Publié le 17 Dec 2019 - 03:18
PRESENTE EN BASSE-CASAMANCE, DEPUIS PLUS DE 20 ANS

La communauté ghanéenne, le grenier d’Elinkine

 

En 1997, un petit groupe de ressortissants ghanéens commençait à rejoindre le village d’Elinkine, situé dans le département d’Oussouye. Vingt-deux ans après l’arrivée de cette première vague, ce sont des milliers de migrants qui se sont installés définitivement dans cette partie de la commune de Mlomp. Focus sur ce peuple sédentaire qui nourrit et maintient, debout, le village cosmopolite d’Elinkine.

 

Fondé au XVIII siècle, Elinkine est un petit village qui s’ouvre sur l’océan Atlantique. Il est habité par des pêcheurs wolofs venus de Saint-Louis, des Diolas, des Gambiens et des… Ghanéens. Pour s’y rendre à partir d’Oussouye, chef-lieu de département, il faut parcourir près de 20 km, traverser la commune de Mlomp et les villages environnants de Cagnoute, Samatite, Sam-Sam… Après 32 minutes de route, Elinkine s’offre à la vue du voyageur. L’empire des Ghanéens. Le little (petit en anglais) Accra du Sénégal !

En 1997, les Ghanéens présents en Basse-Casamance, notamment au Cap Skirring depuis 1989, puis à Diogué, avaient commencé à pénétrer le village d’Elinkine. D’abord, c’est un petit groupe de moins d’une quinzaine de personnes qui, en premier, a rejoint cette petite agglomération. Aujourd’hui, c’est une forte communauté ghanéenne qui vit dans cette zone périphérique. Ils sont, au total, 2 400 migrants (plus que ça, selon des Elinkinois) à résider dans ce village peuplé seulement de 6 000 âmes.

Au début, dit-on, c’était un peu difficile pour leur intégration. Car ils faisaient face à des clichés et autres préjugés. La population locale les accusait notamment de faire leurs besoins au bord du fleuve.

Maintenant, tous les malentendus semblent levés. La cohabitation entre les communautés est excellente. Une migration plutôt réussie par les compatriotes du président Nana Akufo-Addo. A Elinkine, tout le monde ou presque reconnait leur ardeur au travail. Avec leurs 44 pirogues sur les 327 enregistrées au quai de pêche, ils embarquent tous les jours en compagnie de jeunes Sénégalais vers les côtes bissau-guinéennes, à la recherche de gros poissons, notamment les requins et les raies. A leur retour, les Ghanéennes qui les attendent au quai de pêche récupèrent le produit frais, le nettoient, le découpent et le font transporter par les porteurs sénégalais au lieu de transformation, au prix de 1 000 ou 1 500 F Cfa par chargement.

Située à quelques mètres seulement du quai, cette zone de transmutation est une vaste étendue qu’occupent, par petits groupes, des centaines de Ghanéens qui y passent leur journée. Généralement de teint noir ‘’foncé’’ et costauds, ces immigrés se donnent à fond dans le travail, au rythme des chansons en langues ghanéennes. Après le fumage des poissons qui peut durer quatre à cinq jours (en saison sèche), les Sénégalais sont encore payés entre 500 et 1 000 F Cfa le sac pour transporter le produit fini jusqu’au lieu de stockage, en attendant l’arrivée des gros-porteurs ghanéens. Une manière de faire travailler les jeunes Elinkinois. Ainsi, un seul camion peut charger jusqu’à 600 sacs.

Outre ce petit apport économique, les migrants ghanéens, pour la plupart, louent des maisons à Elinkine, achètent tous les services que leur proposent les autorités en charge de l’exploitation du quai de pêche. Il s’agit de la location des clés de séchage à 2 000 ou 3 000 F Cfa, des cantines de sel, des abris de boxe, des cantines de mareyeurs, de l’usine de fabrique de glace, des stations d’essence, de la location d’espaces de restauration, mais aussi des débarquements journaliers de pirogues… Et chaque pirogue ghanéenne qui débarque peut verser au quai de pêche 3 000 F Cfa. Tout dépend du tonnage et de la longueur de la pirogue.

