‘’La voie culturelle et cultuelle doit être exploitée, pour une paix définitive en Casamance’’
À travers son nouveau recueil de poèmes intitulé ‘’Le cri de l’ifanbondi’’, le journaliste à la radio Sud FM, Amadou Moustapha Dieng, dénonce le conflit qui perdure en Casamance, sa ‘’terre anténatale’’. Militant de la paix, le poète encourage le cousinage à plaisanterie. Il souligne l’importance de la culture et du patrimoine cultuel dans la recherche de la paix.
Vous décrivez la Casamance comme une terre ‘’généreuse et spirituelle’’. Elle est aujourd’hui souillée par une crise qui perdure. Comment la vivez-vous ?
’’Le cri de l’ifanbondi’’ est un cri que j’ai voulu entendre. C’est un cri que j’ai appelé de toutes mes forces, pour qu’il puisse retentir et transmettre un message fort. Il est question de dire que la Casamance mérite une accalmie. Mieux, elle mérite une paix définitive et totale. Sa population est victime d’un conflit qui dure et qui perdure. Il est temps que les armes se taisent définitivement. Nous-mêmes, poètes, nous avons senti le devoir de prendre notre plume et de nous engager pour parler de la souffrance de la Casamance, à travers notre plume. La Casamance, c’est ‘’Casa di mansa’’. Étiologiquement, ça veut dire la case du roi. Elle est une terre d’exil, de refuge, d’accueil, d’abri, de Teranga. Aujourd’hui, je peux dire que cette terre est souillée par ce conflit, parce qu’elle n’avait jamais connu ce type de violence.
Mais il faut dire qu’avec ce qui est en train de se faire, nous sommes sur la bonne voie. Les choses avancent ; il y a des appels qui viennent de partout. Durant les récentes manifestations notées dans le pays, une belle image a été prise au centre même de Ziguinchor, à la place Jean-Paul 2. C’est celle du jeune homme qui était monté sur l’aile de la colombe (statut). Le drapeau du Sénégal à la main, il le faisait flotter dans le ciel. C’est ça qu’il faut retenir. Cette image est à la fois un message de paix, mais aussi d’appartenance au Sénégal. La Casamance est partie entière et intégrale du Sénégal. La Casamance, c’est l’émeraude du Sénégal. C’est une richesse qu’il faut préserver.
Pensez-vous que la solution pour un retour définitif de la paix pourrait découler de la culture ?
Ce n’est pas juste une croyance, c’est une certitude. C’est quelque chose que j’ai vu, que j’ai expérimenté. Il y avait une histoire de mineurs qui étaient enlevés par des éléments supposés appartenir au MFDC. D’ailleurs, je l’évoque de manière furtive et subtile dans le ‘’Cri de l’ifanbondi’’. Ces jeunes ont été libérés. Et mes recherches m’ont permis de savoir que Sibilumbaye, Sa Majesté le Roi d’Oussouye, avait à l’époque joué un rôle dans leur libération. Rien que la cérémonie de libération de ces otages-là contenait une tonne de messages. Le roi d’Oussouye est à la fois une figure temporelle, culturelle et cultuelle. Il est un prêtre, il est un roi, il a aussi d’autres pouvoirs. Il régit tout une zone qui va même au-delà du Sénégal. Il est influent. Donc, la voie culturelle et cultuelle doit être exploitée pour trouver des solutions.
Mes recherches m’ont aussi permis de voir que cette crise est née d’une frustration - les frustrations naissent dans le cœur des hommes. C’est pour cela que le poète voudrait combattre des frustrations avec l’amour pour taire cette rébellion. Tout est parti d’une histoire d’affectation de terres. Et certains ont pris les armes. En allant dans la forêt, ils ont fait des serments qui les lient et qui lient même leur descendance. Cette dimension mystique est une réalité et elle est inamovible. Les gens y croient dur comme fer. Dès l’instant qu’on bafoue les règles, il y a cette peur des représailles, de recevoir les contrecoups du pacte qu’on aurait brisé. Il y a des gens qui ont noué des pactes qu’il faut défaire. Pour cela, il faut tout un culte, un rituel. Et ça aussi, il faut l’accompagner pendant qu’il est temps pour que ces personnes qui sont dans le maquis puissent être aidées. Leurs familles savent où aller pour régler cette situation-là.
