La folie migratoire
Entre ceux qui ont réussi à rallier l’Espagne et ceux qui ont été interceptés par la marine nationale sénégalaise, les départs et les tentatives de départs ont atteint des niveaux jamais enregistrés.
Comme les eaux qui les portent des côtes sénégalaises aux îles espagnoles, les vagues de migrants sénégalais continuent de déferler sur les Canaries. Rien que ce dimanche, au moins 211 personnes ont débarqué à El Hierro et à Gran Canaria à partir de pirogues qui ont quitté le Sénégal. Si l’on totalise les effectifs comptabilisés par les organisations espagnoles d’aide aux migrants, entre le lundi 16 et le samedi 21 octobre 2023, il y a eu au moins 3 675 arrivées depuis les côtes sénégalaises.
Cet été semble être celui de tous les records. Et la journée de samedi en a établi deux nouveaux. Après l’arrivée d’une sixième pirogue partie du Sénégal à Gran Canaria, avec 121 personnes, dont 20 femmes et un bébé, le nombre de migrants irréguliers comptabilisés fut de 1 032 personnes pour cette seule journée. Les derniers chiffres publiés par les autorités espagnoles font état de près de 1 000 personnes arrivées sur l'archipel espagnol entre le dimanche 8 et le lundi 9 octobre 2023. Parmi les pirogues, une a réussi à embarquer jusqu’à 320 personnes. Du jamais vu.
Plus de 10 000 migrants arrivés en Espagne en octobre
D'après les derniers chiffres du ministère espagnol de l'Intérieur, les Canaries ont vu arriver 14 976 migrants entre le 1er janvier et le 30 septembre 2023, soit une hausse de près de 20 % par rapport à la même période de 2022. Depuis le début du mois d'octobre 2023, la forte augmentation des débarquements est qualifiée de "sans précédent" par la presse espagnole, depuis 2020.
Selon les informations du journaliste espagnol Txema Santana, spécialiste des questions migratoires, ‘’10 500 migrants irréguliers sont arrivés aux Canaries en octobre, une moyenne journalière de 500 personnes, ce qui correspond à 40 % des arrivées de 2023. Et la majorité vient du Sénégal’’.
Et cette semaine record ne s'établit pas seulement dans le sens des arrivées sur les îles espagnoles. D’autres migrants n’ont pas eu autant de chance, mais ont tout de même tenté la périlleuse traversée. Et c’est la marine nationale du Sénégal qui donne l’information. Selon elle, entre lundi et samedi derniers, 1 627 candidats à l’émigration irrégulière ont été interceptés par les différents patrouilleurs de l’armée.
Lundi, c’est la base navale Nord de Saint-Louis qui a interpellé 164 candidats à l'émigration irrégulière lors d'une patrouille terrestre. Le même jour, le patrouilleur ‘’Walo’’ a intercepté deux pirogues transportant 348, dont 30 femmes, 21 mineurs et cinq nourrissons. Les migrants ont été débarqués à Dakar et remis aux services compétents.
La marine nationale multiplie les interceptions
Deux jours plus tard, le même patrouilleur a arraisonné deux pirogues avec 338 migrants, dont 30 femmes et 18 mineurs. La journée d’après, deux autres pirogues transportant 416 candidats à l'émigration irrégulière, dont 24 femmes et 16 mineurs, ont été arraisonnées. Ce weekend, ce sont trois pirogues, transportant au total 361 candidats à l'émigration irrégulière, dont 29 femmes et 51 mineurs, que la marine nationale a interceptées. Les migrants ont, à chaque fois, été remis aux autorités compétentes.
Qu’est-ce qui explique un tel regain de départs de migrants ? Pour Guy Marius Sagna, la situation sociopolitique actuelle au Sénégal y est pour beaucoup. Le député, qui effectue actuellement une tournée au sein de la diaspora sénégalaise, s’est rendu dans un centre d’accueil de migrants aux îles Canaries. Devant des centaines de Sénégalais, il s’est exprimé dans la presse locale pour dire que ces vagues de migrants ‘’montrent le niveau de désespoir de la jeunesse sénégalaise et la faillite de la politique de l’Union européenne, de l’Espagne et du gouvernement sénégalais pour retenir ces migrants’’.
Depuis plusieurs années, beaucoup d’argent a été introduit par l’UE au Sénégal pour lutter contre la migration irrégulière. Dans le projet de loi de finances initiale 2024, récemment publié par le ministère des Finances et du Budget, un don de l’Union européenne de 19,15 milliards F CFA pour prendre en charge les questions de la ‘’migration jeunesse’’ a été inscrit. Mais l’honorable Guy Marius Sagna assure que ces fonds sont utilisés à d’autres desseins.
Pour lui, ‘’l’UE est en train de doter notre gouvernement de matériel pour que les Africains soient les gendarmes de l’Europe afin d’arrêter les flux migratoires. Est-ce que l’UE sait que ce matériel est utilisé pour espionner l’opposition sénégalaise et son chef ? C’est en cela que nous les interpellons’’.
Guy Marius Sagna : ‘’Le matériel européen pour bloquer les migrants sert à espionner et traquer des opposants.’’
Aux migrants venus écouter son discours, l’opposant a assuré être là pour dire à la jeunesse ‘’qui s’est enfuie par désespoir que nous allons changer le Sénégal pour que les Sénégalais restent chez eux. Nous interpellons l’opinion publique espagnole et européenne pour qu’elle sache que nous voulons qu’ils soignent le mal à la racine. Nous avons développé des politiques à proposer à notre jeunesse et nous sommes sûrs que si Ousmane Sonko accède au pouvoir, ces flux migratoires vont cesser’’.
Malgré les grosses sommes investies, aucune solution ne semble marcher pour contrer la migration irrégulière. Au lieu d’essayer d’empêcher les personnes de voyager, le journaliste espagnol Txema Santana estime qu’une révision de la politique européenne des visas aurait un meilleur impact. ‘’Elle modifierait l'itinéraire, elle générerait des voies légales, elle réduirait les décès, elle économiserait sur l'urgence humanitaire (sauvetages, places, vols...), elle régulariserait des milliers d'euros qui circulent sous terre’’, assure-t-il.
Lamine Diouf