Selon le chef du poste de contrôle des pêches d’Elinkine, rien que le mois de septembre dernier, cette communauté de migrants ghanéens a exporté 23 tonnes de poisson sec vers Accra pour une valeur commerciale de 14 251 800 F Cfa contre 20 tonnes pour le mois d’octobre, pour une valeur commerciale de 12 559 800 F Cfa. Et après les chargements pour le Ghana, chaque camion verse 100 000 F Cfa au niveau du quai de pêche. Ce qui fait dire à Mamadou Fall que la présence de cette forte communauté est doublement bénéfique pour le village, car elle profite, dit-il, aux Elinkinois et au quai de pêche. Une thèse corroborée par le chef du village.

A en croire Frédéric Sambou, ces hôtes ont certes leurs défauts, mais leur présence, qui date de plus de 20 ans, profite non seulement au terroir, mais aussi à la commune de Mlomp qui bénéficie de ces retombées à hauteur de 35 %.

Cohabitation gagnant-gagnant

Au mois de juin 2019, le quai de pêche a réalisé un bénéfice de 1 170 800 F Cfa. Une somme qui revient aux Gie pour (20 %), au fonds de réserve à hauteur de 30 % et au fonds de formation pour le personnel du quai. ‘’Grâce aux Ghanéens, les revenus des populations se sont nettement améliorés. Au tout début, les gens se plaignaient et les accusaient beaucoup, mais maintenant ce n’est plus le cas. Sénégalais et Ghanéens d’Elinkine entretiennent de très bonnes relations. Ces migrants que nous avons accueillis, il y a plus de vingt ans de cela, participent au développement de notre village, tant au plan économique que social. Ils font nourrir des milliers de familles dont les revenus proviennent essentiellement du quai de pêche. C’est pour dire que c’est tout le village d’Elinkine et même la commune de Mlomp qui tirent profit de leur présence’’, insiste celui qui est à la tête dudit village depuis 20 ans.

Tout comme Frédéric Sambou, le chef d’exploitation du quai de pêche indique qu’Elinkine doit son développement économique aux Ghanéens. D’après Souleymane Mané, si cette communauté devait, un jour, quitter leur territoire d’accueil, c’est tout le quai qui cesserait de fonctionner et le village aurait du mal à se redresser économiquement.

Et comme pour mieux conquérir le cœur des populations autochtones, ils s’impliquent aussi dans le volet social. Le chargé du règlement des conflits au niveau du quai, Moussa Teuw, explique : ‘’Quand ils débarquent, ils offrent des bols remplis de poissons aux populations d’Elinkine et participent, chaque année, au désherbage du cimetière et des écoles du village.’’

La transformation, une expertise verrouillée

Au fil des ans, les migrants ghanéens, dans cette partie du Sénégal, ont changé de stratégie. A leur arrivée, il y a 22 ans, ils étaient surtout dans le financement des Sénégalais, en mettant à leur disposition tout le matériel de pêche d’une valeur de plus de 7 millions de francs Cfa. Ces derniers partaient en mer et revenaient leur vendre le produit. Ce qui les intéressait, c’était surtout la transformation.

Mais, aujourd’hui, la donne a complètement changé. Les Anglophones allient à la fois la pêche et la transformation des produits halieutiques. Les techniques qu’ils utilisent montrent qu’ils ont parfaitement appris l’art de pêcher chez les Sénégalais.

En revanche, eux ont bien caché leur savoir-faire en matière de transformation des produits. A en croire nos interlocuteurs, ils ne montrent jamais aux Elinkinois comment ils transforment les raies et les requins pêchés dans les eaux bissau-guinéennes. Au quai de pêche, des pêcheurs sénégalais, qui viennent de Saint-Louis pour la plupart, reconnaissent que ce secteur exercé par les citoyens ghanéens, depuis plus de deux décennies, leur est encore fermé.

Sur la question, nos interlocuteurs ghanéens sont peu loquaces. ‘’Rien de spécial, rétorque un jeune Ghanéen suivi de très par ses compères au moment de l’entretien. Ce que je peux vous dire, c’est que ce n’est pas difficile. C’est un travail comme tous les autres. C’est tout’’. A la question de savoir s’ils sont dans les dispositions d’ouvrir les portes de leur marché aux jeunes et femmes d’Elinkine, il rétorque : ‘’Ça, je ne sais pas.’’

