Publié le 29 Apr 2024 - 13:23
MORTS SUR LES ROUTES ET INEFFICACITÉ DES MESURES CONTRE LES ACCIDENTS

Le travail de Sisyphe

 

La recrudescence alarmante des accidents de la route continue d'inquiéter les usagers et les autorités locales. Ces incidents tragiques se multiplient, entraînant non seulement des pertes en vies humaines, mais également des blessures graves et des dommages matériels considérables. Le nouveau gouvernement a donné le ton pour renforcer la sécurité routière. Reste à savoir s’il joindra sa parole á l’acte dans un secteur désorganisé et entaché par la corruption. 

 

‘’La récurrence des accidents de la route au Sénégal est un problème urgent qui nécessite une action concertée et immédiate de la part des autorités, des citoyens et de la société dans son ensemble’’, suggère Cherif Baldé, chauffeur dans une société privée, attristé par les images du dernier accident sur la route de Kaffrine.

Un accident qui a eu lieu le jeudi 25 avril dernier à Koungheul, dans la région de Kaffrine, à 370 km de Dakar. Le bus, en provenance de Kédougou, aurait dérapé après l’éclatement d’un pneu, avant de se renverser, renseignent plusieurs témoins. Le bilan préliminaire fait état de 14 décès et 54 blessés, dont 10 dans un état grave, indique le ministère de la Santé.

Cet accident survient plus d’un mois après celui survenu à Sabodala, dans le sud-est du pays, qui a entraîné la mort de sept personnes.

Aussitôt, le nouveau ministre des Transports terrestres et aériens, El Malick Ndiaye, s’est rendu sur les lieux de l’accident. Après avoir évalué la situation, il a annoncé des mesures visant à réduire les accidents. ‘’Nous veillerons à ce que les conducteurs n’encombrent pas les tableaux de bord de leurs véhicules avec des objets inutiles. Une directive sera diffusée en ce sens pour faciliter le travail des contrôleurs routiers’’, a déclaré M. Ndiaye, insistant sur la limitation de vitesse.

Digitalisation du processus d’obtention du permis de conduire et de la carte grise

Dans cette optique, de nouvelles orientations ont été annoncées par le ministre qui appelle déjà à une série de rencontres avec tous les acteurs du secteur, dans les plus brefs délais. Ces concertations auront pour objet la mise en œuvre rapide d’un plan d’action axé sur la digitalisation du processus d’obtention du permis de conduire et de la carte grise, indique-t-on dans le communiqué. 

Selon la même source, il sera aussi question d’instaurer le permis à points et l’installation des centres de contrôle technique modernes dans les huit pôles de développement d’abord et les 14 régions après ; l’application stricte du nouveau Code de la route, dans les plus brefs délais ; l’établissement du système de limitation de vitesse pour les véhicules lourds (camions et autobus) ; la digitalisation du système de contrôle routier en rapport avec les ministres chargés de l’Intérieur et des Forces armées ; le contrôle rigoureux des accessoires obligatoires pour les véhicules (triangles, gilets haute visibilité, extincteurs, boite à pharmacie, lampe-torche, etc.) ; l’interdiction des gadgets réduisant la visibilité du conducteur.

Il est difficile de faire le bilan de l’applicabilité de ces règles établies par le gouvernement d’Amadou Ba, en 2023.

Que deviennent les 22 mesures phares de Macky Sall ?

Pourtant, un an auparavant, l’ancien gouvernement avait instauré 22 mesures phares pour lutter contre la recrudescence des accidents routiers. Cette série de mesures avait été prise à l'issue d'une réunion gouvernementale organisée en urgence à Diamniadio, au lendemain du terrible accident de la route de Sikilo, le 8 janvier 2023.

À l’heure actuelle, il est difficile de faire le bilan de l'application de ces règles établies par le gouvernement d’Amadou Ba. 

