Le secteur minier se calque sur les hydrocarbures
Les autorités ont prêté une oreille attentive aux populations de Kédougou, pour intégrer leurs besoins, dans le cadre de la loi relative au contenu local dans le secteur minier. Les avis des populations des régions de Fatick, Matam et Saint-Louis seront aussi recueillis.
Il y a déjà une loi sur le contenu local dans le secteur pétrolier, mais, ce n’est pas encore le cas pour le secteur minier. Aujourd’hui, le Sénégal compte fusionner le secteur des hydrocarbures avec celui des mines. ‘’On aura une loi générale qui va concerner les deux secteurs, vu les similarités. Mais pour les décrets d’application, il y a des spécificités. Il faudra tenir compte des potentialités qui existent dans les différentes régions minières. Peut-être, Kédougou a des opportunités que d’autres régions comme Thiès, par exemple - qui est aussi une région minière - n’ont pas’’, a expliqué le secrétaire permanent adjoint et responsable gestion des données du Comité national de l'Initiative pour la transparence dans les industries extractives (CN-ITIE) Sénégal, Alioune Badara Paye, lors d’un atelier régional de partage du rapport ITIE 2020, à Kédougou.
Dans ce sens, les autorités ont rencontré les populations de ladite région, avant celles des régions Fatick, Matam et Saint-Louis, pour une discussion relative au contenu local dans le secteur minier. L’objectif de ce rendez-vous étant, pour les gouvernants, de recueillir les recommandations des populations pour ensuite les peaufiner, avant de les porter au plus haut niveau.
L’une des recommandations fortes des populations de Kédougou, c’est qu’il y ait une valorisation des sociétés nationales. En effet, selon elles, dans cette région où les entreprises gagnent des milliards, les besoins des nationaux ne sont guère satisfaits. Elles proposent que l’on enlève, dans le Code minier, le terme ‘’Achats locaux’’ pour le remplacer par ‘’Acheter localement’’. ‘’Nous ne sentons pas l’impact des retombées dans cette exploitation que font les sociétés minières. Les offres d’emploi ainsi que les passations de marchés sont cachées. Au-delà de ce que les entreprises annoncent en termes de milliards, il faut qu’on le sente à travers la formation, les bourses d’études et les emplois qualifiés. Aujourd’hui, nous avons du potentiel, car, de 2005 à maintenant, nous avons des cadres. Au Mali ou au Burkina Faso, il y a des jeunes qui occupent des postes de responsabilité. Il faut qu’on aille dans cette dynamique’’, a recommandé le président de la Commission régionale de l’élevage, Ousmane Mamadou Soumaré.
‘’Nous devons avoir la capacité de développer le secteur privé local, en poussant les entreprises minières à donner des marchés aux entrepreneurs locaux de la région. SGO est là depuis 14 ans, mais on ne voit pas d’entrepreneurs avec qui elle travaille. A chaque fois, c’est le même discours. On nous dit qu'il n’y a pas d'entrepreneurs qualifiés au niveau de la région, alors que c’est archi-faux !'', martèle Daouda Danfakha, habitant de la région.
26 sociétés employaient 9 409 personnes en 2020
En effet, le rapport ITIE 2020 informe que les 26 sociétés retenues dans le périmètre de rapprochement de 2020 ont communiqué le détail de leurs effectifs. Elles employaient 9 409 personnes en 2020. La majorité des effectifs, soit 95,68 %, sont des nationaux. La masse salariale globale déclarée est de 106,7 milliards F CFA dont 98,3 milliards pour les employés du secteur minier et 8,4 milliards F CFA pour les employés du secteur des hydrocarbures. Les femmes sont au nombre de 724 et représentent 7,69 % de l’effectif global.
Toutefois, on note un nombre prépondérant d’expatriés occupant des postes de cadre supérieur : 376 (337 en 2019) expatriés contre 431 (313 en 2019) Sénégalais.
Le gouverneur de la région de Kédougou, Saër Ndao, a pu apporter des éclairages sur cette situation. ‘’L’étranger qui vient avec son sac d’argent, il impose le personnel qu’il veut. Il vous dit : ‘Je recrute tant de personnes.’ Si on n’a pas l’expertise en ça, il va la chercher ailleurs’’, dit-il. Avant de demander aux populations d’occuper leur espace : ‘’Vous vous retrouvez dans votre propre village, en tant que sénégalais, avec 60 étrangers sur 70 personnes. On a failli élire un chef de village malien, quelque part ici au Sénégal.’’
Ainsi, pour une mise en œuvre efficiente du contenu local, M. Ndao a rappelé ce que doit être le comportement des populations autochtones pour accompagner la volonté de l’Etat de ‘’faire bénéficier exclusivement des retombées du contenu local aux populations locales''. Pour cela, il souligne qu’il ne faudrait pas couvrir des étrangers pour leur permettre de gagner ce que l’Etat devrait capter. ‘’Il y a un chef de village qui a caché un Burkinabé dans sa demeure pour qu’il exploite clandestinement. Au moment où je demande à la gendarmerie d’y aller, on lui donne l’information pour qu’il fuie’’, a-t-il relaté.