Le chef d’exploitation du quai, Souleymane Mané, lui, a une réponse claire à ce propos. Selon lui, les Ghanéens ne vont ‘’jamais accepter’’ de faire bénéficier de leur expérience aux autochtones. Il n’empêche, souligne-t-il, cela n’enlève rien à la collaboration des deux communautés, surtout en pleine mer. ‘’C’est seulement par rapport à la transformation qu’il y a problème. Ce marché leur est spécialement réservé. Les Ghanéens ne montrent à personne comment ils procèdent pour la transformation des poissons frais en produit sec. Après avoir transformé, ils envoient directement (le produit) au Ghana’’, renchérit Souleymane Mané. Et le commerce marche à merveille, si l’on en croit les chiffres.

Au mois de novembre, quatre camions sont arrivés du Ghana pour transporter le produit fini. Le chef du poste de contrôle des pêches se désole de ce repli sur soi. ‘’Depuis plus de 20 ans qu’ils sont là, ils exercent un monopole absolu sur ce marché. C’est eux qui sont du début et à la fin de la transformation. S’ils acceptaient de montrer aux jeunes et femmes comment ils procèdent, ça serait une excellente chose’’. Le président du quai de pêche partage aussi cette idée : ‘’On voudrait bien que les jeunes et les femmes puissent bénéficier de leur expertise. Mais c’est dommage qu’ils ne veuillent pas s’ouvrir à nous, pour le moment’’, déclare Sény Keïta.  

Un peuple difficile à gérer

Ainsi, depuis des années, les deux peuples cohabitent dans la quiétude. De ‘’petites’’ querelles surgissent de temps à autre, mais trouvent aussitôt des solutions. La plupart du temps, ce sont des conflits internes, c’est-à-dire entre Ghanéens. Le président de la communauté des Ghanéens vivant dans cette partie d’Oussouye salue l’élan de sympathie des autochtones. Aussi, regrette-t-il les ‘’guerres’’ notées çà et là dans leurs propres rangs.

Très bien organisés, ils ont un règlement intérieur destiné à faire régner l’ordre au sein de leur groupe. ‘’Nous n’avons jamais eu un problème sérieux avec les Sénégalais. C’est entre nous que nous avons des problèmes. Mais, à chaque fois qu’on me fait part d’une bagarre au quai de pêche ou en mer, j’ordonne leur exclusion du village. Ils sont directement renvoyés au Ghana, conformément à notre règlement intérieur. J’insiste pour dire que nous n’avons aucun problème avec les Sénégalais. Mais les problèmes, c’est entre Ghanéens. J’avoue que c’est une communauté très difficile à manager’’, confie en wolof Hamza Issiaka.

Débarqué à Elinkine en 1997 en provenance de l’île de Diogué, le président des Ghanéens d’Elinkine soutient que ses compatriotes et lui se sentent en sécurité dans ce village dirigé par Frédéric Sambou. ‘’Ici, tout va très bien. Nous travaillons dans la quiétude. A chaque fois que de besoin, j’attire l’attention des Ghanéens. Nous sommes des Africains et devons rester unis. Je reconnais que nous sommes un peuple difficile à gérer. Ça, je le sais’’, confie Hamza Issiaka, rappelant que c’est sur les côtes de la Guinée-Bissau qu’ils rencontrent des problèmes avec les licences de pêche. ‘’A chaque fois que les Bissau-Guinéens interceptent une pirogue ghanéenne, c’est une amende d’un ou deux millions 500 francs Cfa qui s’ensuit’’.

Méfiants, mais très dynamiques au travail, les Ghanéens vivent à Elinkine sans être inquiétés. Pour maintenir intact la sécurité dans cette partie du département d’Oussouye, une source très proche de l’autorité préfectorale demande que les forces de défense et de sécurité procèdent à des contrôles périodiques. ‘’Ce sont des gens très virulents et rigoureux à la fois. Il ne faut pas attendre qu’il y ait problème pour réagir’’, recommande notre interlocuteur.

