Mimi accule le pouvoir
Rapport de la Cour des comptes, troisième candidature du Président Sall, Motivation de sa candidature à la Présidentielle de 2024, l’ancienne Première ministre Aminata Touré, accule le régime dans ce face-à-face auquel elle a convié la presse, hier.
Mimi n’en démord toujours pas. Elle plante encore le couteau dans la plaie, là où ça semble faire le plus mal : la famille du Président. Pour elle, les ministres et autres dirigeants indexés par le rapport de la Cour des comptes n’ont qu’à s’estimer heureux. Du fait de la présence du beau-frère du président de la République, ils peuvent être quasi certains de ne pas être inquiétés. Interpellée sur la dernière sortie du ministre de la Justice Ismaïla Madior Fall, elle déplore énergiquement : ‘’Je suis effarée, quand j’ai entendu la réponse du ministre de la Justice, disant qu’on va demander aux gens d’amener des justificatifs. Mais de qui on se moque ! Ce que j’ai entendu, ce n’est ni plus ni moins une histoire de noyer le poisson, avec des procédures dont je n’ai jamais entendu parler. On va leur dire : oui vous n’avez pas eu de factures, maintenant allez chercher les factures ? C’est du jamais vu. Ils veulent noyer le poisson le poisson, parce qu’il y a le beau-frère du président de la République, Mansour Faye, qui est concerné. Ça devient une question familiale.’’
De l’avis de l’ancienne présidente du Conseil économique social et environnemental, les autres ont de la chance que ce dernier figure sur la liste des personnes épinglées. ‘’Mansour Faye, soutient Aminata Touré, est le protecteur de tout le monde. Le président de la République ne peut agir sur la question, parce que c’est une question familiale. Ce qui justifie d’ailleurs le projet de loi que j’ai présenté à l’Assemblée nationale sur les incompatibilités familiales. C’est pour éviter ce genre de situation. Il ne faut pas mêler sa famille proche aux affaires de l’Etat, parce que, quand vous devez agir et qu’il y a votre beau-frère, l’affaire prend une autre dimension. Donc, le président de la République a les mains liées pour éclaircir cette affaire.’’
Dans la même veine, Aminata Touré s’est voulue une fervente défenseure des auditeurs de la Cour des comptes. Elle ne décolère pas contre les ministres de la République qui sortent pour vouer aux gémonies la Cour. Pour elle, le rapport de la juridiction est très clair et a démontré de manière très précise les faits susceptibles de constituer des actes de malversation. ‘’Des noms ont été cités. Ce que je recommande à tous les gens qui ont été indexés, c’est qu’ils quittent leurs fonctions officielles et qu’ils aillent défendre leur honneur. Mais, je considère qu’il faut renforcer nos corps de contrôle. La Cour des Comptes est une institution très sérieuse avec des magistrats qui connaissent leur travail depuis toujours. Au lieu de noyer le poisson, il faut mettre en place la Haute Cour de justice pour que justice soit faite.’’
‘’Le PR ne peut agir sur la question, parce que c’est une question familiale avec son beau-frère qui est indexé’’
Revenant sur son initiative avec son collègue Guy Marius Sagna, la députée non inscrite estime que ce n’est pas une question politique mais de citoyenneté. Ce qui s’est passé, pense-t-elle, c’est une ‘’double abomination’’. Elle insiste : ‘’C’est une double abomination. D’abord, l’argent public doit être utilisé de manière honnête et efficiente. Ensuite, pendant que les gens étaient en pleine détresse générale, au lieu de compatir, de mettre chaque franc là où il doit aller, des gens n’ont pensé qu’à s’enrichir. C’est inacceptable ; c’est extrêmement détestable. Aussi, comment des ministres de la République peuvent se lever et attaquer publiquement des institutions. Je trouve que c’est scandaleux. Quand on est un homme d’Etat, on n’affaiblit pas les institutions. On peut réagir sur le contenu, mais pas sur l’institution.’’
