L’impératif d’une intégration africaine à l’épreuve d’un contexte sous régional fort agité
Au lendemain de l’accession de beaucoup de pays africains à la souveraineté internationale, le projet d’un État fédéral, porté par des élites au nombre desquelles Cheick Anta Diop et Kwame Nkrumah, n’a pas été réalisé. Néanmoins, l’OUA a pu voir le jour. En dépit de l’interventionnisme des puissances étrangères conjugué aux ego surdimensionnés de certains leaders africains, la dynamique unitaire poursuivie déboucha, en avril 1980, sur le Plan de Lagos. Ce dernier, expression condensée de l’expertise africaine, avait comme finalité de promouvoir l’autosuffisance nationale et collective dans le domaine économique et social dans la perspective de l’instauration d’un nouvel ordre économique international.
Mais cette ambition assumée de travailler en faveur de l’indépendance effective du continent sera hypothéquée par un ultralibéralisme qui a retrouvé un regain de vitalité avec le duo Ronald Reagan/Margaret Thatcher
Cette ère a été marquée par l’application de draconiennes Politiques d’Ajustement Structurel et de Stabilisation en faisant prévaloir avec la doctrine du « moins d’État, mieux d’État ». La mise au mal de toutes les structures ayant en charge la Production, la Santé, l’Éducation et la Culture en fut l’une de ses conséquences les plus dramatiques.
Toutefois près de deux décennies d’application des recettes des institutions financières de Bretton Woods, le constat d’un échec cuisant sera de rigueur. Et le sentiment de débauche d’énergie voire de sacrifices multiples inutiles, sera d’autant plus profond que le Directeur du FMI, Michel Camdessus, lui-même, reconnaitra avoir été non pas « architecte » mais … « seulement pompier ! »
Mais avant même d’établir ce bilan négatif des politiques d’Ajustement Structurel, se tenait le Sommet de la Baule en juin 1990. Au sortir de ces assises, l’Afrique francophone sera mise en demeure de procéder à la démocratisation sous peine d’être privée de l’aide publique. Cette politique, prétendument conçue pour extraire le continent du bourbier de l’endettement et de la culture du parti unique, préservait plutôt les intérêts d’une France obligée de repenser sa stratégie géopolitique avec la fin du cycle politique issu de Yalta 1945. L’enjeu était à la fois de gérer le lourd service de la dette et de réformer la gouvernance des États en leur inoculant une rationalité à même de favoriser l’économie libérale.
Pourtant, malgré ce triomphe de l’ultralibéralisme, les chefs d’États les plus attachés à la dynamique unitaire ont toujours cherché à renouer avec l’initiative historique. Ainsi, au début des années 2000, naitront le Millenium African Plan sous l’initiative des présidents algérien, Abdelaziz Bouteflika, nigérian, Olusegun Obasanjo et Sud-africain, Thabo Mbeki et le Plan Omega, porté par le président Abdoulaye Wade. La fusion de ces deux plans donnera le NEPAD (Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique) qui sera dénommé, en 2018, l'Agence de développement de l'Union Africaine.
Et avec la question de la monnaie à l’ordre du jour, il n’est pas superflu de rappeler que l’assassinat de Kadhafi n’a pas eu comme unique conséquence la déstabilisation du Sahel. Il a aussi privé le continent de l’un de ses fils les plus disposés idéologiquement et financièrement à assurer sa souveraineté monétaire.
Aujourd’hui, il est loisible de noter qu’aucune théorie du développement n’a réussi à sortir l’Afrique du mal développement. Même du Sommet de la Baule n’a résulté qu’une amère désillusion. Cette observation tient sa pertinence du fait de la distance prise par certains pays non pas seulement par rapport à l’Hexagone, mais vis-à-vis du projet démocratique lui-même.
Et contrairement aux crises prétendantes qui n’ont pas emporté dans leur sillage les structures fédératives, les contradictions du moment menacent les institutions. Tout au moins, la CEDEAO voit son existence compromise sous les efforts conjugués du Burkina Faso, du Mali et du Niger qui viennent de porter sur les fonts baptismaux l’Association des États du Sahel, AES.
L’organisation sous régionale a désormais une légitimité sujette à caution. Il a été reproché à ses leaders d’avoir pris des mesures draconiennes contre les juntes, sans tenir compte de l’intérêt des populations. Pire, la CEDEAO est accusée d’être davantage guidée par un corporatisme spécifique au syndicalisme des Chefs d’État que du souci de préserver les droits constitutionnels. Pour preuve, indique-t-on, autant les dirigeants de l’institution sous régionale sont intransigeants avec les juntes militaires autant ils sont d’une complicité déconcertante avec les auteurs de coups d’État constitutionnels.
