Publié le 21 May 2024 - 17:27
VISITE DE DIOMAYE AU NIGERIA ET AU GHANA

Héraut d’une réconciliation entre l’AES et la CEDEAO

 

Le président Bassirou Diomaye Faye, dans le cadre de sa tournée ouest-africaine, s'est rendu à Abuja et à Accra. Le nouveau président sénégalais entend ainsi jouer les bons offices entre les pays de l’AES et la CEDEAO pour éviter l’implosion de l’organisation sous-régionale.

 

Le président Bassirou Diomaye Faye poursuit sa tournée régionale : il s’est rendu les 16 et 17 mai à Abuja et à Accra, où il s'est entretenu avec ses homologues nigérian et ghanéen pour trouver une solution face aux crises régionales avec le Mali, le Niger et le Burkina Faso. Le chef de l’État nigérian, Bola Tinubu, président en exercice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), a exhorté, le jeudi 16 mai 2024, son homologue sénégalais à travailler en vue de faire ‘’revenir au bercail’’ le Burkina Faso, le Mali et le Niger, au cours d’une audience à Abuja.

Le président ghanéen a abondé dans le même sens. L’élection de Bassirou Diomaye Faye ‘’rassure tous ceux qui s’intéressent à l’avenir démocratique de notre région et de notre continent’’, a déclaré pour sa part Nana Akufo-Addo. ‘’Je pense qu’il va nous aider à résoudre le gros problème que connaît la CEDEAO avec le départ des trois pays clés que sont le Niger, le Burkina Faso et le Mali’’ afin de ‘’trouver un moyen de les ramener au sein de notre communauté’’, a-t-il ajouté.  

Reste à savoir si le Sénégal a les marges de manœuvre pour faire retourner ces trois pays du Sahel dans le giron de la CEDEAO, si l’on sait que sur ce dossier, l’alignement sur la position de la communauté sous-régionale avait été décrié par la junte malienne au regard des relations entre les deux pays et le dynamisme économique qui existe sur l’axe Dakar - Bamako.

Par ailleurs, l’engagement du Togo dans cette crise mené par son expérimenté et réseauté ministre des Affaires étrangères Robert Dussoyer avait quelque peu éclipsé la diplomatie sénégalaise.

En octobre 2023, il avait déclaré dans les colonnes de ‘’Jeune Afrique’’ qu''il fallait privilégier le dialogue avec le Mali, le Burkina Faso et le Niger''. Notre position est d’éviter d’exclure un certain nombre de pays de la CEDEAO. Il faut prôner le dialogue avec tous afin de trouver une solution. La diplomatie togolaise cherche à concilier les extrêmes et à trouver des voies de sortie. Une position que certains diplomates sénégalais avaient soutenue lors de la série de crises dans le Sahel. ‘’Le Sénégal pouvait jouer un rôle de médiation entre ces pays et la CEDEAO. Le chiffon rouge d’une intervention au Niger a été très tôt agité. Dakar a perdu une certaine aura dans plusieurs dossiers. À part la crise gambienne en 2017 où des mesures fortes ont été prises, il n’en demeure pas moins que la diplomatie sénégalaise peine à jouer ce rôle d’équilibre. On espère que les nouvelles autorités vont réussir leur mission, c’est-à-dire de résoudre le conflit entre Niger, Mali et Burkina Faso et les autres’’, confie un diplomate sous l’anonymat.

Pour le journaliste Omar Ndiaye, chef du desk Relations internationales au quotidien ‘’Le Soleil’’, le Sénégal a les moyens de ses ambitions, au regard de ses acquis démocratiques. ‘’Le Sénégal est un pays leader de la CEDEAO avec une histoire démocratique et une trajectoire de transmission pacifique du pouvoir. Il est, avec le Cap-Vert les deux seuls pays de la CEDEAO à ne jamais avoir connu de coup d’État’’.

En effet, poursuit-il ‘’même si au début, les nouvelles autorités n’ont pas eu de positions tranchées sur la question de l’AES, elles ont quelques affinités idéologiques avec ces derniers comme sur des questions ayant trait à la souveraineté, à la présence des bases militaires étrangères, entre autres. Sans compter aussi que la nouvelle politique étrangère a pour pierre angulaire le panafricanisme avec la nouvelle dénomination de notre ministère chargé de ce domaine.  Tout cela peut faciliter l’approche du Sénégal à mener des médiations pour faire revenir les pays de l’AES au sein de la CEDEAO’’, analyse-t-il.

