Publié le 20 Jan 2022 - 20:55
NON PRISE EN CHARGE SÉRIEUSE DU CADRE DE VIE

Les déchets de la campagne

 

Enjeu essentiel de la gouvernance des collectivités territoriales, la gestion du cadre de vie ne semble pas être le dada pour beaucoup de candidats. Quand ils n’escamotent pas tout bonnement la question, ils en parlent de manière très peu sérieuse.

 

C’est un problème pour l’écrasante majorité des collectivités territoriales et de leurs populations. Mais la question est très peu prise en charge par les différents candidats. Quand ils n’en parlent pas de manière très superficielle, c’est surtout des slogans assez généralistes, sans aucune planification véritable.

En réalité, semble dire le directeur exécutif de l’ONG 3D Moundiaye Cissé, ceci n’est nullement une surprise. Il déclare : ‘’Je ne sens pas vraiment une réelle prise en charge de la question dans la campagne. Et je ne m’y attendais pas du tout. Pour la bonne et simple raison que c’est une question très technique que la plupart des candidats ne maitrisent pas. Quand ils l’abordent, c’est pour, la plupart, de façon superficielle. Les véritables questions qu’ils doivent se poser sont souvent passées sous silence.’’

Parmi ces nombreuses questions, explique M. Cissé, il y a le statut de l’UCG, les dispositions du Code de l’assainissement… La vérité, affirme-t-il, c’est que certains candidats ne maitrisent même pas leurs prérogatives. ‘’Beaucoup de candidats, souligne-t-il, partent à ces élections sans maitriser leurs prérogatives. Ils vous diront, par exemple, que l’assainissement n’est pas une compétence transférée, alors que le Code de l’assainissement est très clair. En ses articles L7 et L11, il donne des prérogatives aux collectivités territoriales qui peuvent aller jusqu’à l’élaboration d’un plan directeur d’assainissement. Ce sont donc des questions que les candidats doivent pouvoir adresser, mais on ne fait pas toujours l’effort nécessaire pour les maitriser. Si on prend l’exemple des maires en exercice, beaucoup parlent de l’UCG d’une manière qui témoigne de leur méconnaissance des liens organiques entre l’UCG et les collectivités. Ce qui ne facilite évidemment pas la question’’.

Sur cette question, le secrétaire général du Syndicat national des travailleurs du nettoiement, par ailleurs coordonnateur des inspecteurs à l’UCG, Madany Sy, regrette les carences des collectivités territoriales. ‘’Nous, quel que soit le candidat élu, ce qui nous intéresse, c’est que cette question soit correctement prise en charge. Tout le monde sait que le nettoiement est une compétence transférée, mais, malheureusement, nous on ne sent pas l’apport des collectivités territoriales par rapport à la gestion des déchets. Souvent, ils disent que l’Etat leur a transféré des problèmes, pas des ressources. Ils sont prompts à aller dans les marchés, collecter des taxes, mais ne les réinjectent pas. On dirait que la propreté des marchés ne les intéresse même pas’’, indique le syndicaliste. Et de fulminer : ‘’La mairie attend que l’UCG récupère ces ordures dans les marchés, alors qu’elle y va pour collecter des taxes. Elle a un budget pour ça. Ce qu’il faut savoir, c’est que les agents de l’UCG n’ont pas le droit d’entrer à l’intérieur des marchés. Les mairies doivent le faire, mais ce n’est pas le cas. Pourtant, ils recrutent des personnels dans ce sens. Du moins, c’est ce qu’ils prétendent.’’

La fuite en avant des maires

Ainsi, les collectivités territoriales semblent tout attendre de l’Etat et de l’UCG. Ces derniers, souvent, utilisent les instruments à des fins de politique-politicienne. Pour Moundiaye Cissé, il y a en fait un manque de clarté : ‘’Les rapports sont un peu flous pour beaucoup d’acteurs. Il y a donc une nécessité d’une mise à niveau des prochains élus, mais aussi un renforcement de leurs ressources humaines et de leurs ressources financières.’’

Selon le directeur exécutif de l’ONG 3D, les collectivités territoriales manquent non seulement de ressources financières, mais aussi de ressources humaines leur permettant de prendre en charge correctement ces questions. Mais à l’en croire, ce manque de ressources n’est pas seulement d’origine étatique. ‘’Les responsabilités sont partagées. C’est vrai qu’il y a des lacunes en matière de transfert des ressources. Mais elles aussi font des recrutements basés sur la clientèle. Elles ne recrutent ni en fonction des compétences ni en fonction de leurs besoins. A part la ville de Dakar ou quelques grandes villes, il n’y a pas de personnels qualifiés dans la plupart des collectivités. Du coup, elles sont dans le pilotage à vue, dans le saupoudrage, dans le ‘taf-yeungueul’ 1comme on dit’’.