Au-delà de l’indignation, Aminata Touré est d’avis qu’il faut trouver des remèdes à ce fléau qui n’a que trop gangréné notre économie. Selon elle, il faudrait travailler en amont pour éviter que les fonds soient détournés, en renforçant l’Inspection générale des finances et les Inspections des finances. ‘’J’ai dit que je ferai une proposition de loi dans ce sens. Il s’agira de proposer de moderniser l’Inspection générale d’Etat (IGE) qui constate les faits après leur commission. Il faut décentraliser les inspecteurs. Au lieu qu’ils soient assis là, il faut les affecter dans les ministères. Aussi, au niveau de chaque ministère, il y a une cellule d’inspection financière ; ce qui devait permettre de faire la prévention en amont. Mais, malheureusement, ces gens sont nommés et ils n’ont pas la liberté qu’il leur faut pour faire leur travail comme il se doit. L’autre aspect c’est de dématérialiser les procédures. C’est comme ça qu’on peut arriver à changer la donne.’’
Troisième candidature : ‘’On sait le scénario qui est mis en place…’’
S’il y a un sujet qui tient particulièrement à cœur Aminata Touré à côté du rapport de la Cour des comptes, c’est bien la question du mandat et d’une éventuelle troisième candidature de Macky Sall. Rappelant les péripéties qui ont jalonné l’adoption de la loi constitutionnelle de 2016, elle clame : ‘’On ne peut pas venir dire aux Sénégalais le contraire. Ce n’est pas possible. Il va sans doute déclarer sa candidature, mais je ne doute point que le Conseil constitutionnel rejetterait la candidature du président Macky Sall, s’il la dépose. J’en ai aucun doute là-dessus, parce que les textes sont on ne peut plus clairs. Il s’y ajoute sa parole de chef de l’Etat qui a une valeur.’’
Cela dit, s’il y a des Sénégalais qui se demandent si Macky Sall osera franchir le cap, Mimi, elle, n’a aucun doute à ce sujet. Elle embraie même sur la stratégie qui mènerait à cette déclaration. Elle affirme : ‘’Le président Macky Sall va aller vers un troisième mandat. Maintenant, on connait la démarche. Ils vont attendre la veille du parrainage, quand tous les souteneurs auront parlé, certains feront même de grandes assemblées générales et à la demande générale, le président déclarera qu’il est obligé de se présenter. Ce sera le scénario ; on le sait. Autrement dit, il se serait prononcé le 31 décembre passé. Mais, c’est un scénario inacceptable qui viole la loi, qui viole la Constitution, qui gâche l’image du Sénégal, qui installe la tension dans le pays et qui met en stand-by les investisseurs. Or cette question, elle avait été réglée par nous-mêmes, quand on s’est opposé au troisième mandat d’Abdoulaye Wade et, pour régler définitivement la question, on a organisé un référendum.’’
Macky Sall, selon l’ancienne présidente du CESE, devait libérer les Sénégalais depuis longtemps. S’il ne l’a pas encore fait, c’est parce qu’il ne le fera pas, a-t-elle insisté. Aminata Touré : ‘’…Il aurait dû se prononcer depuis longtemps, comme il l'avait dit : c’est à dire juste après les législatives. Mais ça n’a pas été fait. Il a été attendu le 31 décembre, ça n’a pas été fait... Il ne se prononcera pas non plus le 4 avril. Je peux prendre le pari avec vous. Comme je l’ai dit : il va attendre la veille du dépôt du parrainage. Il va dire : "devant la demande générale je suis obligé de me présenter.’’
