La RTS au banc des accusés
Le problème de la diffusion des films documentaires se pose au Sénégal. Face à ce souci, les documentaristes accusent des chaînes de télévision comme la RTS. Comme solution pour avoir un temps d’antenne, des professionnels estiment qu’il faut calquer sur le mode des séries télévisées.
La production d’œuvres cinématographiques connaît un essor au Sénégal, mais, les professionnels devraient trouver les moyens de valoriser davantage le film documentaire. L’un des principaux problèmes de ce genre cinématographique est lié à la diffusion. Comment les films documentaires peuvent continuer à vivre, à être diffusés, en dehors de festivals ? Une question pertinente qui mérite des réponses exhaustives. Il y a la difficulté de l’accès à la télévision. Les chaînes de télé, comme la RTS, sont pointées du doigt. Ainsi, les cinéastes n’apprécient guère le fait que cette chaine nationale refuse d’acheter ou de préacheter un film, et attend de le recevoir gratuitement pour le diffuser.
Monteur et directeur de la postproduction du centre Yennenga, Makha Bao Fall estime que les télévisions sénégalaises devraient ouvrir une petite fenêtre pour vulgariser le documentaire. ‘’A la télé, il n’y a pas d’espace pour le documentaire. C’est inadmissible. On ne devrait même pas avoir à se battre pour des projections. Ça devait porter son fruit. On devrait avoir notre lucarne au niveau des télés, parce qu’il y en a à peu près sept’’, s’indigne-t-il. ‘’Quand je prends toute la filmographie de Laurence Gavron qui a filmé les patrimoines, personnages incontournables du Sénégal, pour moi, c’est primordial que la RTS ait un programme spécialement dédié à ça’’, poursuit-il.
Il assure qu’au niveau du centre Yennenga, le problème de la diffusion sera pris en charge. Pour l’heure, des efforts considérables sont en train d’être faits. D’ailleurs, c’est pour cela que le centre donne de l’importance à la postproduction. ‘’Un film, une fois qu’il est tourné, il faudra le montrer. Il faudra gérer la post-prod. On sait que, dans le budget, la postproduction est une grosse partie. Si on arrive à tout faire ici (dans ce pays), ce n’est que du bénéfice pour le cinéma sénégalais et africain’’, a indiqué M. Fall. Il s’exprimait lors d’un échange, dans le cadre du Stlouis’Docs festival, édition 2022.
Pour sa part, le cinéaste Joseph Gaï Ramaka souligne que, dans le système classique, la télé va chercher de la pub, ce qui va permettre de financer la production. Ensuite, dit-il, il y a un effet boule de neige. ‘’Au Sénégal, les télés ont une diagonale. Elles partent chercher de l’argent par la publicité pour financer la production. Et elles vendent leur temps d’antenne’’, a-t-il remarqué. Il a fallu que les premiers producteurs-réalisateurs passent par internet pour que certaines télévisions se rendent comptent que le cinéma sénégalais est très bien suivi.
Ainsi, pour avoir un temps d’antenne, pour que la diffusion se fasse, d'aucuns estiment qu’il faut calquer le modèle des séries sénégalaises. C’est un mécanisme qui permettrait de répondre à la question de la rémunération. Comment ça se fait ? ‘’Sur la base de ‘on va chercher ensemble de l’argent. Le réalisateur ou producteur prends une partie, et la télé prend une partie, et on diffuse le film. C’est cette question-là qui s’est mise en place et qui a permis aux séries de pouvoir révolutionner le paysage. On ne voit plus de séries brésiliennes. Pour le documentaire, c’est un processus’’, explique Joseph Gaï Ramaka. En tout cas, il croit que l’université de Saint-Louis devrait avoir les moyens de pouvoir entamer la discussion, pour ouvrir une ligne de diffusion au niveau d’une télé comme la RTS.
Le producteur Souleymane Kébé a eu une expérience heureuse avec ‘’E-media’’ qui serait un bon payeur. ‘’E-média donne de l’argent. Moi, sur une série, ils m’ont donné beaucoup d’argent’’, dit-il. Ainsi, ça lui permet de dire qu’il faut que les documentaristes s’organisent pour proposer aux télévisions un ensemble de films, un catalogue. En effet, cela va permettre aux télévisions d’avoir un agenda de diffusion, un rendez-vous avec les spectateurs qu’il soit mensuel ou par semaine. Sur quel modèle de financement ? ‘’Elles vous donnent de l’argent, vous amenez un projet. Après vous cherchez un sponsor, elles également vont en faire de même. Si c’est vous qui amenez un sponsor, vous prenez 60 %, elles, elles prennent 40 %. Vice versa’’, propose Souleymane Kébé.
Moins de documentaristes sénégalais
De son côté, la cinéaste Caroline Pochon pense qu’un festival comme Stlouis’Docs devrait être un tremplin pour convaincre une chaîne. ‘’Il y a un circuit vertueux qui manque peut-être de quelques maillons, mais, il arrive parfois qu’une reconnaissance à l’internationale puisse faire de sorte qu’il y ait un intérêt pour le film’’, dit-elle. Elle donne l’exemple de son dernier documentaire, ‘’Comme un air de famille’’. ‘’J’ai réussi à le vendre à TV5, après avoir été sélectionné à ‘’Vues d’Afrique’’, a-t-elle relaté. Mais Caroline Pochon insiste sur le fait qu’il ne faut pas donner de l’importance à tous les réseaux, toutes les plateformes.
‘’Internet c’est une chance. Il faut partir des habitudes des jeunes qui regardent beaucoup d’images sur leur téléphone’’, soutient-elle. Il y a un maillon à travailler, mais, est-ce qu’il y a une réceptivité de la part des diffuseurs ? MobiCine est cité comme une garantie que les films seront vus partout. Elle couvre pratiquement le territoire national. Et il s’est développé avec le doublage des films qui permettent au film de passer dans la langue majoritaire dans le lieu diffusé, fait remarquer Joseph Gaï Ramaka. En tout cas, les cinéastes soutiennent qu’il faut imposer les projections faites au niveau des écoles, pour avoir un système d’éducation à l’image.
Mais, il y a un autre problème non moins important qui se pose avec le documentaire. C’est que la plupart des réalisateurs sénégalais se tournent vers la fiction. Donnant l’exemple des pensionnaires du ciné-club Ciné banlieue, Pape Bounama Lopy soutient que les réalisateurs sénégalais, de façon générale, renoncent au réalisme. ‘’Les Sénégalais ont peur du réel. Ils ont un problème avec le ‘je’. Ils ne veulent pas parler de leurs propres problèmes ou celui de leur voisin du quartier’’, a-t-il indiqué. Pourtant, selon lui, les apprenants qui s’intéressent au documentaire ont moins de problème à terminer leur projet de films.
Pour sa part, chargé de la coordination générale de Stlouis’Docs festival, Dominique Olier souligne qu’ils ont parfois du mal à avoir assez de réalisateurs qui postulent. ‘’Il faut taper à toutes les portes’’. De son côté, Mamadou Sellou Diallo indique qu’il n’y a pas suffisamment de Sénégalais qui postulent pour le Master en documentaire.
BABACAR SY SEYE (ENVOYE SPECIAL)