Publié le 12 Jul 2024 - 00:00
INTERVIEW AVEC AMADOU MOCTAR ANN, CHERCHEUR EN SCIENCES POLITIQUES

les orientations diplomatiques de Diomaye et de Macky Sall

 

La diplomatie sénégalaise, comme tout instrument de politique étrangère, évolue avec le temps et les dirigeants. Amadou Moctar Ann, chercheur en sciences politiques, nous éclaire sur les différences et la continuité entre les orientations diplomatiques de l'ancien président Macky Sall et de son successeur Bassirou Diomaye Faye.

 

Quelle lecture faites-vous de la différence des orientations diplomatiques entre Diomaye et Macky ?

La diplomatie, en tant qu'instrument de la politique étrangère des États, a connu diverses évolutions conceptuelles et pratiques au fil du temps. Le Sénégal ne déroge pas à cette configuration. Pour avoir une grille de lecture sur la différence des orientations diplomatiques entre l’ancien président de la République Macky Sall et l’actuel chef de l’État Bassirou Diomaye Faye, nous pouvons avancer trois approches diplomatiques : la ‘’diplomatie classique’’, la ‘’diplomatie contestataire’’ et la ‘’diplomatie souverainiste’’.

Sous la présidence Sall, nous avions noté une continuité quant à la conduite des affaires diplomatiques. Le statu quo était maintenu sur les questions structurant la politique étrangère du Sénégal telles que la défense des droits inaliénables du peuple palestinien depuis 41 ans, la promotion de l’unité africaine, les relations de coopération très étroites avec la France, le soutien au plan d'autonomie pour le Sahara occidental proposé par le Maroc, la diversification accrue des partenariats, la politique de neutralité relative face aux blocs qui se sont constitués dans un monde multipolaire, etc.

Dakar a, par conséquent, privilégié les canaux officiels et les institutions internationales établies pour la conduite des relations internationales.

Par ailleurs, le maintien à son poste de l'ambassadeur Oumar Demba Ba, qui était là sous le président Wade, annonçait déjà cette continuité.

En ce qui concerne le président Faye, il faut d’abord souligner que même s’il a annoncé que des changements majeurs allaient être opérés dans la diplomatie sénégalaise, la doctrine classique est encore prégnante.

Cependant, les contours de la future diplomatie du nouveau régime commencent à se dessiner. Nous pouvons l’observer à travers le jeu d’équilibriste mis en place face à la situation opposant la CEDEAO et l’AES, l'intitulé du ministère qui s'occupe de la diplomatie sénégalaise (ministère de l'Intégration africaine et des Affaires étrangères), le discours dénué de toute ambiguïté sur les relations économiques internationales avec les grandes puissances, l’UE et les multinationales.

Ensuite, l’honnêteté intellectuelle et l’objectivité nous obligent à dire que la plupart des observateurs n’ont pas encore de visibilité sur la ligne diplomatique du nouveau régime, en raison du discours très souverainiste et très offensif du Premier ministre Ousmane Sonko et celui plus conciliant du président Faye. Ce style contribue à ‘’brouiller les cartes’’ de la diplomatie sénégalaise. Ce qui peut être un atout, car en géopolitique, il faut être pragmatique, opportuniste et être un as du camouflage.

Nous pouvons toutefois tenter d’affirmer que le nouveau régime pratique ‘’la diplomatie contestataire’’ et la ‘’diplomatie souverainiste’’. Cette dernière représente une approche qui met l'accent sur la défense et la promotion des intérêts nationaux dans un contexte de mondialisation croissante. Cette forme de diplomatie privilégie la préservation de l'autonomie stratégique nationale dans la prise de décision en matière de politique étrangère, souvent en opposition aux contraintes imposées par les organisations internationales.