Quels sont vos liens avec la Casamance ?
C’est des liens subjectifs et objectifs. Lien objectif, parce que je suis sénégalais. Et j’ai dit dans le livre qu’on ne doit pas faire de cette crise un problème casamançais ou ziguinchorois tout court. C’est un problème national. Le Sénégal est très étroit comme territoire. Donc, les liens de parenté sont là. Au-delà de ces liens de parenté, il nous faut tous parler de ce problème pour trouver une solution. Les populations du Sud pourront bien savoir que ceux qui sont dans les autres zones du pays sont aussi soucieux de trouver une issue favorable et une paix définitive. Ça, c’est important pour moi.
Il y a aussi d’autres liens qui sont apparus durant cette quête.
Dans mon premier recueil de poèmes qui s’appelle ‘’L’ombre d’un fleuve’’, j’avais adressé à ma mère un poème pour lui demander de me permettre d’entrer dans son jardin secret pour connaitre davantage son histoire, la mienne et celle de ma famille globalement. Et, chemin faisant, elle m’a expliqué qu’enceinte de moi, elle vivait en Casamance, parce que mon père était un colonel de la gendarmerie. Il était envoyé là-bas pour une mission et ma mère l’y avait accompagné. Je suis donc reparti pour me reconnecter. Au-delà de l’écriture, il y a une quête personnelle, une quête sentimentale qui m’habitait. D’où un pèlerinage spirituel pour me reconnecter à ces vibrations-là.
Je savais certainement que la forêt garderait ce type de message codé qui pourrait m’ouvrir des canaux de communication avec mon être primaire et ce que je suis devenu maintenant. J’ai un lien anténatal avec la Casamance. Elle est ma terre prénatale. Léopold Sédar Senghor a son royaume d’enfance. Moi, je réclame ma forêt fœtale. Peut-être que c’est le poète qui parle, mais ces vibration-là, je les ai revécues. Scientifiquement, on dit que le fœtus vit. Donc, cette connexion-là, je l’ai revécue d’une manière ou d’une autre, quand je suis reparti en Casamance. Pendant un mois, j’ai sillonné toute la Casamance. L’atmosphère qu’il y a là-bas, il faut y aller pour le sentir dans sa chair. Ce sont des expériences extraordinaires qu’il faut vivre pour en témoigner.
Justement, ce sont les détails que vous avez évoqués dans vos poèmes qui poussent à croire que vous êtes de là-bas…
J’ai même beaucoup d’amis de la Casamance qui m’appellent pour m’en parler. Ils étaient surpris. Et ils se sont dit que je suis un Dieng de la Casamance. Même quand je leur ai expliqué cette histoire, ils m’ont dit que je reste quand-même un fils de la Casamance. Ils m’ont dit que ce lien que je viens de dévoiler, je l’ai noué depuis longtemps. Dans ce livre, c’est la chair primaire qui a resurgi à travers mon écriture.
La poésie a donc un grand rôle à jouer dans une situation de crise.
La poésie, qu’elle soit parnassienne ou militante, elle a toujours été au centre de la préoccupation. Elle joue même les premiers rôles, en accompagnant toutes les grandes causes. Au Sénégal, les exemples le prouvent à suffisance. Léopold Sédar Senghor, quand il chantait ‘’Femme noire’’, il défendait la cause de la négritude en montrant la beauté africaine. Il y a David Diop avec ‘’Coups de pilon’’, mais aussi les partis de gauche avec leurs poèmes en wolof. Momar Samb a regroupé tous ces poèmes qui étaient déclamés par les jeunes de gauche pour galvaniser leurs troupes. Et jusqu’à présent, il y a la tradition de ces poèmes…
Qu’en est-il de l’hommage que vous avez rendu à la femme casamançaise dans le livre ?
