Quand la voix du gouvernement brise l'omerta

La sortie du porte-parole du gouvernement sur l'affaire de la mort de Mamadou Moustapha Ba relance le débat et interpelle les autorités chargées de l'enquête.
Plus qu'une simple interrogation, comme il le prétend, il s'agit d'une vraie affirmation soutenue par une haute personnalité du régime, sur la mort de l'ancien ministre de l'Économie et des Finances Mamadou Moustapha Ba. La déclaration aurait-elle été tenue par un citoyen lambda, elle n'aurait certainement pas suscité autant de polémique. Mais c'est la voix du gouvernement elle-même qui a avancé que le dernier ministre des Finances de Macky Sall “a été tué dans des conditions troubles”. Même s'il invoque l'avoir fait dans un cadre politique, en tant que citoyen, cette déclaration a eu un retentissement au-delà même des frontières du Sénégal. Poussant les avocats de la famille à monter au créneau pour exiger son audition.
Selon Maitres El Hadj Diouf et Amadou Aly Kane, le ministre porte-parole du gouvernement “devrait être immédiatement entendu dans le cadre de l'enquête ouverte sur les circonstances de cette disparition”. De tels propos, venant d’un haut responsable, soutiennent-ils, “ne peuvent rester sans suite”. Ce, d'autant plus que le concerné n'a même pas utilisé le conditionnel, soulignent les robes noires pour qui, cette sortie rappelle un précédent, à savoir l'affaire du journaliste Adama Gaye qui avait été interpellé et jugé pour avoir tenu presque les mêmes propos.
D'ailleurs, M. Gaye n'a pas raté ce prétexte pour revenir sur l'affaire qui lui avait valu 72 heures de garde à vue et un procès en flagrant délit. “Ce que le ministre porte-parole a dit, c'est exactement la même chose que j'avais indiquée de façon allusive, lors d'une interview que j'avais faite le 20 novembre 2024 sur une chaine de télévision. Dès le lendemain, les services de sécurité m'avaient convoqué. À la suite de mon audition, j'avais été placé en garde à vue pendant 72 heures, pour avoir simplement dit ce que le ministre porte-parole du gouvernement vient de dire. Cela montre simplement que je n'aurais jamais dû être convoqué et jugé pour ces propos basés à l'époque sur des éléments factuels”, fulmine le journaliste qui réclame justice, même s'il a été relaxé après son procès.
Mystère autour de l'autopsie
La question qui taraude bien des esprits depuis la sortie du ministre porte-parole du gouvernement, c'est quelle posture pour la justice qui avait ouvert une enquête dans ce dossier. Sarré va-t-il être convoqué pour audition ? Le procureur va-t-il tenir compte de ce nouveau développement ?
Il faut rappeler que tout au début de cette affaire, le parquet avait pris les choses en main, allant même jusqu'à retarder l'inhumation pour les besoins de l'enquête. Dans un communiqué, le procureur Ousmane Ndoye disait : “Les renseignements reçus sur les circonstances du décès comportent des éléments qui justifient que des diligences soient menées en vue de déterminer les causes de la mort.” Conformément aux dispositions de l'article 66 du Code de procédure pénale, justifiait le procureur de la République, “une enquête a été ouverte et à cet effet, une autopsie a été ordonnée”.
Par la suite, le chef du parquet auprès du tribunal de grande instance hors classe de Dakar a fait publier un autre communiqué, pour revenir de façon évasive sur les résultats de l'autopsie. “Les résultats de l'autopsie ordonnée tendant à déterminer les causes du décès ont révélé plusieurs éléments qui sont de nature à attester que la mort n'est pas naturelle”, informait le parquet avant d'ajouter : “Pour les besoins des investigations qui nécessitent des actes d'enquête complémentaire, les formalités liées à la procédure de levée du corps sont renvoyées à une date ultérieure.”
Le parquet toujours aphone
Depuis lors, c'est l'omerta. Aussi bien du côté de la famille, des autorités administratives que judiciaires, aucun élément nouveau n'a été porté sur la place publique. Même si les supputations n'ont presque jamais cessé. Jusqu'à ce que le ministre porte-parole du gouvernement fasse cette déclaration le week-end dernier.
Devant la tournure prise par cette déclaration, le concerné est monté au créneau pour apporter des précisions. “Soyons clairs : comme tout citoyen, j’ai le droit de m’interroger sur des faits marquants de notre actualité, sans pour autant faire d’affirmations. Ceux qui veulent faire diversion pour éviter les débats de fond sur la gouvernance et l’avenir du pays se fatiguent en vain. Pendant qu’ils polémiquent, nous avançons, déterminés à bâtir un Sénégal nouveau, sur la base de la vérité, de la rigueur et du développement pour tous”. Il accuse ses adversaires de vouloir instrumentaliser cette sortie pour nuire au régime, parce qu'ils sont en manque d'arguments.
Aujourd'hui, la grande interrogation, c'est que dit concrètement l'autopsie qui a été ordonnée et réalisée dans cette affaire ? Pourquoi, depuis lors, aucune autre évolution n'a été notée dans ce dossier ? Quel est le niveau de collaboration entre les justices sénégalaise et française pour faire jaillir la lumière dans la mort de l'ancien ministre ? Ils sont nombreux les Sénégalais à espérer des réponses concrètes de la part des autorités compétentes sur ces questions.
À noter que si, au début, l'autorité avait fait montre d'un grand enthousiasme à faire la lumière dans ce dossier, depuis quelque temps, on ne l'entend presque plus.
Avec cet élément nouveau, certains défenseurs des Droits de l'homme sont montés au créneau pour demander des actes. “Je pense que c'est une opportunité pour l'État de relancer cette enquête qui peine à aboutir. La famille attend, tout le monde attend. L'État a le devoir d'éclairer la lanterne des Sénégalais, parce que monsieur Moustapha Ba n'est pas n'importe qui dans ce pays. Je pense que l'enquête est trop lente et voilà une opportunité de la relancer”, a témoigné le président de la Ligue sénégalaise des droits humains Alassane Seck sur la Sen TV.
À l'en croire, le porte-parole du gouvernement a fait preuve de graves légèretés. “Quand il y a mort d'homme, il faut éviter de parler de façon aussi légère. Quand on en parle, il faut le faire avec des preuves à l'appui. Qu'il s'agisse du porte-parole du gouvernement, c'est extrêmement grave et je crois qu'il doit y avoir une suite à cette sortie malheureuse ”, assène le défenseur des Droits de l'homme.
PAR MOR AMAR