Pour Gora Khouma, secrétaire général de l’Union des routiers du Sénégal et membre du Comité directeur mondial des transports, les acteurs du transport ont déjà pris leurs responsabilités. Mais le hic, ce sont les autorités qui n’honorent pas leurs engagements. Même s’il reconnaît que parmi les 22 mesures, certaines sont appliquées à la lettre comme l'arrêt de la circulation des bus à partir de minuit.

Quant à l'application du permis à points, il insiste mordicus que c’est impossible, car il y a des mesures préalables à respecter. ‘’Il n’y a presque plus de trottoirs, les mairies ont vendu tous les espaces dédiés à la voirie urbaine, ce qui rétrécit la chaussée. Les gens ne respectent plus les passages cloutés et tout le monde (piétons, ‘motos-Jakarta’) évolue sur la route au mépris de toutes les règles de sécurité’’, affirme-t-il, avant d’ajouter : ‘’La route n’est pas sécurisée, il n’y a pas deux fois deux voies. Il y a des mesures et des conditions préalables à remplir comme dans certains pays. L’inclusion du permis à points n’est pas une simple déclaration. Nous ne sommes pas encore prêts pour l'intégrer au Sénégal’’, déclare-t-il. 

En outre, Gora Khouma comprend mal le retard inqualifiable dans la mise en place de centres techniques modernes. Il relève que, depuis Wade, il n’y a qu’un seul centre, c’est celui de Dakar. Tous les régimes ont promis d’en construire de nouveaux sans rien faire’’.

Gora Khouma : ‘’C’est vrai que les chauffeurs ont leur part de responsabilité, mais ils ne sont pas comptables de tout.’’

Toujours dans l'évaluation à mi-chemin de ces mesures, Gora Sall, président du GIE des chauffeurs And Pastef, souligne que si certaines mesures sont appliquées, il demeure que la construction des aires de repos ou le contrôle des charges (cargaison) reste toujours problématique. Certains chauffeurs continuent de dépasser la hauteur requise (60 cm). 

Sur ce, Gora Khouma est revenu à la charge, en relevant que ‘’le bus qui a fait l’accident était en surcharge et il a traversé plusieurs postes de contrôle sans être inquiété. C’est vrai que les chauffeurs ont leur part de responsabilité, mais ils ne sont pas comptables de tout’’, déclare-t-il. 

Par ailleurs, le syndicaliste met en garde le nouveau ministre des Transports. ‘’Nous sommes prêts à rencontrer notre ministre de tutelle, si c’est pour dialoguer et mettre en place un plan de suivi. Mais si c’est pour faire comme les gouvernements passés, c’est peine perdue. Il faut poser des actes forts et dépasser les discours’’, soutient-il. 

Pour sa part, son collègue Gora Sall, basé à Keur Massar, invite le nouveau gouvernement à ‘’être plus exigeant sur le renouvellement du parc automobile et mettre en fourrière certaines voitures’’. Il conseille aussi d’avoir un bureau de fret pour faciliter le transport des poids lourds. N’importe qui peut devenir transporteur ; ce n’est pas normal. Les entreprises doivent se limiter à la production et laisser les transporteurs jouer ce rôle de livraison’’.  

Pour rappel, le gouvernement avait décidé d’interdire la circulation des bus entre les villes et les villages ainsi que l’importation des pneus usagés, l’ouverture des centres de contrôle technique dans les régions ou le plombage des compteurs de vitesse à 90 km/h pour le transport de personnes et des marchandises. 

En décembre 2023, l’Agence nationale de sécurité routière (Anaser) dénombrait en moyenne 17 000 accidents par an au Sénégal, représentant 12 milliards de francs CFA de pertes pour le pays.

Selon l’Anaser, ces chiffres placent le Sénégal comme l’un des pays les plus touchés par le traumatisme des accidents routiers avec un taux de décès qui s’élève à 23,4 % pour 100 000 habitants par an.

AMADOU CAMARA GUEYE
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