Eto’o au bout de son combat
Après une campagne difficile, l’ex-attaquant du Barça et de l’Inter a été élu président de la Fédération camerounaise.
En ce samedi d’élection présidentielle à la Fédération camerounaise, un pays retient son souffle. Dans la salle où les 74 délégués, issus des différentes ligues, sont amenés à proclamer leur prochain dirigeant, la tension grimpe crescendo. Le président de la commission électorale explique longuement le mode de désignation devant les très pointilleux représentants des deux derniers candidats en lice, Samuel Eto’o et Seidou Mbombo Njoya, le sortant, tous les autres s’étant désistés. Chacun y va de sa récrimination, de sa requête au bout d’une campagne parsemée de chausse-trapes et des coups en tout genre. Au début, certains édiles estimaient même que la double nationalité de Eto’o (espagnole et camerounaise), 40 ans, invalidait son ambition…
La veille du scrutin, les réseaux sociaux bruissaient encore de l’arrestation de Njoya en raison de malversations liées à sa gestion de la Fecafoot. Une fake news de plus. Eto’o a même été contraint de demander à ses partisans, très nombreux et bruyants, d’accepter le résultat. Il est allé, dans la rue, les rassurer. Et leur demander surtout de ne rien détériorer en cas de défaite…
Beaucoup craignent des débordements alors que l’ancien du Barça ne semble pas le favori des bookmakers. L’inquiétude enfle donc à l’approche du duel, tant les attaques ont fusé entre les deux camps. Au bout d’une longue attente, des heures de palabres, le vote débute. En mondovision. Le décompte commence. Eto’o s’envole petit à petit. Son visage s’éclaire. À l’instant du final cut (43 à 31 au final), il explose comme rarement. Le héros du peuple, pas loin des larmes, tombe dans les bras de ses proches, de ses collaborateurs. Le voilà président, lui le gamin rêveur de New Bell, quartier ultra défavorisé de Douala, lui l’enfant démuni qui quémandait quelques sous pour se payer des chaussures de sport.
Il assure ne pas vouloir recevoir un centime de son poste
Depuis le début de sa campagne, dans un pays où les appartenances régionales et religieuses pèsent lourd, Eto’o n’a cessé de se battre, il a récupéré des soutiens dans des endroits où il apparaissait en difficulté, et notamment dans le grand Nord, fief musulman proche de son adversaire. Il s’est attaché, au dernier moment, les faveurs de l’homme le plus riche du pays, Baba Danpullo, de confession musulmane. La photo de leur rencontre l’a-t-il aidé à convaincre certains proches de Njoya ? Le poids moral et financier de Danpullo ne l’ont pas défavorisé en tout cas…
Mais Eto’o ne s’est pas contenté de ça. Dès le mois de septembre, il avait dévoilé son programme, basé sur le renouveau du foot camerounais, tombé totalement dans l’oubli, Championnats en crise, joueur(e) s laissés pour compte. Ensuite, il a pris le temps de convaincre les acteurs, avant de déposer son dossier, accompagné d’une foule de partisans. Aujourd’hui, il assure ne pas vouloir recevoir un centime de son poste. Il met en avant la recherche des sponsors, la mise en valeur de la jeunesse, des femmes, des clubs, le développement d’une fédération enfin professionnelle.
Une première étape vers la présidence de la Confédération africaine ?
Eto’o propose même de payer la formation des journalistes sportifs locaux pour les aider à mieux appréhender le métier. À la FIFA, comme à la CAF, les messages de félicitations tardent pourtant à arriver. Comme si ces huiles avaient préféré conserver leur ami d’avant. Eto’o, l’électron libre, peu maniable, se méfiera, regardera autour de lui pour s’éviter des problèmes. Il suivra notamment avec attention Abdouraman Hamadou, dirigeant de l’Etoile filante de Garoua, et poil à gratter du foot local, capable d’attaquer au TAS cette élection pour non-conformité. Il a déjà remporté plusieurs batailles devant certaines juridictions mais il lui sera peut-être plus compliqué d’aller au bout ici car depuis bien longtemps, le Cameroun, en proie à des graves tensions internes, entre crise anglophone et attaques islamistes, n’avait pas connu une telle communion populaire.
Sur le continent, ce succès marque aussi la prise de pouvoir d’un personnage hors norme. Didier Drogba (voir ci-contre) s’est fendu d’un message sur Twitter pour le féliciter, comme bien d’autres pointures africaines. Eto’o, destin en or, qui a fédéré les Lions indomptables derrière lui, aura l’honneur de recevoir la CAN en janvier (9 janvier-6 février) dans des habits de président. Après l’avoir remporté deux fois comme joueur (2000 et 2002). Il serait surprenant qu’il ne rêve pas plus tard de prendre en main la Confédération africaine. Une autre histoire. Mais pour Eto’o, qui n’a cessé d’élargir son horizon depuis son enfance miséreuse, rien n’est tout à fait impossible…
Lequipe.fr