De l’avis de Mimi, cette pratique fait partie de ce qui freine le développement du Continent. ‘’C’est vraiment dommage qu’on se mette à refaire l’histoire, 10 ans après 2012. Et c’est ça aussi le retard de l’Afrique. Nous avons besoin de progrès cumulatifs. Quand un problème se présente on le règle et on avance. Mais ici on fait deux pas en avant, trois en arrière. Mais comme je l’ai dit et je le crois vraiment, le Conseil constitutionnel va invalider cette candidature, s’il la dépose. S’il insiste, le théorème de 2012 va se répéter en 2024, parce que le Sénégal est une démocratie majeure’’, renchérit l’ancienne Premier ministre.
Le Conseil constitutionnel va invalider sa candidature
Sur les motivations de sa candidature, elle se justifie : ‘’Je suis en âge de me présenter. J’ai des idées et une vision pour mon pays et j’ai une expérience qui me permet de candidater. C’est une candidature enthousiaste ouverte qui va aller à la conquête du suffrage des Sénégalais. Comme je vous l'ai dit, 53% des électeurs ne se sont pas déplacés. On va leur accorder un intérêt particulier en termes de proposition, en termes de mesures alternatives, se battre avec tous ceux qui sont contre ce 3e mandat et pour que justice soit faite par rapport aux fonds covid.’’
A la question de savoir si l’absence d’appareil fort n’est pas un handicap, elle rétorque : ‘’Aujourd’hui, les électeurs sont libres. Ils ne sont pas embrigadés et ils ne peuvent pas être embrigadés. La preuve : vous voyez des changements dans le vote en fonction de comment ils perçoivent la situation. Quelqu’un qui gagne une élection aux municipales, qui la perd aux législatives… Donc, les électeurs sont libres. Ce qui est une chance d’ouverture pour nous. On va parler aux jeunes ; on parler surtout aux femmes. Etre femme peut être un avantage. Avec peu, on sait beaucoup faire. Et c’est peut-être ça qu’il faut appliquer au niveau de la gestion de l’Etat, et surtout avoir une alliance entre les jeunes et les femmes qui font 80% de l’électorat.’’ Quid de l’absence de base affective ? ‘’La base politique c'est les Sénégalais. Le président de la République il habite là à Mermoz. Il y a un bureau de vote près de chez lui, il ne l'a jamais gagné.’’
Par ailleurs, pour ce qui est des jeux d’alliances, Mimi a préféré cacher un peu sa stratégie, mais elle prévient : ‘’Il y a effectivement des contacts avec certains responsables de l’APR. Vous aurez compris qu’ils ne peuvent pas pour le moment se montrer pour les raisons que vous pouvez savez, mais nous sommes en contact.’’ Quant à l’obstacle du parrainage, elle déclare : ‘’Il faut quand même reconnaitre que c’est un système qui est équitable pour tout le monde. La difficulté c'est d’aller chercher ces parrainages dans 7 régions du pays avec les moyens qu'il faut déployer... Nous sommes prêts à satisfaire à cette exigence telle que ça existe. Ça permet aussi d’aller discuter avec les électeurs, d’agréger aussi les forces.’’
Revenant sur la condamnation des deux députés du Parti de l’unité et du rassemblement, elle a regretté les actes de violence et appelle à un arrêt des provocations pour redorer le blason de l’Assemblée nationale. Elle affirme : ‘’Ce sont des évènements regrettables et condamnables. J’espère que pour le reste, la législature sera plus calme pour répondre aux attentes des Sénégalais. C’est un incident malheureux que j’ai condamné et regretté.’’
A ceux qui seraient tentés de lui reprocher un reniement de ses positions d’antan, elle répond : ‘’Moi j’ai toujours défendu les mêmes principes. J’ai juste retrouvé ma liberté de parole. Quand vous êtes dans un parti, vous êtes tenu de respecter sa discipline. C’est aussi simple que cela. Ce que j’avais à dire, je le disais à l’interne ; je ne le dis pas à l’externe. Et sur cette question de bonne gouvernance, j’ai toujours défendu ma position publiquement. Aujourd’hui, une page a été fermée, une autre a été ouverte. C’est ainsi la vie.’’
MOR AMAR