Le capital-crédit des nouvelles autorités sénégalaises

Toutefois, il met en garde la diplomatie sénégalaise à ne pas faire cavalier seul. ‘’Il faut que le Sénégal, dans son approche, soit inclusif, collaboratif et intègre autant que possible dans ces démarches les instances de la CEDEAO qui, depuis le début de la crise avec ces trois États, multiplient des actions’’, suggère Omar Ndiaye.  

Ce diplomate, qui a été au cœur de plusieurs crises, reste plus ou moins nuancé. S’il reconnaît, d’une part, que Dakar peut jouer un rôle primordial dans cette crise, d’autre part, il doute que ces trois pays soient prêts à réintégrer la CEDEAO à court terme. ‘’Le Sénégal peut jouer le rôle de médiateur pour faire revenir les pays de l'AES à leur maison. Le contexte est favorable pour le Sénégal, au regard de la vision des nouvelles autorités mettant en avant le souverainisme et le patriotisme, deux principes chers aux pays de l'AES. L'autre chose qui milite en notre faveur est la légitimité du président de la République et de son Premier ministre à la suite de l'élection présidentielle en mars 2024. Le Sénégal est donc bien placé pour jouer les bons offices auprès des pays de l'AES’’, précise-t-il.

Mais ‘’pour autant, c'est une mission hautement diplomatique qu'il faudra nécessairement effectuer auprès de l'AES. Cela servira, au moins, à défendre nos intérêts stratégiques avec ces pays, notamment le Mali. D'autant plus que d'autres pays comme le Maroc ou encore la Guinée-Bissau (en partenariat avec les Russes qui envisagent de construire un port à Buba et des infrastructures terrestres) se positionnent pour offrir leur façade maritime à l'AES pour désenclaver ces pays. Sans oublier les tensions persistantes entre le Bénin et le Niger liées à la fermeture de la frontière nigérienne (qui) semblent aussi indiquer que cette rupture sera difficilement résolvable.

Lignes de fractures irrémédiables entre les pays de l’AES et la CEDEAO

Dans la foulée, il reconnaît que  ce sera extrêmement ‘’difficile’’, pour ne pas dire une mission "impossible" pour faire revenir les pays de l'AES. ‘’Les divergences ont été profondes avec la CEDEAO, créant un fossé qui ne pourra pas être réglé, de mon point de vue, dans le court terme. En outre, les pays de l'AES semblent résolument avoir tourné la page de la CEDEAO avec la création de la charte instituant la confédération de l'AES lors de la rencontre des ministres des Affaires étrangères de ces trois pays tenue la semaine dernière à Niamey. La charte sera soumise aux chefs d'État pour validation. C'est un grand pas vers la rupture avec la CEDEAO’’, prévient-il.

À l'heure actuelle, peu d'informations filtrent sur ces dossiers en cours. Quant aux nouvelles autorités, elles naviguent entre réalisme et scepticisme. Pour le journaliste le nouveau gouvernement a tout à y gagner dans cette médiation. ‘’Le Sénégal a eu à faire plusieurs médiations sous l'égide de la CEDEAO. Certaines avec des succès et d’autres avec des échecs. Notre pays a eu à jouer un rôle important dans ce qui est passé en Gambie, il y a sept ans, avec le résultat que nous avons connu sur le retour de la démocratie dans le pays. Il y a eu aussi le Burkina Faso avec des fortunes diverses que l’ancien président Macky Sall a eues dans sa médiation. Auparavant, le président Wade a réussi en Côte d’Ivoire, en Guinée-Bissau, en Mauritanie, entre autres. À notre avis, l’échec n’est rien d’autre qu’une capitalisation d’expériences. De plus, nous avons de nouvelles autorités qui seront à leur première médiation et si cela échoue, nous ne le souhaitons pas, elle ne sera pas trop grave’’, conclut-il.

Amadou Camara Gueye

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