Globalement, la femme occupe une grande place dans la tradition africaine. Ce n’est pas maintenant qu’on va nous parler de leur émancipation. Les populations africaines, au-delà même d’accorder une place, elles vénèrent la femme. Cette dernière a un statut supérieur dans toutes les cultures africaines. En Casamance, les femmes sont les prêtresses, les gardiennes du bois sacré. Ce qui s’est passé tout dernièrement montre leur dimension exceptionnelle. Quand il y a eu ces heurts-là en Casamance, on a vu des femmes du bois sacré sortir et prendre la parole. C’est comme si c’était elles-mêmes qui impulsaient le mouvement. Donc, le rôle des femmes est indéniable. Et ces femmes-là sont à la base des chants, des rythmes, qui sont inhérents à cette poésie. Parce que ce texte, au-delà des vers, c’est aussi une invite au rythme et à la danse.
C’est pour cela qu’on y retrouve beaucoup d’allusions aux instruments de musique, aux danses, etc. La danse est ici comme un moyen de communication. Parce que même dans la douleur, en Casamance on danse. Pour enterrer les morts, la dance est utilisée lors des cérémonies pour communiquer entre le mort et le vivant. Il y a des séances où le mort parle. C’est extraordinaire ! Il y a des choses que l’on voit dans l’immédiat. Tout cela est porté par la femme. Il y a des forces légendaires comme Aline Sitoé Diatta. Et actuellement, pour le retour de la paix en Casamance, il y a une plateforme des femmes qui s’active dans ce sens. Pour moi, c’était une occasion de leur rendre hommage. Rien que pour ces femmes, on doit tout faire pour ramener la paix.
Quelles relations entreteniez-vous avec Abdourahmane Dabo dit ‘’Al Fârûq’’ ?
‘’Le Cri de l’ifanbondi’’, je l’ai dédicacé à ma mère feu Adiaratou Ya Ngoye Diop et à feu Abdourahmane Dabo, champion d’Afrique de slam et de poésie. Il est mort au mois d’octobre. J’étais à Touba pour les besoins du Magal, lorsqu’on m’a annoncé sa disparition. La nouvelle m’avait beaucoup choqué. Coïncidence : ma mère aussi m’a quitté au mois d’octobre. Entre Abdourahmane Dabo et moi, il y a eu une relation fraternelle. Parce que je l’ai connu quand il faisait ses débuts. Pour être très humble, je fais partie des premiers et l’un des rares à l’avoir interviewé, lorsqu’il gagnait le championnat du Sénégal de slam. Il n’était même pas assez connu. Ensuite, on l’a accompagné, et il est parti pour la coupe d’Afrique. Quand il est rentré avec le titre, Fatou Yelly Wardini, moi-même et les autres slameurs, nous nous sommes déplacés jusqu’à l’aéroport LSS, avec l’aide de la Direction du livre, pour l’accueillir. Donc, cette dédicace est une manière de lui témoigner tout l’attachement que je lui portais, même s’il n’est plus des nôtres.
Comment s’est fait le choix des photos de tableaux d’art que l’on trouve sur la première de couverture et dans le livre ?
Ce sont des tableaux de Kalidou Kassé. Non seulement, il m’a fait la première de couverture, mais aussi, il m’a donné huit tableaux pour les apparitions comme je les appelle. Quand j’ai fini la première mouture de ce texte-là, je lui ai remis le manuscrit. Et il est parti en voyage pendant trois mois aux Etats-Unis. Il a eu le temps de parcourir, de voir et revoir tout le texte. À son retour, il m’a appelé. Et je suis allé chez lui, à Nord-Foire. Il m’a dit : ‘’Moustapha, je trouve que ce texte mérite une attention, mon soutien.’’ Il l’a fait de manière bénévole. Ces tableaux coûtent des millions. Si je devais acheter ses droits d’auteur, ce serait beaucoup d’argent. Et il m’a expliqué, quand je suis allé lui remettre quelques exemplaires du livre édité, que le tableau qui représente la première de couverture a été acquis par Pierre Goudiaby Atépa.
Vous êtes aussi chef de desk à la radio Sud FM. Comment est-ce que vous vous organisez pour cumuler le journalisme et la poésie ?
Je ne m’organise pas du tout (rire). Je n’en ai pas besoin, parce que je vis avec ma poésie. D’ailleurs, certains me reprochent d’avoir des textes poétiques au journal. En effet, c’est la même personne qui est poète et journaliste en même temps. Je pense que c’est bien possible. Même dans d’autres métiers, il n’est pas demandé d’avoir des barrières par rapport à son activité professionnelle.
BABACAR SY SEYE