Lettre ouverte à Monsieur le Premier ministre
Conformément aux recommandations des Nations Unies, le 1er octobre 2012, a l’instar de la communauté internationale, les personnes âgées du Sénégal ont célébré leur journée dans la sobriété et dans le recueillement C’est des moments forts qu’elles mettront a profit pour réfléchir aussi sur la situation réelle de la personne âgée au Sénégal.
Monsieur le Premier Ministre, comme vous le savez, l’homme travers les âges, a toujours été à la recherche de son équilibre et dans la vaste fresque de l’histoire de l’humanité, l’on a toujours noté la sagesse de la personne âgée. Fidèles a leur nature foncière faite de générosité silencieuse et discrète, les personnes âgées, militantes de la nation sénégalaise et artisans de sa souveraineté, sont conscientes de la richesse de leur expérience et de leur conscience élevée des responsabilités. Elles mesurent également a l’échelle de leur gravité les effets néfastes d’une auto marginalisation que le renouveau semble leur imposer par la force de sa passion.
Loin de vanter la gérontocratie, mais de la à laisser faire la «Juvénocratie» et les fossoyeurs de la Nation et de la République, nous disons non. Nous avons notre place dans la société. Nous ne voulons pas nous laisser remorquer et nous n’acceptons pas d’être des naufragés, des laissées pour compte.
La force et l’équilibre social que nous représentons doivent être entièrement investis au service de la Nation et de la République, afin de positiver le restant de notre existence dans des activités utilitaires référées à des valeurs universalisables et aux besoins spécifiques de notre pays. Nous constituons une frange de citoyens libres n’ayant plus de soucis d’image ou de carrière, ce qui nous confère une totale autonomie de pensée.
Monsieur le Premier Ministre, vous avez décliné avec franchise et sincérité, dans votre Déclaration de politique générale (DPG) devant la Représentation nationale, les réalités économiques de notre pays et les fondamentaux du «YOONU YOKUTE». Nous vous en remercions et nous vous félicitons pour la clarté et la précision du discours. Mais comme vous le savez, la recherche de la justice sociale exige qu’aux deux bouts de l’existence, la jeunesse et la vieillesse, le peuple, l’Etat, les investisseurs, fassent tout pour que les jeunes disposent d’emploi et s’épanouissent, que les personnes âgées atteignent le plus tard possible les limites de l’inaction, de l’improductivité, qui font d’elles une charge lourde pour toute la société.
«Faire face au vieillissement»
Votre déclaration politique a bien tracé les axes de réflexion qui conduisent à la résolution des dossiers «Jeune» et «Femme». Mais à notre grande surprise, celle-ci n’a pas suffisamment pris en compte le dossier «Personnes âgées et Retraités». C’est pourquoi nous attirons votre attention sur le fait que le YOKUTE doit être pour tous. Pour tout le monde, sans exclusive.
Monsieur le Premier Ministre, Il ne faut pas perdre de vue que le vieillissement de la population, c'est-à-dire l’augmentation de la proportion des personnes âgées, est un des phénomènes les plus marquants de ce XXI siècle. Au regard de la définition de la personne âgée comme étant la personne ayant 60 ans et plus, et des statistiques avancées par l'ONU sur le vieillissement dans le monde en 2002, il demeure l’un des grands défis de notre monde en ce troisième millénaire. Actuellement en Afrique, les personnes âgées de 60 ans et plus représentent 5,5% de la population. Soit un peu plus de 40 millions. Ce nombre atteindra 230 millions d’ici 2050. Ainsi le nombre de personnes âgées sera multiplié par 6 en cinq décennies. Donc, le vieillissement de la population sera l’un des changements majeurs du XXI siècle.
Dans un avenir pas très lointain aucun pays ne sera épargné. Notre population vieillissante va connaitre une progression fulgurante. En effet, de 345 937 personnes âgées de 60 ans et plus recensées en 1988, ce nombre a doublé en 2010, c’est-à-dire en moins de 25 ans, et il triplera en 2025. La croissance des personnes âgées (4,1%) est nettement supérieure à la croissance démographique qui est de 2,5%.
Cette remarquable transition démographique à laquelle nous assistons fera que les jeunes et les personnes âgées seront représentés à parts sensiblement égales d’ici à 2050. Entre 2000 et 2050, le pourcentage de personnes âgées devrait doubler, passant de 15% à 30%, alors que celui des enfants va diminuer d’un tiers environ, revenant de 30% à 21%.
