Une période sombre pour les médias
Après une période d’embellie, la liberté de la presse sous le magistère du président Macky Sall, surtout depuis que le ministre Moussa Bocar Thiam est à la tête du département chargé de la Communication, a connu un net recul, avec des journalistes envoyés en prison, des reporters violentés sur le terrain, mais pire, une multiplication sans précédent des coupures de signal de certaines télévisions. Et comme si tout cela ne suffisait pas, le régime vient de pousser le bouchon encore plus loin en retirant purement et simplement la licence du Groupe Walfadjri.
C’est un coup dur pour la démocratie en général, la liberté de la presse en particulier. Cette fois, l’État a tout bonnement retiré ‘’de manière définitive avec effet immédiat’’, comme s’en enorgueillit le ministre de la Communication au Sénégal depuis septembre 2022, dans le premier gouvernement d’Amadou Ba.
En un temps très court, le ministre a réussi à battre tous les records en matière d’atteinte à la liberté de la presse. Finissant de ternir complètement tout ce que le régime actuel avait pu bâtir avec les médias. Résultat : si Macky Sall ne prend pas des mesures le plus tôt possible pour remédier à cette catastrophe consistant à retirer la licence de Walf, le Sénégal va connaitre une nouvelle journée sans presse, menacent les organisations des médias qui se sont réunies hier, à la Maison de la presse.
Visages graves, plus que jamais déterminés à faire bloc pour barrer la route aux dérives devenues monnaie courante depuis que M. Thiam et à la tête du département chargé de la Communication, ils dévoilent leur plan d’action.
Au menu, note-t-on dans la déclaration, il y a notamment des rencontres avec toutes les organisations de la société civile, un édito commun pour crier leur ras-le-bol, un conseil des médias et, si rien n’est fait, les organisations ne rechigneront pas à aller vers une journée noire sans presse au Sénégal, comme on en a rarement vécu dans le pays.
‘’Les acteurs des médias ont décidé de mettre en œuvre toutes les actions nécessaires à la restitution de la licence de Walfadjri abusivement retirée’’, indique la déclaration. Pour les professionnels des médias, le ministre ‘’a ignoré toutes les lois et tous les règlements en vigueur en matière de retrait de la licence d’une télévision ou d’une radio’’. Pire, constatent-ils pour s’en émouvoir, aucune entité ne peut dire la faute commise par Walfadjri pour mériter une sanction d’une telle gravité’’.
Déjà, des voix s’élèvent de toutes parts pour dénoncer vigoureusement ce qu’elles considèrent comme une violation grave de la liberté d’expression et de la presse. Dans une déclaration commune, Amnesty Sénégal, Article 19, la Rencontre africaine pour la défense des Droits de l’homme (Raddho), la Ligue sénégalaise des droits humains (LSDH) et AfricTivistes dénoncent ce qu’ils considèrent comme une dégradation de la liberté de la presse. ‘’Nous soussignés, exprimons notre profonde préoccupation face à la décision des autorités sénégalaises de retirer la licence de la chaine de télévision Walf TV, en raison d’une prétendue incitation à la violence. Nous considérons cette mesure comme disproportionnée et contraire aux normes et standards internationaux en matière de liberté d’expression et de presse’’, lit-on dans la déclaration.
Appelant le gouvernement ‘’à garantir la diversité des médias et à respecter les normes internationales en matière de liberté d’expression’’, les organisations susmentionnées estiment que ‘’la préservation de ces principes est essentielle pour le renforcement de la démocratie au Sénégal’’. Le retrait de la licence de Walf TV, ont-ils relevé, ‘’risque de créer un climat d’autocensure parmi les médias, par crainte de représailles’’.
Si le retrait d’une licence parait inédit, Moussa Thiam est habitué à couper les signaux de télévision depuis qu’il a été coopté dans le gouvernement pour faire plaisir à Farba Ngom. Au mois de juin 2023, il s’était déjà illustré de manière inique en coupant le signal de la même chaine pendant 30 jours, envoyant ainsi des pères et mères de famille en chômage technique, privant l’entreprise de pertes importantes de ressources. Avec la nouvelle mesure, ce n’est pas moins de 50 agents qui ont été ‘’licenciés avec effet immédiat’’, environ 100 autres sous une menace de licenciements. Un désastre social que le maire de Ourossogui risque d’avoir sur la conscience.
Il faut rappeler qu’au mois de mars 2021 également, lors des manifestations politiques, les signaux de Walf avaient encore été coupés. À l’époque, la Sen TV avait également fait les frais des mesures du gouvernement. Des actes qui auront marqué à jamais la gouvernance du secteur sous le règne du président Sall.
Outre les coupures de signaux, les médias ont également souffert, sous Macky Sall, de nombreuses interpellations, violences policières et intimidations. Au moment où de nombreux pays ont réussi à éradiquer de leurs arsenaux juridiques les délits de presse, le Sénégal continue à envoyer des journalistes en prison pour des délits liés à l’exercice de leur profession. Parmi ces journalistes, on peut citer Pape Allé Niang, promoteur du site DakarMatin, Pape Ndiaye et Pape Sané du groupe Walfadjri, des journalistes de Senego et tant d’autres. Ce qui tranche d’avec la promesse du président de la République.
‘’Vous ne verrez jamais au Sénégal, pendant ma gouvernance, un journaliste mis en prison pour délit de presse. Les journalistes n’ont aucun risque au Sénégal. Ça, je le dis très clairement et je ne serai pas démenti’’, disait-il en 2015, au summum de sa gloire. Nous sommes évidemment très loin de cette époque.
Pendant très longtemps, en effet, les relations entre le président de la République et la presse ont été assez mielleuses. Poussant même certains à considérer que la presse a été très complaisante avec l’actuel régime. À cette époque, les classements internationaux se suivaient et se ressemblaient sur le Sénégal du point de vue du respect de la liberté de la presse.
RSF 2011-2012
93e dans le classement de RSF de 2011-2012, le Sénégal passait 59e dans le classement de 2013 ; 62e en 2014 ; 71e dans le classement de 2015 ; 65e dans celui de 2016 ; 58e en 2017… Le Sénégal était même passé parmi les 50 meilleurs élèves du monde en occupant la 50e en 2018… En 2019, il décroche l’une des meilleures places de son histoire récente en se classant 49e mondial, puis 47e en 2020, avant de commencer sa chute libre durant ces trois dernières années.
En 2021, le pays perd deux places, en devenant 49e mondial. Une amorce à la dégringolade. Dans le classement de 2021, le Sénégal perd 24 places en devenant 73e mondial, trois dans celui de 2022 ; puis 31 places l’année suivante (2023), avec une place peu honorable de 104e mondial.
Afin de renverser cette tendance dangereuse vers le musellement des libertés, les organisations de la presse sonnent la mobilisation. En sus de la rencontre avec les organisations de défense des droits humains, les organismes internationaux et la journée sans presse, elles envisagent également une marche nationale pour exiger le rétablissement du signal de Walf TV, mais aussi un terme aux abus contre les professionnels des médias et leurs entreprises.