Aussi, souligne Moundiaye Cissé, la gestion des déchets au niveau des collectivités territoriales est gangrénée par les querelles d’ordre politicien. Il rappelle l’exemple du différend entre la ville de Dakar, dirigée à l’époque par le maire Khalifa Sall, et l’Etat du Sénégal. Lequel différend avait abouti à la mise en place de l’UCG. A entendre Madany Sy, la question de la politisation de la gestion est effectivement un véritable problème. ‘’C’est bien beau de faire des Cleaning Day. Mais nous, nous faisons du Cleaning every night and day. Mais il y a une forme de politisation qui ne dit pas son nom. Le nettoiement, c’est du sérieux, ce n’est pas du folklore. Il faut des moyens matériels, des moyens financiers, des moyens humains. Aussi, il faut un plan pour nous dire, par exemple, qu’à l’horizon 2035, voilà ce que nous voulons faire de nos villes’’.

Embouchant la même trompette, Moundiaye Cissé estime que c’est là où des pays comme le Rwanda arrivent à damer le pion au Sénégal. ‘’Ce sont des pays qui ont des plans et qui veillent à leur application rigoureuse. Qu’il s’agisse de plan d’urbanisme, de plan directeur d’assainissement... Au Sénégal, on fait des plans, mais on ne les respecte pas. Si je prends l’exemple de Kaolack, elle disposait d’un plan directeur d’assainissement intégré en 2011, financé par le Japon et qui prenait en charge aussi bien les déchets solides que liquides. Rufisque également avait un plan qui date de 1999-2000 et qui était budgétisé à 30 milliards F CFA. Mais on ne les applique pas’’, a-t-il relevé, avant de mettre en garde : ‘’On va vers la gestion des déchets pétroliers et gaziers. Cela va impacter certaines collectivités territoriales. Et je doute que les collectivités concernées en aient pris conscience. Il est prévu une Unité de gestion des déchets solides et gaziers au niveau de Diamniadio, mais est-ce que les collectivités autour sont impliquées ? Quels vont être les rôles des collectivités ? Comment se fera le traitement de tels déchets pétroliers et gaziers. Voilà des enjeux très importants, mais, on ne sent pas les collectivités, on ne sent pas les candidats.’’

Ces candidats qui semblent bien se soucier du cadre de vie

Cela dit, certains candidats à Dakar semblent faire office de bons exemples, si l’on en croit le secrétaire général du Syndicat national de nettoiement. Il s’agit principalement d’Abdoulaye Diouf Sarr, candidat de Benno Bokk Yaakaar, et de Soham El Wardini, candidate de l’Union citoyenne Bunt Bi. ‘’Pour le moment, seul Diouf Sarr a cherché à nous rencontrer. Il nous a présenté son programme pour le nettoiement pour Dakar. Aussi, il nous a dit que s’il est élu, il accordera une priorité particulière à la gestion des déchets, mais surtout à la gestion du cadre de vie. Maintenant, nous savons que les promesses de campagne n’engagent que ceux qui y croient. On constate juste qu’il est venu nous voir et nous a entretenus de son intérêt pour le sujet. Je dois aussi dire que c’est un sujet qu’il connait bien, en tant que quelqu’un qui était au cœur de la création de l’UCG, en tant qu’ancien ministre des Collectivités territoriales’’.

Pour ce qui est de la maire sortante de Dakar, le coordonnateur des inspecteurs de l’UCG salue non seulement son programme qui accorde une bonne place à la propreté de la capitale, mais aussi à son implication durant le temps qu’elle a été à la tête de Dakar. ‘’Pour Soham, elle ne nous a pas rencontrés, mais j’ai vu son programme, surtout par rapport à son projet ‘Dakar ville propre’. On sent qu’elle y tient beaucoup. Et par rapport à la gestion du mobilier urbain, elle travaille beaucoup avec l’UCG. Il y a vraiment une parfaite collaboration entre elle et l’UCG dans le cadre notamment de la gestion du matériel. Elle a eu à distribuer beaucoup de matériel pour permettre aux agents de l’UCG d’accomplir leur mission. Quant aux autres, je n’ai pas vu ce qu’ils proposent’’.