En effet, au Sénégal, l’extraction artisanale et à petite échelle (Emape) d’or constitue à la fois un secteur important, du point de vue écologique, social et économique, et un secteur où la grande partie des activités est informelle. ‘’Ce que les sociétés minières mettent sur la table, moi, je dis qu’il faut mettre plus. Il y a l’impôt direct. Il faut qu’on s’organise pour que ces impôts directs aillent vers les populations’’, a dit Saër Ndao.
Prépondérance d’expatriés…
Conseiller à la présidence de la République, Mamadou Ndiaye a abondé dans le même sens. ‘’Il faut aussi défendre l’image du Sénégal pour que les investisseurs viennent au Sénégal’’, dit-il. Prenant un exemple sur le pétrole, il rappelle que le Mali, la Guinée, la Gambie la Guinée-Bissau et le Ghana en ont. ‘’Mais, dit-il, personne n’y est allé. Ils sont venus au Sénégal. Ce n’est pas parce que nous avons joué au gentil. Nous avons une stabilité politique pour que les gens viennent investir ici, avec l’assurance qu’ils auront un retour. C’est à conserver aujourd’hui et demain. Nous avons des négociateurs fermes, sérieux et professionnels’’, soutient-il.
‘’Nous avons la matière, l’expertise. Ce qu’il faut avoir, c’est une position courageuse, pour que plus tard, là où le Sénégalais a la plus-value au niveau de l’expertise, qu’il puisse prendre le relais. Le but de cette opération est de prendre le relais, demain, pour que nous puissions contrôler notre économie par nous-mêmes’’, dit-il, donnant l’exemple des Chinois qui ont sollicité la France pour le TGV et qui en font aujourd’hui, et du Sénégal qui a demandé aux Turcs de lui faire un train et un stade. ‘’Dans cinq ans, nous allons faire nos propres stades. Nous avons demandé à la France de venir nous vendre un TER où aujourd’hui 80 % des conducteurs sont des Sénégalais et la moitié d’entre eux sont des femmes. Donc, d’ici quelques années, nous allons pouvoir prendre en charge notre économie. Pour l’heure, nous sommes ouverts et francs’’, dit-il.
De son côté, Cheikh Diop du Conseil économique, social et environnemental estime qu’il faudrait changer de mentalité au niveau de la gestion, pour que les entreprises locales s’impliquent et s’intègrent de façon efficiente. ‘’On a des sociétés familiales. Il faut qu’on aille vers des consortiums : se regrouper pour être forts. Ce n’est qu’ainsi qu’on pourra profiter pleinement du contenu local. Si le capital privé national est incapable de capter les 10 % de sa participation dans le secteur minier, il faudrait qu’on ait une alternative pour qu’il s’organise et qu’il soit fort’’, indique-t-il.
Il faut préciser que le projet de loi prévoit un fonds d’appui au développement du contenu local. Et un comité national de suivi sera créé.
Exonérations sur la fiscalité
La question des exonérations sur la fiscalité locale a aussi été au cœur des discussions. Le conseiller départemental de Kédougou, par ailleurs conseilleur technique chargé des droits humains, Amadou Keita, et le premier adjoint au maire de Kédougou, Olivier Banga, ont indiqué qu’il faut ‘’éviter d’abuser sur les exonérations fiscales’’. A Sabadola, par exemple, le premier lingot d'or a été inauguré en 2009, c’est six ans plus tard, voire plus, que l’exonération fiscale de la SGO a pris fin. Il faut dire que l’exonération ne permet pas de soutenir la mobilisation des recettes. Les seuls paiements dont bénéficient directement les communes se rapportent aux taxes et impôts locaux qui ne sont pas spécifiques au secteur extractif. Ces recettes sont recouvrées par le Trésor public dans les conditions de droit commun, puis transférées en totalité au profit des collectivités territoriales d’implantation des sociétés extractives.
La revalorisation des sites exploités a été aussi évoquée. Une question qui a particulièrement préoccupé le président du Conseil départemental de Saraya, Sadio Dansokho. ‘’Sabadola, c’est des milliers de terres renversées, creusées parfois jusqu’à 1 000 m de profondeur. La réhabilitation doit suivre la logique de l’exploitation. On ne doit pas attendre la fin de l’exploitation’’, a-t-il plaidé.
Les agriculteurs ont, pour leur part, notamment réclamé qu’on leur réserve des terres cultivables. ‘’Le secteur de l’agriculture a toutes les potentialités. Mais il est tellement menacé dans la région de Kédougou, plus précisément dans le département de Saraya. ‘’Avec les activités des sociétés minières, les terres ne seront plus fertiles pour les générations à venir. Le présent est important, mais il faut penser à l’avenir. Tout récemment, il y avait un projet qui accompagne le GIE. Mais pour bénéficier des opportunités, il faut avoir maximum 15 ha. Alors qu’il y a beaucoup de GIE qui se sont formalisés qui n’ont pas pu en bénéficier’’, ont-ils regretté.
BABACAR SY SEYE (Envoyé spécial)