Ousmane Sonko n’a, par exemple, jamais caché le fait qu’il n’était pas un très grand ‘’ami’’ des institutions de Bretton Woods, notamment le FMI et la Banque mondiale. La ‘’diplomatie souverainiste’’ peut se manifester par une réticence à céder des compétences à des entités supranationales (ce qui n’est pas encore le cas avec le nouveau régime) ou par une volonté de renégocier les termes des accords internationaux existants.

Enfin, ces trois approches diplomatiques ne sont pas mutuellement exclusives et peuvent coexister ou s'entrecroiser dans la pratique des relations internationales contemporaines. Leur utilisation et leur efficacité dépendent souvent du contexte géopolitique, des objectifs poursuivis et des ressources disponibles pour les acteurs impliqués.

Diomaye a-t-il les moyens de faire revenir l’AES au sein de la CEDEAO ?

La question du retour des États ayant quitté une organisation régionale ou sous-régionale reste complexe en relations internationales. La médiation et la diplomatie peuvent contribuer à la réintégration de ces États. Ayant compris cela et mandaté par ses pairs, le président Faye a accepté de relever ce ‘’défi’’.

On peut dire qu’en tant que tiers neutre bénéficiant d’une légitimité politique, il peut faciliter le dialogue entre la CEDEAO et l’AES. Après avoir identifié les griefs du Mali, du Niger et du Burkina Faso, le chef de l’État sénégalais essaye d'explorer des solutions mutuellement acceptables.

Toutefois, l’efficacité de cette médiation dépend largement de la volonté des parties à s'engager de bonne foi. Ce qui semble être le cas pour le moment, au vu du discours et de l’accueil chaleureux réservés au président Faye par la plupart des leaders des deux camps.

Depuis lors, la CEDEAO tente d’aborder les préoccupations des États de l’AES en soulignant les avantages liés à leur réintégration qui peuvent être économiques, politiques ou sécuritaires. Cependant, l’organisation sous-régionale, à travers le président Faye, se heurte à plusieurs défis.

Il y a d’abord la question de la souveraineté des États de l’AES. Au vu de ce qu’ils reprochent à l’organisation, ils perçoivent les efforts de réintégration comme une atteinte à leur autodétermination déjà enclenchée. On peut dire qu’ils sont dans une logique de point de non-retour et d’irréversibilité.

Ensuite, avons-nous les dynamiques internes ? Les considérations de politique intérieure, marquées par un fort rejet de la France par les populations locales qui la considèrent comme la main invisible qui manipule la CEDEAO, priment sur les avantages de la réintégration des pays de l’AES.

Nous avons, enfin, l'évolution des intérêts. Les priorités des États de l’AES ont changé ou du moins évolué. Ils ont tous en commun d’être confrontés à un défi sécuritaire colossal et de s’être rapprochés de la Russie. Cependant, le Niger veut profiter de sa manne pétrolière et celle de l’uranium pour décoller sur le plan économique. Le Burkina Faso compte résoudre ses problèmes énergétiques en misant sur le nucléaire à usage civil, avec l’appui de Moscou. Le Mali veut renforcer son secteur industriel et ‘’bâtir’’ un nouveau type de citoyen, d’où les réformes linguistiques et symboliques.

Pour revenir au président Diomaye Faye, on ne devrait pas insulter l’avenir. Nous pouvons être optimistes, mais d'un optimisme lucide, car les derniers développements, en particulier l'annonce par les États de l'AES de leur volonté de créer une confédération, n'augurent pas de leur réintégration au sein de la CEDEAO.

Pour comprendre à quel point le défi est énorme, nous pouvons rappeler quelques cas historiques qui offrent des perspectives contrastées. Par exemple, le retour de la France dans la structure de commandement militaire intégrée de l'Otan en 2009, après son retrait en 1966, illustre un succès de la diplomatie à long terme. En revanche, malgré des efforts diplomatiques en aval, le Royaume-Uni a quitté l'Union européenne après le Brexit.

Donc, bonne chance à Diomaye !

Pensez-vous qu’il y a une rupture dans les relations avec la France ?

