‘’Cela vient, la plupart du temps, de leur incapacité à autoréguler leurs émotions…’’
Psychothérapeute autorisé à Ontario, enseignant et superviseur clinique à l’université Saint-Paul à Ottawa, le professeur Latdjické Diouf analyse et explique le regain de violence noté dans l’espace scolaire, avec le saccage d’une salle de classe à Yoff.
‘’D’abord, il faut mettre ces types de violence dans leur contexte, parce que les comportements de violence en milieu scolaire peuvent être dus à plusieurs facteurs. Cela peut être des comportements en réaction à la violence qu’ils subissent à l’école par rapport à leurs camarades élèves, par rapport aux enseignants… Ça peut aussi venir de leur environnement familial, social. Les élèves peuvent réagir à ces violences qu’ils vivent mal et qui se manifestent dans leur comportement. Cette violence peut se tourner contre des enseignants. On voit alors des comportements agressifs de l’élève vis-à-vis de l’enseignant. Il peut aussi se retourner contre leurs camarades en classe ou en dehors de la classe. Les causes sont donc multiples.
À partir de ce moment, certains développent une agressivité proactive. Ils ont tendance à vouloir dominer, contrôler les acteurs dans leur environnement. On voit alors à l’intérieur même des salles de classe parfois que le mal dominant, c’est eux. Ils veulent même le montrer à l’enseignant. C’est plus présent chez les garçons. D’autres vont vouloir le démontrer à leurs camarades. D’autres vont développer des comportements agressifs que l’on pourrait qualifier de nature réactive. Et cela vient, la plupart du temps, de leur incapacité à autoréguler leur émotion, surtout la colère. Quand on regarde cette vidéo, on voit quelqu’un qui est dans un comportement agressif, mais qui peut être relié à certains problèmes. Je ne sais pas d’où cela peut provenir. Mais il serait important d’interroger son histoire, sa trajectoire et le contexte dans lesquels la situation est intervenue.
Un autre élément important, c’est qu’il n’était pas seul. Il y a aussi l’effet de la foule, la psychologie de la foule. Des personnes, surtout des jeunes de cet âge, quand ils sont dans la foule, ils sont capables de faire des choses qu’ils n’auraient jamais faites individuellement. Parce que la réalité, c’est un peu un mal dominant qui, à côté de ses camarades qui crient, qui s’extasient, cela empire sa réaction. Ça le met en euphorie.
Maintenant pourquoi il s’est attaqué aux biens de l’école ? Pourquoi pas à un de ses camarades ? On peut considérer qu’il a voulu soulager une souffrance en essayant de faire mal à ce qu’il avait entre ses mains. Peut-être s’il pouvait tabasser un enseignant, il aurait pu le faire. Nous n’essayons pas de justifier ces actes, mais pour que les gens analysent ça en prenant du recul. Ce type de comportement oppositionnel, agressif, violent, ne vient pas de nulle part.
Il y a un fond. Ce qui me désole quelque part, c’est que, malgré tout ce qu’on a comme experts en matière d’éducation, de travailleurs sociaux et ce qu’on fait en termes d’accompagnement des élèves, on aurait pu trouver d’autres alternatives. Parmi les alternatives, il faut comprendre l’origine de ce comportement, le soubassement de ce comportement, pour pouvoir aider cet élève-là qui a besoin d’aide, pas de répression ou de punition qui ne va pas servir à grand-chose. Par contre, un travail d’intérêt général, l’amener par exemple dans un camp de vacances des pupilles de l’armée aurait pu être plus efficace. Il aurait pu apprendre des choses qui vont l’aider. Peut-être avec un suivi psychosocial pour l’aider à extérioriser tout ce qu’il a emmagasiné comme souffrance, en termes d’humiliation. Imaginez un enfant de 18 ans en classe de 4e, qui peut se faire rappeler probablement qu’à cet âge, sa place n’est pas dans cette classe… Ce garçon a dû subir beaucoup d’humiliations. Ça reste des hypothèses, mais très probables.
