Les tragédies d'une histoire
Bigame, père de trois enfants, 37 ans. L'ex-président du Conseil d'administration de la Loterie nationale sénégalaise, Ibrahima Condetto Niang, doit se demander ce qu'il a bien pu faire au destin pour être si fréquemment dans le pétrin. Surtout après son inculpation la semaine dernière par le 1er Cabinet du juge d'instruction.
Du fond de sa cellule où il est en détention depuis la semaine dernière, Ibrahima Condetto Niang médite probablement sur le sort qui l'accable depuis sa naissance. Peu gâté au plan physique par Dame nature, privé de l'affection maternelle dès l'adolescence, ce jeune homme semble condamné à se battre toute la vie pour maintenir la tête hors de l'eau. Alors qu'il avait fini de se remettre de ses douloureuses épreuves, et commencé à prendre son envol, voilà que le destin s'abat derechef sur lui.
Arrêté jeudi dernier, puis écroué le lendemain après un retour de parquet à la prison centrale de Rebeuss au même titre que son ancien Directeur général, Baïla Wane, il renvoie l'image d'un parieur malchanceux. Ou plutôt, d'un parieur dribblé.
Ancien président du Conseil d'administration de la Loterie nationale sénégalaise, Condetto Niang est poursuivi pour complicité avec son ex-directeur général, Baïla Wane. Qui, lui, est poursuivi pour détournement de deniers publics, faux et usage de faux en écriture publique et en écriture privée... Mais pour certains de son entourage, aucun doute n'est possible dans cette affaire : l'homme a été dribblé par son ancien DG, «plus expérimenté que lui», mais aussi «plus roublard». Un fossé qui pousse d'ailleurs son camarade de parti Abdou Khafor Touré, à se demander si sa nomination comme PCA auprès de Baïla Wane n'a pas été une erreur.
Plus convaincu de l’innocence de Condetto Niang dans cette affaire, Mouhamed Massaly va plus loin. «Condetto a été tout simplement sacrifié par ses ennemis aujourd'hui dans l'entourage de Macky Sall», fulmine-t-il sans ambages. «Comment quelqu'un qui a détourné 300 millions peut ne pas avoir de maison encore moins de véhicule», se demande l'ex PCA du Sirn. Qui confie dans la foulée que Condetto Niang «croule depuis un certain moment sous le poids des arriérés de loyer».
Enfance difficile
Né en 1975 à Bargny dans le département de Rufisque à Dakar, Ibrahima Condetto Niang a eu une enfance difficile. Il est garçon unique d'une fratrie de 8 membres issus d'un père diplomate, et d'une mère catholique avant d'embrasser la religion musulmane. A 7 ans, sa vie bascule terriblement. La polio le rattrape et ne le lâchera plus, en dépit des mille et une initiatives de sa mère pour l'en guérir. Les opérations chirurgicales à coup de centaines de milliers de francs Cfa n'y feront rien. Condetto Niang est condamné au handicap, lui le fan invétéré du football.
Les malheurs chez le fils d'Alioune Badara Niang, c'est comme une ADN. Alors qu'il a à peine vingt ans, Joséphine Camara s'en va quitter le monde. C'était sa mère. Désarroi total chez le jeune homme confronté à un destin tragique que l'on trouve très souvent dans les fictions cinématographiques. Il est orphelin.
Auparavant, et face aux obligations professionnelles soutenues de son père, le futur pensionnaire de Rebeuss est confié à Ngoné Ndoye, ex-sénatrice et ancienne ministre des Sénégalais de l'extérieur jusqu'à la chute d'Abdoulaye Wade. ''Je l'ai porté sur mon dos. C'est un garçon honnête, travailleur et stoïque que j'ai vu grandir. Il a beaucoup galéré dans sa vie, mais il a toujours su garder sa dignité'', témoigne la responsable politique libérale. «Je ne lui connais que du bien. Jamais il ne serait capable de faire du mal à qui que ce soit'', renchérit-elle. Ibrahima Condetto Niang est resté avec elle jusqu'à l'obtention de son baccalauréat avant de partir pour la France.
Titulaire d'un Master 2 en Management, le jeune diplômé rentre au bercail en 2004. Il intègre aussitôt le Fonds national de promotion de la jeunesse (FNPJ) comme administrateur. Mais il n'y fait pas long feu puisqu'au bout de deux ans, il est démis de ses fonctions par le président Abdoulaye Wade. A son poste, un jeune loup du Parti démocratique sénégalais (PDS), Abdou Khafor Touré. Selon ses amis contactés par EnQuête, Condetto Niang est parti car il était en désaccord profond avec le ministre de la Jeunesse d'alors, qui était sa tutelle, Aliou Sow. Cette situation tendue conjuguée avec ses sorties répétitives pour clamer publiquement que Wade a échoué, lui vaut ce limogeage.
Traversée du désert
Sans emploi, Ibrahima Condetto Niang replonge dans le désarroi, en dépit de sa conviction qu'il s'en sortirait encore une fois. Mais il est contraint à une horrible traversée du désert. Période durant laquelle il perd de vue des gens qui lui étaient pourtant proches. «Il a vraiment galéré à cette époque. Beaucoup de ses amis l'ont abandonné. Mais il gardait toujours l'espoir qu'il allait s'en sortir un jour», témoigne Khafor Touré avec qui il a séjourné en France au début des années 2000.
Heureusement pour le Bargnois, cette mauvaise passe ne dépasse pas deux ans. Condetto Niang est alors coopté comme Conseiller spécial au PCCI, le numéro un sénégalais des centres d'appels. En 2008, il atterrit à la présidence du Conseil d'administration de la LONASE. Là où les malheurs de la vie le rattrapent. Encore une fois.
ASSANE MBAYE