Un couteau à double tranchant !
La multitude de candidatures au niveau de la coalition Yewwi Askan Wi peut être une bonne stratégie pour amener le candidat du pouvoir au second tour. Mais elle a l’inconvénient de provoquer une dispersion des voix et de mener cette coalition de l’opposition vers le syndrome de Benno Siggil Senegaal en 2012. Ironie de l’histoire, Sonko et Cie pourraient être sauvés par le parrainage de Macky Sall.
‘’Dans 12 mois, s’il plaît à Dieu, celui qui va diriger le Sénégal sortira de Yewwi Askan Wi. Peu importe qu’il s’appelle Serigne Moustapha Sy, Ousmane Sonko, Khalifa Sall, Malick Gakou, Déthié Fall, Aida Mbodj, peu importe son nom. Ce qui est sûr, c’est que le futur président ne sort pas de cette assemblée…’’. Ainsi s’exprimait, il y a quelques jours, le président de Pastef/Les patriotes Ousmane Sonko, à l’occasion de la célébration des 25 ans du Parti de l’unité et du rassemblement (Pur). Ce rêve a des chances réelles de devenir réalité, si la coalition reste ce bloc homogène qui a ébranlé la majorité présidentielle dans la plupart des grandes villes, aux élections territoriales de 2022, en plus d’avoir été à deux doigts de réussir à réaliser la cohabitation aux Législatives de la même année, grâce à son alliance avec le Parti démocratique sénégalais.
Mais vu la prolifération des candidats qui la mine, la deuxième force politique du pays pourrait filer tout droit vers le syndrome de Benno Siggil Senegaal en 2012.
Avec la candidature de Déthié Fall officialisée hier, ce n’est pas moins de six candidats qui vont sortir des flancs de cette coalition d’une dizaine de partis et mouvements citoyens. Outre le leader de fait Ousmane Sonko, il faudra compter sur Khalifa Ababacar Sall, Serigne Moustapha Sy annoncé pour le compte du Pur, Malick Gakou, Dr Babacar Diop et peut-être Aida Mbodj, si elle confirme son intention manifestée il y a plusieurs mois.
À coup sûr, si toutes ces candidatures sont validées, Yewwi connaitrait une dispersion des voix qui pourrait lui être fort préjudiciable. Cela est d’autant plus vrai que chacun de ces potentiels candidats a des arguments à faire valoir dans son terroir, avec le vote affectif.
Il en est ainsi de Khalifa Sall qui trône à Dakar depuis 2009, du Pur avec ses bastions aussi bien dans la zone de Dakar, à Tivaouane et ailleurs dans le pays, du Dr Babacar Diop renforcé par son poste de maire acquis grâce à la coalition, du duo Malick Gakou-Ameth Aidara qui a un capital affectif indéniable dans la banlieue…
Le parrainage, un rempart pour éviter l’éclatement à Yewwi Askan Wi
Présenté comme l’un des grands favoris de ces prochaines joutes électorales, le maire de Ziguinchor, Ousmane Sonko, malgré son optimisme béat, risque ainsi d’être l’une des principales victimes de cette floraison de candidatures. Comme Moustapha Niasse en 2012, qui s’est fait chiper la deuxième place par Macky Sall. Encore que lui avait réussi, à l’époque, à capitaliser presque tous les candidats sérieux de l’opposition, à l’exception d’Ousmane Tanor Dieng porté par le Parti socialiste.
À Yewwi Askan Wi, on a une tout autre compréhension des enjeux pour 2024. Membre de la Conférence des leaders, le président du Mouvement pour une citoyenneté engagée (MCE)-Andu Nawle, Mamadou Lamine Dianté, explique : ‘’D’abord, il faut savoir qu’il n’y a rien de plus naturel quand on est parti politique de se présenter à des élections. Ensuite, dans une élection présidentielle, il est même préférable, pour l’opposition, d’avoir plusieurs candidats. Au premier tour, chacun engrange le maximum de voix pour amener le candidat du pouvoir au second tour. Au tour suivant, en ce qui concerne Yewwi Askan Wi en tout cas, on va soutenir le candidat le mieux placé.’’
A son avis, le schéma n’est pas le même qu’en 2012. Il justifie : ‘’Vous savez, en 2019, si Macky Sall est passé au premier tour, c’est parce que Karim Wade n’était pas candidat, Khalifa Sall n’était pas candidat… A partir de ce moment, leurs électeurs n’ont pas la même mobilisation et les candidats présentés par l’opposition n’auront pas forcément leur adhésion. C’était d’ailleurs l’objectif du pouvoir avec cette loi sur le parrainage.’’
Gare au syndrome de Benno Siggil Senegaal en 2012
Très optimistes, les leaders de Yewwi Askan Wi, à l’instar de Sonko, semblent convaincus que ce futur candidat au second tour va sortir de leurs rangs. Mais avec la multitude de candidatures, les chances de voir les première et deuxième places leur échapper augmentent.
Pour Dianté, ce n’est pas si évident que certains peuvent le penser. ‘’Chaque membre a certes ses militants qui sont soumis aux consignes, mais chacun a aussi sa caution personnelle au sein de la population, avec des électeurs libres qui peuvent être enclins à voter pour lui, mais pas pour un autre. C’est comme ça que je vois les choses. Si on dit que Déthié Fall n’est pas candidat, il n’est pas évident que tous ceux qui voulaient voter pour lui vont se rabattre sur le candidat de Yewwi Askan Wi’’.
Aussi, clame-t-il, qu’au niveau de la coalition, tout a été clair depuis le début. ‘’La charte nous engageait à aller ensemble aux élections territoriales et législatives. Pour la Présidentielle, la charte avait prévu que chacun peut déclarer sa candidature. Et c’est même ce qui est le plus pertinent’’.
Egalement, cette floraison de candidatures peut être une stratégie de positionnement, pour montrer son envergure. Et au dernier moment, se rallier à un des deux ténors de la coalition. Car, rarement, la scène politique sénégalaise n’avait été aussi bipolarisée que maintenant, avec Macky Sall d’un côté et Ousmane Sonko de l’autre. Depuis des mois, ce sont les principaux animateurs du landerneau politique. Et la tendance n’est pas prête de s’inverser. D’où la difficulté pour les autres leaders d’exister et d’attirer la lumière sur soi. Seul Khalifa Sall parvient à tirer son épingle du jeu, pour le moment.
Dans tous les cas, à ce jour, il est tôt de savoir combien de candidats sortiront de ce groupe. Malgré les intentions manifestées, il est presque sûr que certains vont être recalés par le parrainage. Il y a, en outre, des obstacles judiciaires sur la tête de certains candidats, dont Ousmane Sonko et Khalifa Ababacar Sall, pour ce qui concerne ladite coalition. Moins il y aura de candidats, mieux ce sera pour le candidat qui réussira à passer les différents obstacles. Plus il y en aura, mieux ce sera pour les candidats des autres blocs de l’opposition.