Publié le 28 Dec 2020 - 21:27
2,5 MILLIARDS POUR FAIRE FACE A LA DEUXIÈME VAGUE DE LA COVID-19

L’union des artistes fragilisée

 

Le président Macky Sall va mettre 2,5 milliards de francs CFA à la disposition du secteur culturel, en guise de soutien, en cette période de restriction pour les acteurs. Certains artistes et acteurs culturels acceptent de faire taire leurs revendications, le temps que la courbe de contamination soit à la baisse, d’autres ‘’rejettent’’ l’enveloppe et continuent de réclamer la réouverture immédiate des salles de spectacle.

 

Pour calmer les artistes et les acteurs culturels qui dénoncent les mesures de restriction qui les frappent et exigent la réouverture des salles de spectacle, le président Macky Sall leur a alloué la somme de 2 milliards 500 millions F CFA.

En effet, au lendemain du sit-in organisé mercredi dernier à la place de la Nation, le ministre de la Culture et de la Communication, Abdoulaye Diop, a respectivement reçu l’Association des acteurs de l’industrie musicale (AIM) et la Coalition des acteurs de la musique (Cam) pour leur annoncer la nouvelle. Cette somme s’ajoute à l’enveloppe de 3 milliards qui a été allouée au secteur de la culture, dans le cadre du Fonds de riposte Covid-19.

‘’Le président de la République, protecteur des arts et des lettres, a souhaité vous apporter un soutien de 2 milliards 500 millions supplémentaires, parce qu’il a une approche très sensible de tout ce qui se passe présentement’’, a rapporté le ministre. Abdoulaye Diop précise qu’il s’agit d’accompagner les artistes dans leurs activités. ‘’Il ne s’agira pas, pour nous, de refacturer vos charges. Ce n’est pas ça le rôle de l’Etat. Il faut aussi que les choses soient claires. Il était souhaitable d’avoir la solidarité de la nation à travers le chef de l’Etat’’, a avancé M. Diop.

Il en a profité pour justifier la décision de l’Etat consistant à interdire de faire du spectacle dans les boîtes de nuit et débits de boissons, en cette période de pandémie de la Covid-19, alors que la reprise est effective dans les autres secteurs d’activité. Pour lui, ce n’est pas par gaieté de cœur que le gouvernement en a décidé ainsi. ‘’Il y a une augmentation de la maladie à tous les niveaux. Et pour un Etat, la priorité des priorités, c’est de protéger ses populations. Si ce problème persiste, l’Etat sera amené à prendre des décisions plus fortes. Aucun Etat ne voudrait prendre de telles décisions, parce qu’il est le premier impacté dans une pareille situation’’, a ajouté le ministre en faisant allusion à un confinement général. ‘’Vous avez un métier spécifique. Votre métier est différent de celui d’un enseignant. La spécificité de votre métier fait qu’un artiste peut, du jour au lendemain, devenir multimilliardaire grâce à son talent, sa notoriété dans le monde, etc. Ça va vite. C’est comme dans le football’’, s’est-il dédouané.

Mais ces 2 milliards 500 millions de francs CFA risquent de créer plus de problèmes qu’ils n’en résoudront. Cette cagnotte divise déjà les personnalités du monde culturel. Certains artistes et acteurs culturels estiment que cette nouvelle manne financière les détournera de leur objectif, tandis que d’autres s’en réjouissent. Ces derniers indiquent qu’ils vont désormais prendre leur mal en patience, le temps qu’il y ait une tendance baissière de la maladie.  

‘’Ça risque de nous affaiblir’’

Joint par ‘’EnQuête’’, le rappeur et membre fondateur du mouvement Y'en a marre, Simon Kouka, se dit indigné. Il estime qu’il faudrait donner les 2 milliards 500 millions aux forces de sécurité pour encadrer les soirées. Car les 3 milliards octroyés aux artistes durant la première vague de la pandémie n’avaient pas servi à grand-chose.

Ainsi, le directeur général du label Jolof 4 Life déclare : ‘’On ne se battait pas pour qu’on nous donne 2 ou 3 ou même 10 milliards. Ce n’est pas ça le combat. Le combat, c’est pour qu’on rende aux artistes leur dignité. Aujourd’hui, il n’est pas question que les artistes aillent faire la queue, que chacun prenne sa part. Ce n’est pas une question de chanteurs, danseurs ou d’instrumentistes seulement. Ça concerne toutes les personnes qui évoluent dans le secteur culturel. Il y a des gens qui ont investi dans des bâches, des chaises, des scènes de musique, des studios de décoration, etc. Il y a aussi les ingénieurs, les techniciens, etc. Tous ces gens-là font partie du monde culturel. Où est-ce qu’on va les classer ? Comment est-ce qu’on va faire pour qu’ils puissent, eux aussi, payer la scolarité de leurs enfants, le loyer, etc.?’’.

