La majorité part en reconquête
Avec le regain des forces de l’opposition politique né de l’affaire Adji Sarr-Ousmane Sonko et de ses développements, la mouvance présidentielle s’est donné comme ambition de rattraper le terrain perdu. Ceci, au risque de répéter des erreurs qui ont mené à l’explosion des violences de début mars 2021.
‘’Oui, l’espoir est permis, avec la lucidité du chef de l’Etat, Son Excellence Monsieur le Président Macky Sall qui, au milieu des soubresauts, a su capter les pulsions profondes du peuple, en prenant le taureau par les cornes, avec des mesures hardies, pour gérer les urgences et l’avenir incarné par tous ces jeunes qui sont nos enfants, nos petits-enfants, nos neveux et nos nièces’’. Par ces mots, terminait, dimanche dernier, le président de l’Assemblée nationale, son discours lors de la rencontre des élus tenue entre les membres du Haut conseil des collectivités territoriales (HCCT), les présidents de conseils départementaux (PCD), les membres du Conseil économique, social et environnemental (Cese) et les députés de la mouvance présidentielle.
Organisées par les cadres de la coalition politique Benno Bokk Yaakaar (BBY), ces retrouvailles étaient l’occasion de réaffirmer leur soutien aux politiques mises en place par le président de la République.
En effet, à la suite des violentes manifestations du début de mois de mars 2021, ayant acté le retour en force de l’opposition, différentes initiatives de ce genre sont prises au sein de la mouvance présidentielle. Le tout dans une stratégie affirmée de montrer du muscle et de prouver que la coalition au pouvoir reste en vie et majoritaire, malgré les soubresauts notés en mars.
Ainsi, différentes activités ont été menées pour réaffirmer la capacité de mobilisation de BBY qui détient 530 communes sur les 557 que compte le Sénégal. Du méga-meeting organisé à Matam par le maire d’Agnam-Civol, Farba Ngom, à la rencontre des élus au Grand Théâtre de Dakar, de grands rassemblements ont été notés, un peu partout. A Kolda, il y a quelques jours, Mame Boye Diao disait, lors de la marche suivie d’un méga-meeting : ‘’Si vous avez une marche faite par deux responsables politiques, qui a mobilisé de plus de 200 mille personnes, sans même qu’il y ait l’implication de tous les leaders politiques de l’APR de la région, vous savez que le président de la République est majoritaire à Kolda. C’est une marche de soutien au président de la République. Ceci pour montrer à Macky Sall que le traitement politique qui a été fait des derniers évènements, avait pour but de ternir l’image du chef de l’Etat, qui a compris le message adressé, surtout par les jeunes et les couches vulnérables. Qu’il faudrait qu’on saisisse le ballon au rebond et montrer au président tout notre soutien dans cette rude épreuve, pour pouvoir l’accompagner, afin de prendre des mesures pertinentes.’’
Cet esprit revanchard a prévalu à Kaolack où un autre méga-meeting a été organisé pour dire au chef de l’Etat que Kaolack reste marron-beige.
Les tenants du régime ont, donc, opté pour une réponse politique aux événements sanglants de mars. Des démonstrations de force, pour se rassurer d’abord. Et, ensuite, pour donner des gages au président Macky Sall. Toutefois, il est très difficile, pour ses responsables politiques, de mesurer actuellement leur cote de popularité.
Dans la mesure où ces mobilisations ‘’Ndiaga Ndiaye’’, dans ces terroirs reculés où les populations sont terriblement frappées par la conjoncture économique, se font à grands renforts d’espèces sonnantes et trébuchantes. Mais toujours est-il que l’objectif a été atteint. Partout, on a assisté à des marées humaines. Des centaines de millions ont été dépensés pour essuyer les sueurs froides ressenties dernièrement. Et, naturellement, la politique a repris ses habitudes, là où étaient attendues des réponses aux multiples doléances exprimées par les jeunes : plus de démocratie, de justice, de priorités vers les populations, de gouvernance sobre et vertueuse, etc.
Seul le président de la République a semblé prendre la mesure concrète du mouvement de révolte de la jeunesse observé le mois dernier. Il a promis de mettre la main à la poche. Des réajustements budgétaires vont permettre de dégager 450 milliards de F CFA en faveur de programme de création d’emplois pour cette catégorie sociale dominante. ‘’Dans l’immédiat, en soutien à l’emploi et aux ménages, j’ai décidé d’allouer, dès le mois de mai, 80 milliards de F CFA au recrutement de 65 000 jeunes, sur l’ensemble du territoire national, dans les activités d’éducation, de reforestation, de reboisement, d’hygiène publique, de sécurité, d’entretien routier et de pavage des villes, entre autres’’, a annoncé Macky Sall lors de son message à la Nation, la veille de la célébration du 61e anniversaire de l’indépendance du Sénégal.
D’ailleurs, le chef de l’Etat ne s’en est pas limité là. Il a reçu plusieurs délégations de militants venues des régions. Des militants, parfois, en colère ou déçus, qu’il fallait apaiser et réconforter.
Dans tous les cas de figure, l’activisme politique noté au sein de la majorité était nécessaire dans ce contexte délicat, pour reprendre du poil de la bête et sortir de la posture défensive dans laquelle elle était engluée. Pour les gains politiques, il faudra attendre de voir.
Par contre, la démarche essuie quelques critiques. Car la pandémie est encore présente et que les voix officielles appellent au respect des mesures barrières contre la propagation de la Covid-19. De ce fait, ces rassemblements indisposent Pape Samba Mboup, ancien Ministre sous Wade et soutien de Macky Sall au niveau de la Conférence des leaders de Benno Bokk Yaakaar. Il préconise une autre solution pour investir le terrain politique : ‘’Tout le monde, depuis la réunion avec le président, se précipite pour tenir des meetings. Pour moi, ce n’est pas le moment de tenir des meetings. Les meetings sont d’abord folkloriques, coûteux et les gens se déplacent dans ce contexte de Covid-19. La solution, c’est de mettre sur pied de petites commissions légères de quelques membres, moins coûteux, qui vont aller vers les populations dans les communes, dans les départements…’’, dit-il.
Macky pour trancher à propos des Locales
Car il faut se refaire une santé politique avant l’organisation des élections locales. A la Commission politique du dialogue national, il n’y a toujours pas de consensus entre la majorité, les non-alignés et les représentants de la société civile, sur la date de tenue de ces élections locales. Le troisième report de ces joutes a été acté par l’Assemblée nationale, avec l’adoption, le 3 avril dernier, du projet de loi n°05/2021 portant report des élections territoriales et prorogation des mandats des conseillers départementaux et municipaux. Alors qu’un mois sépare les dates ultimes souhaitées de chaque côté (janvier 2022 pour la majorité et décembre 2021 pour l’opposition, les non-alignés et la société civile), l’on se rejette la faute. Ce qui fait que l’on s’achemine vers un arbitrage du président de la République, amené à fixer la date de tenue des élections.
Plan bien ourdi depuis son appel au dialogue après sa seconde victoire à la Présidentielle de février 2019 ? Macky Sall avait pratiquement réussi toutes ses entreprises dans ses opérations politiques de déstabilisation de l’opposition. Seulement, l’épisode Ousmane Sonko a apporté un imprévu à la marche des plans du pouvoir. Comment s’en relever ? Une première étape, pour le président, serait de ne pas répéter les erreurs qui ont perdu Abdoulaye Wade en 2012. Lui qui avait si bien appris de son désormais ami Idrissa Seck et de ses torts, lors de la Présidentielle de 2007.
Lamine Diouf