Dans un de ses documents intitulé ‘’Migration internationale et droits des migrants’’ rendu public en avril 2003, Papa Demba Fall estimait à environ 300 ressortissants ghanéens qui vivaient à Dakar. Ils ont  fait  une  percée  remarquée, disait-il, dans  le  secteur  de l’automobile,  notamment  dans  la  vente  de  pièces  détachées. Mais au village d’Elinkine, les 2 400 Ghanéens se lancent, du matin au soir, dans le fumage des poissons.

Actuellement, dans cette localité de la commune de Mlomp, certains ont du mal à dissocier les deux peuples. Premier logeur des Ghanéens, le président du quai de pêche soutient que ces derniers sont très bien organisés. D’après Sény Keïta, ils participent à toutes les cérémonies en cours dans le village, en cotisant comme tous les autres villageois. Cependant, le premier vice-président des quais de pêche du Sénégal reconnait, par contre, que les Ghanéens sont ‘’trop vifs’’ et font trop de bruit. ‘’Ils parlent beaucoup, aiment beaucoup la femme et font beaucoup d’enfants avec les Sénégalaises’’, souligne le successeur de Koubétény Sambou.

A l’en croire, c’est aussi là les véritables facteurs d’une intégration sous-régionale réussie.

MICHEL DJONKENE DIATTA, MAIRE DE MLOMP

‘’Si les Ghanéens se retiraient, le quai de pêche n’aurait plus sa raison d’être’’

Le maire de la commune de Mlomp est de ceux qui pensent que la présence des Ghanéens à Elinkine profite bien au village, à la municipalité, mais également à tout un département.

A Elinkine, l’arrivée des Ghanéens, il y a 22 ans, a contribué à l’essor économique du village. Le premier magistrat de la ville de Mlomp souscrit totalement à ce sentiment. A ses yeux, les Ghanéens d’Elinkine sont mêmes indispensables. ‘’La communauté ghanéenne est très importante à Elinkine. Leur présence permet aux commerçants du village d’engranger des plus-values. Les Ghanéens sont de grands consommateurs. Ils ont loué des maisons un peu partout. Ils ont revalorisé les habitations à Elinkine. Grâce à eux, les villageois parviennent à amortir les coûts investis dans leurs maisons. Les Ghanéens ont aussi employé beaucoup de jeunes de la commune de Mlomp et même du département d’Oussouye, dans le secteur de la pêche. S’ils se retiraient, le quai de pêche d’Elinkine n’aurait plus sa raison d’être. Parce que c’est toute une chaîne, dans la mesure où ils s’activent aussi dans la transformation. Ils font aussi beaucoup de social dans tout Elinkine’’, informe Michel Djonkène Diatta, précisant tout de même que les Ghanéens contribuent également aux préparatifs de la fête nationale du 4 Avril dans la commune de Mlomp.

En plus, ils participent aux activités de la jeunesse du village. La bande à Hamza Issiaka ne s’arrête pas là. Pendant la fête traditionnelle du ‘’Kamagnène’’ qui a lieu chaque année à Mlomp, les membres de cette communauté mettent sur la table une participation symbolique. Un geste salué par l’édile de la commune. Poursuivant, Djonkène Diatta indique que la présence de cette forte communauté de migrants profite à Elinkine, à la commune, mais aussi à tout le département d’Oussouye.

‘’Ils fournissent beaucoup de poissons aux populations du périmètre départemental. Les produits qui ne sont pas transformables sont vendus sur place. Et cela permet aux femmes d’avoir du poisson à amener à Mlomp ou encore à Oussouye. La présence des Ghanéens est plus que bénéfique, d’autant plus qu’ils ne pêchent pas dans les eaux sénégalaises. Ils vont jusqu’en Guinée-Bissau, mais aussi en Sierra Leone’’, ajoute-t-il.

Cependant, le maire de la commune de Mlomp rappelle que tout épanouissement a aussi des inconvénients. Selon lui, ils ont rendu Elinkine ‘’trop sale’’. Par ailleurs, il entend, avec son équipe, travailler à rendre davantage propre ce village quasiment dépourvu de réseau d’assainissement et de sanitaires.

GAUSTIN DIATTA (ENVOYE SPECIAL A ELINKINE)

 

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