter les spécialistes à aller dans les régions ?

Il y en n’aura jamais assez de moyens pour satisfaire la demande légitime des travailleurs. Mais l’effort qui est en train d’être fait, c’est d’abord la discussion qui est menée entre l’ensemble des acteurs du ministère de la Santé, les partenaires techniques et financiers autour de ces questions. En ce qui concerne la politique de rétention et les mesures incitatives, nous avons enclenché le processus d’élaboration du second Pndrhs et, dans ce processus, nous avons l’ensemble des acteurs du système qui réfléchissent aussi bien sur la résorption des gaps, mais également sur les conditions de travail. Ce document relèvera tous les manquements et proposera des mesures correctives.

Toutefois, les questions financières ne règlent pas, à elles seules, le problème. Quand on parle d’amélioration des conditions d’existence dans une région, il faut aborder la question de l’accessibilité, par exemple, et c’est le ministère des Infrastructures qu’il faudra indexer. S’il s’agit de l’électricité, c’est celui de l’Energie qui s’en charge.  C’est dire donc que c’est le gouvernement dans son entièreté qui doit participer à l’effort d’incitation pour que le personnel de santé, aussi bien spécialistes que non spécialistes, puisse servir dans des conditions minimales.

Les médecins quittent leur fonction pour continuer la spécialisation. Mais, en cours de formation, ils se retrouvent avec des retards de paiement des bourses. Est-ce que cela n’est pas de nature à les décourager ?

C’est vrai, on peut connaitre des retards du paiement des bourses. Mais comme vous le savez, c’est un budget de l’Etat que le ministère de la Santé mobilise. Il y a des procédures de mobilisation. Pour des raisons x ou y, on peut accuser des retards de paiement. Mais il n’est pas dit que si ces retards subviennent, les médecins sont dans des difficultés. La question fondamentale est de savoir comment faire pour qu’il n’y ait pas de retard de paiement des bourses. Au moment où je vous parle, nous n’avons accusé aucun retard. Le ministère est suffisamment conscient et travaille tous les jours pour que ce genre de situation ne soit pas vécu. Nous connaissons les difficultés auxquelles font face les spécialistes en formation. C’est la raison d’ailleurs pour laquelle le président de la République a doublé la bourse. Tous les spécialistes seront mis après formation à la disposition des structures qui en auront besoin.

Sur quelle base se font les recrutements ?

Les recrutements se font sur la base des gaps persistants. Si j’ai un pédiatre, un chirurgien et un gynécologue avec deux postes à pouvoir du point de vue budgétaire, je dois faire un arbitrage. Si une localité demande un spécialiste, ce qui est très légitime, nous regardons les possibilités que nous avons et combler ce gap le plus rapidement possible. Parfois, nous sommes confrontés à des retards de résorption de ces gaps, parce que nous n’avons pas la possibilité de recruter du personnel. Si nous avions les moyens de nos ambitions, on ne parlerait jamais de gap de spécialistes dans une région du Sénégal. Nous fonctionnons sur la base du budget qui nous est alloué. Sur cette base, nous faisons une répartition que nous pensons être juste par rapport aux urgences. Il y a des besoins beaucoup plus pressants. Une région ne peut pas fonctionner sans gynécologue. Si tel est le cas, nous avons failli. Nous faisons en sorte de doter les structures qui manquent de spécialistes en premier. Maintenant, au fur et à mesure que l’on avance, en fonction des normes de la carte sanitaire, nous gérons les déficits.

Certains médecins évoquent une nébuleuse dans la spécialisation, du fait que des professeurs refusent des Sénégalais dans leur spécialité. Qu’en pensez-vous ?

Je ne parlerais pas de nébuleuse. A mon avis, je ne pense pas qu’il y ait une nébuleuse. Parce qu’à la faculté, toutes les formations sont payantes. Si vous êtes solvables et que vous voulez embrasser une carrière de spécialiste, vous êtes libre de le faire. Je ne pense pas qu’il y ait des restrictions par rapport à cela. Cela m’étonnerait d’ailleurs que des professeurs sénégalais interdisent leurs fils ou leurs futurs collègues de s’inscrire dans des spécialités. Au contraire. Ce qui se passe est que la plupart des médecins en spécialisation (Des) sont issus des familles à revenus moyens. Or, l’inscription à la spécialisation est de 500 mille. Réunir cette somme peut poser problème pour beaucoup de personnes, sans compter les frais de formation que le médecin doit assurer. Cela est lourd. Peut-être, c’est ce qui explique ce faible taux de représentation de Sénégalais dans les spécialisations.

L’autre frein est que, quand les médecins choisissent de faire une spécialisation, la plupart regardent deux choses : est-ce que c’est une vocation ? D’autres se disent qu’est-ce que j’ai à y gagner après ? Parce que, lorsqu’un médecin fait la gynécologie, il est sûr qu’après la formation, il peut ouvrir sa clinique ou travailler dans le privé pour gagner plus. Vous pouvez voir des spécialités qui enregistrent beaucoup plus de candidats que d’autres. C’est en fonction de ce qui est réservé à la fin de la formation. Mais il n’y a aucune nébuleuse.

VIVIANE DIATTA

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