Dans un camp comme ça, on pourrait lui apprendre la gestion de la colère, à dominer ses souffrances… Au-delà, on peut en faire un ambassadeur, on pourrait l’aider, au besoin, de sortir de ce carcan de l’enseignement général, où il se retrouve comme prisonnier, sans avoir le choix de pouvoir en sortir. Il pourrait faire de la formation aux métiers, une formation professionnelle… Ce qui lui donnerait de l’espoir, beaucoup plus d’estime de lui-même… Malheureusement, malgré toutes ses opportunités, on a mieux à faire que de l’envoyer en prison. Je ne pense pas que sa place est dans une prison. Sa place est dans la rééducation, dans l’accompagnement et donner l’exemple à tous ces élèves. D’autant plus qu’il n’était pas seul’’.
ALIOU DIOUF, TRÉSORIER GÉNÉRAL NATIONAL DU CUSEMS ‘’Il faut repenser le système éducatif’’ ‘’Il y a beaucoup de facteurs qui sont combinés. Nous vivons dans une nouvelle ère. Avec ces réseaux sociaux, il y a un phénomène de contamination. Ces élèves font dans la violence et se filment. Après, ils mettent cela dans les réseaux sociaux. Lorsque les autres élèves voient cela, ils le répètent. L’année dernière, cela a commencé au CEM Hann. Tout de suite, on a vu que cela se passe à Thiaroye, etc. Quand les élèves du CEM de Hann ont fait cela l’année dernière, le conseil de discipline s’était réuni et les a sanctionnés. Il a été décidé de l’exclusion des élèves responsables de ces actes de vandalisme. Malheureusement, pour étouffer l’affaire ou plaire aux parents, le ministère et l’inspection d’académie de Dakar avaient cassé la décision du conseil de discipline. Ils ont demandé aux élèves de venir balayer la cour de l’école. Les élèves ont vu que malgré la gravité des actes qu’ils avaient commis, ils n’ont pas été sanctionnés. Balayer une cour n’est pas une sanction. Cette année, cela reprend. C’est normal. Quand il n’y a pas de sanctions, les élèves pensent qu’ils peuvent se le permettre. C’est maintenant que les gens commencent à prendre la véritable dimension de ce phénomène. C’est une chose à dénoncer. Il faut sanctionner. On ne sanctionne pas pour faire mal à l’élève, mais pour donner un exemple afin que les autres ne répètent pas cela. Si la sanction du conseil de discipline du CEM de Hann avait été confirmée par les autorités, on n’en serait pas là aujourd’hui. Il est regrettable qu’on en soit arrivé à arrêter un élève, mais il le fallait. On n’avait pas le choix. C’est très grave ce qu’ils ont fait, mais on ne pouvait pas laisser passer. Il servira d’exemple. Les autres sauront ce qui les attend en cas d’actes de ce genre. Il faut éduquer les enfants. Quand ils ne sont pas bien éduqués à la maison, cela se sent à l’école et ils reconduisent les mêmes actes dans la société, quand ils seront adultes. Ce sera plus grave les condamnations. Il faut qu’on retourne aux valeurs traditionnelles. Il faut aussi contrôler l’utilisation des téléphones portables par les enfants, ainsi que les réseaux sociaux. Les enfants ont tendance à reproduire ce qu’ils voient dans les réseaux sociaux. Les enfants ont tendance, de plus en plus, à être violents. Combien d’enseignants ont été agressés l’année dernière ? La violence s’est invitée dans le milieu scolaire. À l’avenir, l’on devrait penser à rendre obligatoire le service militaire pour que les citoyens soient bien éduqués. On voit dans le pays, il y a beaucoup de violences. À l’école, là où on devait former les gens, avoir la paix, où les élèves devraient donner le bon exemple, c’est là où il y a de la violence. Il faut repenser le système éducatif, faire revenir en force l’éducation civique pour que les élèves soient formés à la citoyenneté. Ils doivent comprendre le sens et la valeur du bien public, parce que c’est extrêmement important. Ce sont des comportements que nous retrouvons dans la société’’. |
M. DIOP & A.F. NDAO (STAGIAIRES)