Dans un hôpital de Mogadiscio, l’afflux des enfants victimes de la sécheresse
Depuis des mois, la Somalie s’enfonce dans une grave crise alimentaire, faisant craindre une répétition de la famine de 2011, qui avait tué 260 000 personnes.
Arbay Mahad Qasim a déjà vu deux de ses enfants mourir de faim en dix-huit mois, victimes de l’interminable sécheresse qui accable la Somalie. Alors que la situation ne fait qu’empirer, elle se bat aujourd’hui pour sauver sa fille, Ifrah.
Agée d’une vingtaine d’années, la jeune femme n’a pas perdu de temps quand le corps de son bébé de 2 ans a commencé à gonfler, un symptôme de malnutrition sévère. Elle a quitté son village d’Afgooy Jiido pour gagner en voiture, en une journée de route, la capitale, Mogadiscio. A l’hôpital pour enfants et maternité Banadir, elle s’est retrouvée avec des dizaines d’autres parents en proie à la même angoisse qu’elle. Certains ont marché plusieurs jours pour sauver leur enfant.
Depuis des mois, la Somalie s’enfonce dans une grave crise alimentaire, causée par une sécheresse d’une ampleur inédite depuis au moins quarante ans et qui touche également l’Ethiopie et le Kenya voisins. Les organisations humanitaires ne cessent d’alerter sur le risque, chaque jour plus réel, d’une famine dans la région. Les quatre dernières saisons des pluies depuis fin 2020 ont été insuffisantes et aujourd’hui, 7,1 millions de Somaliens, soit près de la moitié de la population, vivent dans la faim, dont 213 000 sont au bord de la famine, selon l’ONU.
Des médecins débordés
Ces derniers mois, des centaines de milliers de Somaliens – qui vivent majoritairement d’élevage et d’agriculture – ont quitté leurs villages après avoir vu leurs dernières ressources anéanties. « Les récoltes n’ont pas eu lieu. Nous avons perdu notre bétail. La rivière s’est asséchée », raconte Khadija Mohamed Hassan, qui a amené à l’hôpital son fils de 14 mois, Bilal, placé sous perfusion. « J’ai 45 ans et je n’ai jamais vu une sécheresse aussi dévastatrice de ma vie. Nous vivons dans les pires conditions de notre époque », soupire-t-elle.
A l’hôpital Banadir, le personnel est débordé. Selon une des médecins, Hafsa Mohamed Hassan, avec la sécheresse, le nombre de patients arrivant pour malnutrition au centre de stabilisation de l’hôpital a triplé. Certains jours, l’établissement n’a pas assez de lits pour accueillir tous les patients. « Les cas que nous recevons incluent des enfants souffrant de complications [causées par la malnutrition], comme la rougeole aiguë, et d’autres qui sont dans le coma en raison d’une malnutrition sévère », détaille-t-elle.
Pour Bishar Osman Hussein, de l’ONG Concern Worldwide, qui soutient l’hôpital Banadir depuis 2017, la situation devient critique. « Entre janvier et juin, le nombre d’enfants admis au centre de stabilisation de l’hôpital Banadir pour cause de malnutrition sévère et d’autres complications est passé de 120 à 230 par mois », explique-t-il. Tout le monde redoute que la prochaine saison des pluies, en octobre et novembre, soit de nouveau défaillante, venant miner encore un peu plus ce pays instable aux infrastructures précaires.
« Nous ne pouvons pas attendre »
La Somalie est confrontée depuis quinze ans à l’insurrection islamiste des Chabab, dont l’implantation dans de vastes zones rurales du pays limite l’accès de l’aide humanitaire aux populations. La guerre qui fait rage en Ukraine a également des répercussions dramatiques sur la vie des Somaliens, qui ont vu le prix des produits alimentaires flamber.
Avec l’attention du monde entier rivée sur l’Ukraine, les organisations humanitaires peinent à mobiliser des fonds. Elles n’ont collecté que 18 % des 1,5 milliard de dollars (environ 1,4 milliard d’euros) estimés nécessaires pour éviter une répétition de la famine de 2011, qui avait tué 260 000 personnes, dont la moitié d’enfants de moins de 6 ans. « Nous ne pouvons pas attendre que la famine soit déclarée pour agir », a affirmé, lundi 13 juin, le directeur du Programme alimentaire mondial (PAM) en Somalie, El-Khidir Daloum.
Fraîchement élu, le nouveau président Hassan Cheikh Mohamoud a visité la semaine dernière un camp de déplacés près de Baidoa, dans le sud-ouest du pays. « Quiconque a une assiette de nourriture sur sa table aujourd’hui doit penser à l’enfant qui pleure quelque part à cause de la faim et l’aider de toutes les manières possibles », a-t-il exhorté.
A l’hôpital Banadir, Khadija Mohamed Hassan veille son frêle Bilal et garde espoir : « Nous sommes ici depuis treize jours, il a l’air mieux maintenant. »
Le Monde avec AFP