La ville et sa scène artistique en images
Dans le cadre de l’exposition ‘’Bët Dakar’’, les photographes Ina Thiam et Jean-Baptiste Joire exposent sur les murs extérieurs de l’Institut français de Dakar, jusqu’au 31 juillet. Leurs séries de clichés mettent en scène des artistes et acteurs culturels ainsi que des scènes de vie de la capitale sénégalaise.
Les murs de l’Institut français de Dakar deviennent, encore une fois, un musée à ciel ouvert. Vingt-trois magnifiques et immenses œuvres y sont accrochées, dans le cadre de l’exposition ‘’Bët Dakar’’ (bët veut dire œil, en wolof). Elles sont signées par les photographes Ina Thiam et Jean-Baptiste Joire qui ont, chacun de son côté, à sa manière, suivi, documenté et archivé l’histoire de la ville et de sa scène artistique (du stylisme à la musique, en passant par la mode, le cirque et le graffiti). L’exposition a permis d’avoir le portrait d’artistes et d’opérateurs culturels, mais aussi celui de la ville.
Pure fruit du hip-hop, Ndèye Fatou Thiam dite ‘’Ina’’, photographie depuis très longtemps les acteurs des cultures urbaines. Membre de l’association Gënji hip-hop, elle fixe depuis très longtemps la scène du hip-hop. Elle a présenté trois séries : ‘’Arc-en-ciel’’, ‘’Le visage du hip-hop’’ et ‘’Women at work’’ (Jigen ca waar, en wolof). Cette dernière série parle des femmes qui sont dans la culture et dans le sport. ‘’Personnellement, j’ai joué au basket avant d’arriver dans la culture. Je trouve qu’on ne comprend pas les jeunes filles qui font du sport ou qui sont dans le milieu culturel. Leur choix n’est souvent pas accepté. Donc, c’est important pour moi de faire ressortir des modèles qui peuvent inspirer les jeunes filles’’, explique Ina lors d’une visite commentée.
Pour réaliser ses œuvres, elle choisit le paysage ainsi que la tenue que doit porter son modèle. Elle décide de tout. Elle capture des instants de vie, d’émotions, de passion.
Le destin des gens avec l’évolution de la ville
Installé depuis 8 ans au Sénégal, l’artiste français Jean-Baptiste Joire a, pour sa part, exposé une série sur laquelle il travaille depuis 2014. Appelée ‘’Dakar’s Creators’’, la série met en scène des artistes et des opérateurs culturels dans leur environnement. Son travail est proche de celui d’Ina. A la seule différence que Jean-Baptiste Joire laisse à l’artiste ou à l’opérateur culturel choisir l’endroit où il doit être pris en photo. Une manière de mieux saisir le lien entre la personne et le lieu choisi.
Cette démarche lui a permis de découvrir l’histoire saisissante de la circassienne Mariétou Thiam. Il l’a photographiée dans un cirque sis au Point E. ‘’Mariétou Thiam est une personne qui a une forte histoire. Elle s’est opposée à une décision de sa famille qui voulait la marier à 15 ans. Elle avait découvert, à Kaolack, un spectacle de cirque. Elle a prétexté devoir venir étudier à Dakar le droit, pour devenir circassienne. Il y a peu de femmes qui ont la possibilité d’aller s’exprimer à travers des choses comme celle-ci. Elle s’est battue toute seule. Elle a voyagé à l’international ; elle a su surmonter les épreuves et vivre à fond sa passion.
Ainsi, Jean-Baptiste Joire porte son regard sur le destin des gens avec l’évolution de la ville. Qu’elle soit urbanistique, économique, culturelle ou sociale. Par cette petite fenêtre, il fait un travail d’archives avec une petite touche de mise en scène. La règle principale, c’est que le sujet doit être seul dans un lieu.
Tout a commencé avec un portrait de Selly Raby Kane qui a été réalisé devant la gare de Dakar, en 2014, alors qu’elle y préparait un très grand défilé de mode. ‘’C’est quelques années après, en faisant le point sur les images que j'avais compilées, que je me suis rendu compte que la ville de Dakar évolue très rapidement au niveau de l’urbanisme, de l’architecture. Et j’ai eu envie de demander à des personnes dans la ville, d’abord ceux qui étaient proches de moi (des créateurs, des artistes) de me parler de leur Dakar à eux. L’idée est née de cette envie de découvrir des gens à travers la ville et la ville à travers les gens’’, dit M. Joire à propos de son approche.
Ce projet de Jean-Baptiste Joire est toujours en cours. Pour l’instant, il y a 15 portraits. ‘’C’est un projet qui se fait sur le long terme. Comme la ville évolue, certains espaces disparaissent ou se modifient. Plus le temps passe, plus on garde ça comme une archive’’, explique-il. C’est le cas de la maison que l’artiste Amadou Bâ avait complètement aménagée avec des œuvres d’art en pneus, pour en faire un musée à ciel ouvert. Avec l’extension de la VDN, la maison a été détruite. D’ailleurs, c’est dans ce sens que la décoratrice et scénographe Minsy Carrere a choisi de se faire photographier dans le parc de Hann, parce que pour elle, c’est le dernier poumon vert de Dakar. Une autre belle illustration est une photo qui a été réalisée au Cap Manuel, un lieu qui n’est plus accessible aux populations.
‘’Tout le monde a très bien réagi dans le quartier’’
De l’art dans l’espace public ! Le long des rues Joseph Gomis, Carnot et Moussé Diop, en voiture, à moto ou à pied, les passants s’arrêtent et contemplent les jolis clichés. C’est la deuxième fois que trois façades de l’Institut français du Sénégal à Dakar, en plein centre-ville, servent de support artistique. L’institut a été inspiré par la Covid-19. Cette exposition est née à la fin du mois de janvier dernier. On avait décroché le Salon Géew Bi qui était notre exposition sur les murs extérieurs. L’idée, c’est qu’on a voulu les rhabiller, puisqu’on avait mis en place tout le dispositif technique, et qu’à cette époque-là, on ne pouvait pas accueillir les artistes, tel qu’on avait l’habitude de le faire avant’’, a expliqué Olivia Marsaud, Commissaire de l’exposition et directrice de la galerie Le Manège.
Quid de la protection des œuvres ? ‘’On s’est posé la question quand on faisait le salon Géew Bi. C’était comme un test qui a été réussi. Il n’y a eu aucune dégradation extérieure sur les bâches. C’est de grandes bâches qui font 2 mètres de hauteur et presque 5 mètres de largeur. Tout le monde a très bien réagi dans le quartier, parce que ça donne de la joie. Ça donne de l’art sur les murs. L’expo est éclairée toute la nuit. C’est de l’art en continu. Ça anime aussi le quartier’’, s’est réjouie Mme Marsaud. ‘’Comme c’est de la bâche, ça resiste aussi aux intempéries. Quand il y a de la poussière, les équipes de l’institut nettoient tous les samedis matins’’, a-t-elle poursuivi.
Par ailleurs, une soirée de projection de courts-métrages documentaires d’Ina Thiam et de Jean-Baptiste Joire est prévue au mois de juin.
BABACAR SY SEYE