La modification de la pyramide des âges pose donc d’importants problèmes à prendre très sérieusement en considération. Non seulement il faudra faire face au vieillissement, mais aussi nous devons promouvoir un développement économique global afin d’épargner à cette frange honorable de notre population les affres de la pauvreté, de la mendicité et de la clochardisation. Seulement 30% de personnes âgées bénéficient de protection sociale aujourd’hui, alors que 42% des ménages recensés au Sénégal, soit 97 650, sont gérés par des personnes de 60 ans et plus.
«Pathologies chroniques et handicapantes»
Nous savons que la crise économique persistante conjuguée à la mal gouvernance de nos faibles ressources ont accru la pauvreté et la précarité des conditions de vie des personnes âgées dans notre pays. C’est pourquoi 70% des personnes âgées vivent en deçà du seuil de la pauvreté, c'est-à-dire avec moins d’un dollar américain par jour et par personne.
Dans le domaine de la santé, les personnes âgées sont confrontées a une coexistence de pathologies aiguës et chroniques handicapantes et invalidantes. Ces dernières entraînent des dépenses qui grèvent le budget familial déjà très frugal, ou la pension déshonorante de retraite octroyée pour la majorité à ceux qui ont pourtant fondé la Nation sénégalaise et créer la République du Sénégal. Pendant ce temps, sur le plan socioprofessionnel, les aptitudes et compétences des personnes constituent une évidence, et il faut déplorer la non utilisation de leurs expériences et expertises.
Monsieur le Premier Ministre, votre Déclaration de politique générale nous a donné le sentiment que les personnes âgées sont traitées en termes de rationalisation des coûts et à l’idée que le «VIEUX» est simplement anti-économique. Pis, il serait même antisocial. Dans une société ou chacun se doit d’être au top, dynamique et performant, la vieillesse ne doit même pas être dite, ni être vue.
Il faut que le sédiment dénommé «personnes âgées», des laissés pour compte de la société, fassent de nouveau partie de la nation. Il faut aider ces naufragés à remonter sur le radeau de la République. Une société qui se passe de ses anciens est une société qui perd la mémoire. Pour innover, il faut absolument se souvenir. Vous avez des personnes âgées, certes avancées en âges, mais pas inutiles. Des femmes et des hommes qui ont encore de l’intelligence, de bons sentiments et la volonté de s’investir dans des activités susceptibles de provoquer le recul de la pauvreté, de l’ignorance et du libertinage dans la promiscuité.
«Avancées en âge, mais pas inutiles»
Vous comprendrez, monsieur le Premier Ministre, que notre ambition est de continuer à servir notre patrie et de toujours la servir. Le challenge, c’est d’arriver à conceptualiser l’articulation population-développement, plaçant la population non plus comme variable du calcul économique, mais plutôt comme finalité de la croissance économique.
C’est le sens clairement exprimé de la déclaration politique et plan d’action internationale de Madrid sur le vieillissement en 2002. Le Sénégal, en ratifiant cette déclaration des Nations Unies, s’est engagé non seulement à promouvoir une société pour tous les âges, mais de dégager trois orientations prioritaires : les personnes âgées et le développement ; la promotion de la santé et du bien-être ; la création d’environnements porteurs et favorables.
Nous vous suggérons, monsieur le Premier Ministre, d’enrichir le «YOONU YOKUTE», substrat de votre DPG, en puisant dans les valeurs qui fondent notre société et qui font des personnes âgées l’épicentre de la société, pour conjurer toutes ces convulsions sociales qui campent aujourd’hui notre pays dans la peur du lendemain.
Monsieur le Premier Ministre, les personnes âgées vous invitent, vous et son Excellence Monsieur le Président de la République ainsi que son gouvernement à une randonnée dans leur univers pour qu’ensemble nous examinions les conditions indispensables à faire naître ou renaître pour que chacun de nos contemporains et ceux qui suivront puissent accéder par la sécurisation sociale à la dignité de citoyen. Que le tout puissant vous assiste dans les urgences et qu’il nous accorde le privilège de rajouter encore des années à nos vies, mais surtout de la vie à nos dernières années.
ABDOULAYE DIAGNE
S.G de la Coordination des Associations
De personnes âgées de la Ville de Dakar
CAPA-VD