Le rappeur insiste sur le fait qu'il faut penser aux travailleurs qui sont méconnus du grand public. Ainsi, rendre leur dignité aux artistes, c’est autoriser à nouveau les spectacles en réduisant le nombre de personnes que doit contenir une salle en temps normal. ‘’Il faut au moins laisser les artistes se produire dans les bars et restaurants. Il faut laisser les gens gagner leur vie. Ce n’est pas du ‘’caxan’’ (jeu). On n’est pas de ces gens-là qui viennent faire du ‘’wayaan’’ (mendicité) pour qu’on leur donne 2 milliards 500 millions pour qu’ils se taisent. Le combat va continuer. Les revendications vont se poursuivre jusqu’à ce qu’on nous rende notre dignité. Ceux qui se sont battus vont continuer à maintenir leur mot d’ordre’’, prévient-il.

‘’C’est injuste et immoral de partager cet argent. C’est indigne. On a le droit de refuser une aide comme ça, parce que c’est insultant. Si c’était fait avant que les gens ne se lèvent pour se faire entendre, on l’aurait compris. L’accepter, c’est vilipender le combat. Ça risque de nous affaiblir’’, regrette Simon Kouka.

Dans la même veine, le chanteur Sahad du groupe The Nataal Patchwork ‘’rejette’’ cette enveloppe financière du gouvernement. ‘’Nous ne quémandons pas des enveloppes pour nous calmer. Nous ne voulons pas de vos médocs, de vos antidouleurs. Vous anesthésiez les artistes en nous faisant croire que c’est un cadeau de Noël. Nous ne voulons pas de ce Père Noël. Nous voulons de réelles solutions à la situation du statut de l’artiste en général. Remballez vos 2 milliards 500 millions, Monsieur le Président. La culture vaut bien plus que ce pansement !’’, dit-il dans un message adressé au président Sall.

L’artiste-comédien Matar Diouf dit aussi non à cette aide du gouvernement. Pour lui, prendre cet argent signifierait que tout ce pour quoi ils ont lutté ces derniers jours n’aura servi à absolument rien.

De son côté également, l’artiste et réalisateur Septik soutient que les artistes sont dans une situation ou les avancées et les régressions coexistent.  ‘’Nous, ce que nous voulons, c’est travailler. Nous ne sommes pas là pour mendier. Nous savons comment sensibiliser. Donc, on saura comment éviter la maladie. Nous avons l’impression de faire un pas en avant, deux pas en arrière. Nous devons nous inspirer de ce qui se passe aux États-Unis. C’est la plus grande nation du monde et pourtant, les événements continuent. L’Etat doit tenir compte de nos avis’’, souligne-t-il.

‘‘… Mais personne ne refuse la solidarité’’

La plupart de ceux qui sont affiliés à l’Association des acteurs de l’industrie musicale du Sénégal (AIM) ou à la Coalition des acteurs de la musique (Cam) ont salué l’appui du gouvernement. Même s’ils martèlent que leur revendication principale reste l’ouverture des salles de spectacle et des lieux de diffusion.

Au sortir de l’audience avec le ministre Abdoulaye Diop, Zeynoul Sow a salué ‘’l'engagement du ministre de la Culture et du président à améliorer les conditions des acteurs de la culture’’. Le président des AIM considère que le président Macky Sall est conscient de leurs difficultés. ‘’Il ne peut pas nous donner l’autorisation, tout de suite, reprendre les activités, mais ils pensent vraiment aux difficultés économiques et financières des acteurs. Si la tendance va à la baisse, nous allons progressivement reprendre notre activité’’, dit-il.

Les membres de la Cam ont, eux, mis l’accent sur la nécessité de la reprise, au sortir de leur rencontre avec le ministre. ‘’Ce qui est le plus important, c'est le plan de relance. Mais personne ne refuse le soutien. Personne ne refuse la solidarité. Tout le monde est content qu’il y ait ce geste de solidarité’’, a dit Didier Awadi. ‘’Nous tenons à préciser que nous ne sommes pas mus par l’argent. Parce que notre combat va au-delà. Notre combat va vraiment vers la reprise de nos activités. Nous sommes très conscients que la reprise des activités est sujette à caution, quand la maladie augmente, tel que nous l’a dit le ministre de la Culture. Mais ce que nous avions cherché à dénoncer, c’était le traitement inégal qui nous était fait, en sachant que d’autres secteurs à risque travaillent pendant que nous ne le pouvons pas’’, a expliqué Daniel Gomes.

Il a rappelé que le Plan de relance de la culture, élaboré par les acteurs culturels, est basé sur un horizon de 5 ans, de 2020 à 2025. Ce plan quinquennal devrait être effectif depuis le mois d’octobre.

Quid de la répartition des 2 milliards 500 millions ? ‘’Trois milliards avaient déjà été alloués à la culture pour le premier lot des fonds alloués pour la relance économique. Et là, nous allons suivre le même modèle et peut-être essayer de l’affiner encore plus avec la Direction des arts. Nous allons nous concerter. Toutes les parties prenantes vont se mettre autour d’une table pour décider comment nous allons distribuer cet argent et qui sont les principaux concernés’’, a expliqué Zeynoul Sow.

De son côté, la Cam demande au ministre Abdoulaye Diop que la gestion et la distribution de cette subvention restent sous la responsabilité de la direction du ministère de l'Intérieur.

BABACAR SY SEYE  

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