Dans ce contexte fort complexe, le Sénégal, pour avoir réussi à mettre à contribution l’engagement rarement pris à défaut des citoyens-électeurs, le professionnalisme toujours réaffirmé de la presse, l’esprit républicain des animateurs des différentes institutions et le sens retrouvé de la responsabilité de sa classe politique, a réalisé la troisième alternance politique du pays. Et confirmant la proximité de l’urne avec la roche tarpéienne, dans une adresse d’une haute teneur républicaine, le président du Conseil constitutionnel, Mamadou Badio Camara, fera noter avec toute la solennité qui sied : « À mon avis, le secret est dans le bulletin de vote ».
Et cette affirmation de l’ancrage ferme du Sénégal dans le projet démocratique a été suivi, quelques jours après, de la volonté affichée du pouvoir issu de la troisième alternance politique à œuvrer pour une Afrique unie et solidaire. Cette volonté a trouvé son répondant dans la création d’un ministère chargé de l’Intégration africaine et des Affaires étrangères. Dès lors, l’intégration africaine étant à réaliser à partir de la constitution de solides pôles sous régionaux, la curiosité est de savoir quelle stratégie élaborer pour atteindre cet objectif. Comment le Sénégal à l’ancrage démocratique si prononcé pourra- t-il coopérer avec des États voisins, dirigés par des militaires ?
Peut -être bien que l’un des atouts majeurs est que les hommes forts de ces pays partagent avec ceux du Sénégal non seulement leur jeunesse mais aussi leur option résolument souverainiste. Le défi alors est ne pas faire moins que « les pères des indépendances africaines » qui avaient réussi à entretenir une dynamique unitaire dans un contexte autrement plus complexe.
Leurs velléités pour asseoir la souveraineté économique avaient fortement buté sur les politiques de chasses-gardées érigées par les puissances occidentales. Pour conserver leurs privilèges, les leaders les plus radicaux des mouvements nationaux devenaient l’objet d’une insoutenable chasse aux sorcières, s’ils n’étaient pas liquidés purement et simplement. Les conditions dans lesquelles Patrice Lumumba a été assassiné en sont l’une des illustrations les plus dramatiques.
Une telle configuration géopolitique confinait le choix des partenaires dans un cercle restreint. En dépit de ces pesanteurs, le continent avait fait émerger l’un de ses plus beaux fleurons, à savoir Air Afrique. S’inscrivait dans ce registre, le regroupement entre la Côte d’Ivoire, le Togo et le Sénégal pour constituer les Nouvelles éditions africaines.
Présentement, prévaut une coopération bilatérale délestée de toutes conditionnalités, y compris celles ayant trait au formalisme républicain. Des pays comme le Brésil, l’Inde, la Chine et la Turquie manifestent leur désir d’être beaucoup plus présents sur le continent. D’un même mouvement, les anciennes puissances voient leur zone d’influence se rétrécir très sensiblement. Signes des temps : des coups d’État sont perpétrés à leur insu. Au Niger, au Burkina Fao et au Mali, militaires américains et/ou français sont sommés de déguerpir avec armes et bagages.
Paradoxalement, cette hostilité manifeste envers l’Occident milite en faveur du renouveau partenarial que revendique la nouvelle génération de dirigeants. Les Occidentaux, édifiés sur la spécificité du cours actuel et ayant l’intelligence de leurs intérêts vitaux, seront mis en demeure de lâcher du lest pour mieux se redéployer.
Dans ce contexte, le nouveau pouvoir, issu de la récente alternance politique, survenue au Sénégal, gagnerait à réaliser que, tout en nourrissant la même ambition souverainiste que les leaders militaires, leur mode de gouvernance les oppose. Conscient de cette donne, le Sénégal est à même de privilégier la coopération entre États en laissant à chacune des entités nationales le soin de régler ses propres contradictions. Ainsi, la sous-région marquera un pas important dans la quête de l’unité africaine, laquelle restera un vœu pieux, en l’absence de véritables pôles économiques au sein desquels sera garantie la libre circulation des biens, des personnes et des idées. Dans cette logique d’apaisement, la nouvelle génération aux affaires serait bien inspirée de se réapproprier de l’esprit qui a présidé à l’élaboration du Plan de Lagos et de promouvoir une véritable diplomatie culturelle.
Une telle suggestion, aux contours d’un impératif catégorique, est dictée par le simple fait que sans la souveraineté alimentaire, sans l’indépendance financière et la sécurité, les dirigeants du continent du moment ne sauraient répondre aux fortes et légitimes attentes du peuple africain
Au demeurant, un tel modus vivendi ne saurait signifier l’interdiction des intellectuels, des membres de la société civile et des formations politiques de se prononcer sur les politiques en vigueur dans les différents pays. Partant, les questions, ayant trait aux libertés démocratiques, aux transitions politiques et à la substitution d’un supposé oppresseur à un autre, ne pourront être soustraites de l’examen critique des citoyens, toutes nationalités confondues.
Alpha Amadou SY,
philosophe auteur, entre autres,
d’Un pas dans l’univers de la philosophie,
Paris, éditions l’Harmattan, 2015.