Les secrets de la réussite des pays comme le Rwanda

Candidat à la mairie de Rufisque, Oumar Cissé est également un éminent spécialiste de la question, qui a eu à monnayer son talent dans les pays cités en référence. Ingénieur polytechnicien, titulaire d’un Ph.D en aménagement urbain, il revient sur le succès des pays comme le Rwanda. Outre la volonté des dirigeants, il y a également une autorité qui s’exerce. ‘’La volonté, précise-t-il, elle consiste à dégager des budgets suffisants, une clarification en amont des compétences, le respect des rôles et responsabilités de tous les acteurs. Ensuite, il faut que l’autorité s’exerce à tous les niveaux. Le balayage doit être très bien fait. Après le balayage, il faut être rigoureux dans le conditionnement, l’évacuation des déchets, leur valorisation et l’élimination de ce qui ne peut pas être valorisé. Malheureusement, on souffre à tous les niveaux. Mais pas que ! Nous souffrons également d’une instabilité institutionnelle qui ne favorise pas la performance, en plus d’un problème de comportement des citoyens’’. 

Le candidat et non moins expert regrette aussi beaucoup d’insuffisance dans le système de valorisation. Il insiste : ‘’La valorisation se fait de façon informelle. On n’a pas encore réussi à mettre en place une chaine de valeur performante de valorisation, parce que nous n’avons pas de centres d’enfouissement, d’élimination correcte, pour résumer un peu’’, relève-t-il, non sans ajouter : ‘’Nos déchets sont constitués de 25 %, 26 %, jusqu’à 30 % de déchets organiques. Les solutions existent pour une valorisation optimale.’’  

95 milliards pour un cadre de vie sain à Rufisque

Candidat pour la ville de Rufisque, M. Cissé parle de la question avec beaucoup d'interrogations. Pour lui, les solutions sont largement à la portée. Il revient sur son programme. ‘’Notre programme est adossé au Plan de développement urbain durable horizon 2035. Moi, j’ai été un acteur majeur de ce plan, pour avoir été le président de la Commission scientifique de l’équipe des experts, dans le cadre des assises de Rufisque. La façon dont ce plan a été fait montre l’immensité du travail qui a été accompli. C’est un programme qui comportait un plan d’action prioritaire 2016-2020. Hélas, ce plan d’action n’a jamais été appliqué convenablement’’.    

Dans le cadre de ces travaux, renseigne-t-il, c’est entre 190 et 200 experts rufisquois, toutes disciplines confondues, qui ont bénévolement contribué à ces travaux pendant six mois. ‘’Nous avions également en amont organisé des consultations citoyennes, tenu des forums avec les communes, et enfin la validation par la ville elle-même. Il sera difficile d’avoir un diagnostic aussi complet’’. Relativement à cette vision, il précise : ‘’C’est six objectifs stratégiques, 27 lignes d’actions, 99 actions pour un coût de 95 milliards F CFA. Malheureusement, ce beau plan n’a pas été mis en œuvre. C’est un plan sur cinq ans, qui implique l’Etat, la ville et les partenaires. Vous verrez, par exemple 12,5 milliards pour la gestion des eaux usées, 11 milliards pour l’érosion côtière, 1,5 milliard pour la création d’une unité de valorisation des déchets…’’


PROGRAMME DE L’ETAT

Quelques initiatives de l’Etat

Du côté de l’Etat, pas mal d’initiatives ont été mises en œuvre dans le cadre de la prise en charge de cette lancinante question. Parmi ces initiatives, il y a les journées Cleaning Day ou Besup Setal, le recrutement de 12 000 agents prévu dans le cadre du Programme Xeyu Ndaw Yi, mais surtout la mise en place du Promoged d’un budget de 206 milliards F CFA et qui va impacter plus de 150 communes. L’un des piliers de ce programme, c’est la création de centres aux normes dans plusieurs régions du pays, mais aussi, et surtout la restructuration de la décharge de Rebeuss en cours. Aussi, il y a les compétitions entre quartiers, le prix du chef de l’Etat… pour susciter un changement de comportement auprès des populations.

En attendant, la vérité est que des tas d’immondices continuent de joncher les artères des villes et des campagnes un peu partout sur le territoire national. Enfin, il y a la Société nationale de gestion des déchets qui a été prévue et que les agents attendent avec impatience. 

MOR AMAR

 

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