Macky Sall instaure un régime sec
Ce ne sont pas seulement les services du Ministère de l’Économie et des Finances qui sont mises à contribution pour renflouer les caisses de l’État. Quatre mois après l'installation du nouveau pouvoir, c'est une battue systématique qui est organisée pour identifier des niches où l’État peut puiser des fonds pour financer des programmes dits sociaux. Des restrictions qui devraient permettre d'engranger 50 milliards de francs Cfa.
''L’État a pris la décision d'arrêter toutes les conventions (Ndlr, contrats que l’État signe avec des particuliers pour héberger ses fonctionnaires). Chaque fois qu'un logement se libère, on ne renouvellera plus le contrat. La décision a été prise et elle rentre en vigueur dès à présent''. C'est ce que révèlent des sources autorisées au niveau du Ministère de l’Économie et des Finances. Qui évaluent les fonds ingurgités par ces logements dits conventionnés à 14 milliards de francs Cfa par an. Soit 3,5 milliards de francs Cfa par trimestre. ''Cela va nous permettre de faire d'importantes économies que l'on va injecter dans d'autres secteurs de l’économie et financer des programmes sociaux. On pense pouvoir économiser environ 50 milliards de francs Cfa'', ajoute-t-on du côté des services de l’État.
Des mesures qui seront accompagnées d'opérations d'audit du patrimoine bâti de l’État ainsi que de leurs modalités d'attribution. Le nouveau pouvoir semble déjà s'être fait une religion sur les critères jugés ''peu sérieux'' qui ont présidé depuis quelques années à l'attribution de logements. Si ce sont les hauts fonctionnaires de l’État (ministres, conseillers, gouverneurs, généraux, magistrats, etc.) qui y ont droit, ce sont ''beaucoup d'abus, de clientélisme politique et de discrimination'' constatés, qui vont ''être corrigés''. Mais ce ne sera sans doute pas une tâche facile car il est aujourd'hui difficile de faire l'état exact et l'historique du patrimoine bâti de l'État. ''Certaines villas ou appartements censés appartenir à l’État ayant perdu toute traçabilité, alors que des familles les occupent depuis des décennies'', renseignent des sources proches du dossier.
Justice, Armée, corps de contrôles etc
Les mesures prévues vont au-delà de ces questions de patrimoine. Macky Sall a en effet décidé de revenir sur certains acquis accordés par son prédécesseur, Me Abdoulaye Wade qui, pour s'attirer le soutien de l'administration, n'avait pas hésité à doper les salaires de certains corps stratégiques de l’État. On évoque ainsi une révision des indemnités accordées à de hauts fonctionnaires comme les magistrats (800 000 francs Cfa), une révision du fonds commun liés aux avantages accordés aux “robes rouges”, permettant précisément l'allocation de revenus additionnels aux magistrats (voir décret du 1er décembre 2011), pour permettre à ces derniers de bénéficier des mêmes avantages que les personnels du Ministère de l’Économie et des Finances. Ces mesures ne concernent cependant pas le fonds commun des fonctionnaires du Ministère de l’Économie et des Finances. ''Ce n'est pas la même chose, le fonds commun des fonctionnaires des Finances a été institué pour encourager les recouvrements de l'argent dû à l’État. Et il est perçu sur la base des pénalités appliquées sur ceux qui doivent de l'argent'', dit-on du côté des Finances. Les généraux de l'Armée et de la Gendarmerie sont par contre concernés. Des sources dignes de foi avancent d'ailleurs que la haute hiérarchie militaire a déjà été briefée dans ce sens.
En effet, si l'indemnité de judicature est passée de 150 000 francs par mois à 800 000 francs Cfa, celle octroyée aux hauts officiers de l'Armée (indemnité de logement) a glissé de 250 000 francs Cfa à 500 000 francs. Chercherait-on entre autres à revoir cette indemnité à la baisse ou en priver que cette mesure n'est pas bien accueillie.
Au niveau de la Grande muette, la cure d'amaigrissement annoncée crée des grincements de dents. Même si les généraux ne s'en plaignent pas ouvertement, nombreux sont ceux qui pensent que les avantages octroyés sont à la hauteur des sacrifices consentis. ''On ne peut pas comprendre qu'un général quitte l'Armée, après des dizaines d'années de service, pour rester sans véhicule, être obligé de demander de l'argent pour se soigner etc. Il y a beaucoup de cas dramatiques que seule la pudeur nous empêche de révéler. Certains sont malades, d'autres handicapés pour le reste de leur vie. Octroyer à ces gens-là une maison et une indemnité leur permettant de vivre dignement n'est pas une chose indécente''. Autre argument avancé : ''Un général n'est jamais à la retraite. Il est en deuxième section. L’État peut l'utiliser à tout moment'', indique un de nos interlocuteurs qui ajoute que le pouvoir devrait éviter d'installer la frustration dans l'Armée, en retournant dans des formules rétrogrades. ''Il ne faut pas que la troupe pense que nous roulons sur de l'or. L'armée est presque sur les mêmes grilles depuis la nuit des temps. Nous n'en parlons pas parce que nous sommes des militaires. On ne porte pas des brassards rouges'', souffle-t-on dans la Grande muette.
À noter aussi que les exonérations sur l'eau vont sauter au niveau des casernes. ''Sur 100 grands consommateurs, les 80 sont les corps militaires et paramilitaires. Les sommes sont exorbitantes. On va donc donner des indemnités à la place'', indique-t-on au niveau de l’État. Une kyrielle de mesures qui devraient, selon les estimations faites à l'issue de plusieurs réunions, permettre de faire des ''économies substantielles'', mais aussi, créer, sans nul doute, beaucoup de grincements de dents.
GASTON COLY