La question des relations entre le Sénégal et la France à l'aube d'un nouveau régime au Sénégal soulève des interrogations sur une vraie politique de rupture. Cette problématique s'inscrit dans le contexte plus large des relations postcoloniales en Afrique de l'Ouest et de l'évolution des rapports de force sur la scène internationale.

D'une part, le discours politique du nouveau régime sénégalais met l'accent sur la souveraineté et le respect mutuel, ce qui pourrait signaler une volonté de rééquilibrage des relations avec l'ancienne puissance coloniale. Ce type de rhétorique s'inscrit dans une tendance plus large de réaffirmation de l'autonomie africaine observée dans plusieurs pays du continent.

Cependant, la persistance de certains éléments structurels de la relation franco-sénégalaise suggère une continuité plutôt qu'une rupture nette. Le maintien des bases militaires françaises et l'utilisation continue du franc CFA sont des indicateurs de liens profonds et durables. Ces héritages coloniaux restent des ‘’points d'ancrage de l'influence française en Afrique’’, comme le soulignait Cédric Amoussou en parlant de la position de la France sur l’élection présidentielle de 2020 en Côte d’Ivoire.

Il convient donc de nuancer l'idée d'une rupture brutale. Les relations internationales évoluent généralement de manière progressive, à travers des ajustements et des négociations continues, plutôt que par des changements radicaux. Les nouvelles orientations politiques peuvent entraîner des modifications significatives, mais les dynamiques structurelles et les intérêts mutuels tendent à perdurer.

En somme, le débat sur une éventuelle rupture dans les relations entre le Sénégal et la France doit être envisagé à la lumière de ces dynamiques complexes et interdépendantes. Les déclarations politiques et les mesures symboliques sont des indicateurs importants, mais il est essentiel d'observer également les pratiques concrètes et les évolutions à long terme pour évaluer l'ampleur réelle des changements en cours.

Quels sont les défis du nouveau gouvernement dans un contexte d’exploitation du gaz et du pétrole ? 

L'accession du Sénégal au statut de producteur de pétrole et de gaz place le nouveau gouvernement face à des défis majeurs tant sur le plan national qu'international. Le premier défi consiste à éviter le piège de la ‘’malédiction des ressources’’ qui a affecté de nombreux pays africains producteurs d’hydrocarbures. Cela implique de mettre en place une gouvernance transparente et efficace des revenus pétroliers et gaziers ainsi que de diversifier l'économie pour éviter une dépendance excessive à ces ressources. L'adhésion à l'Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE) est un pas important dans ce sens, mais des efforts supplémentaires seront nécessaires pour y arriver.

Ensuite, il ne faut pas perdre de vue les tensions géopolitiques régionales. En effet, l'exploitation offshore dans les eaux territoriales sénégalaises, notamment le champ gazier Grand Tortue/Ahmeyim partagé avec la Mauritanie, pourrait raviver des tensions frontalières latentes. Le gouvernement devra promouvoir davantage la diplomatie de bon voisinage et consolider ses accords avec les pays voisins tout en affirmant sa souveraineté sur ses ressources. D’autres pays comme le Qatar et l’Iran l’ont réussi.

On peut donc compter sur l’intelligence politique des nouvelles autorités sénégalaises pour éviter tout conflit. Nous pouvons également parler du positionnement du Sénégal sur l'échiquier énergétique mondial.

En effet, dans un contexte de transition énergétique globale, le Sénégal doit définir sa stratégie d'exportation et ses alliances économiques. L'Europe et l’Asie, en quête de diversification de leurs approvisionnements gaziers consécutive à la guerre russo-ukrainienne, pourraient devenir des partenaires privilégiés. Cependant, la concurrence d'autres producteurs africains et la volatilité des marchés constituent des facteurs d'incertitude.

 

Dakar abrite 81 ambassades et a implanté 54 ambassades et 15 consulats à travers le monde.

 

 

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