Publié le 16 May 2025 - 20:45
DEUX OU TROIS CHOSES…

Du temps de Ousseynou Seck…

 

Dans les années 1960, il y avait un célèbre animateur ou journaliste. Il officiait à Radio Sénégal le matin pour les informations, mais il était plus qu’un journaliste. Son nom : Ousseynou Seck. Il ne fallait pas rater son journal en wolof. Surtout pas, car il n’y avait qu’une radio, sinon il fallait écouter Radio Guinée ou Radio Moscou ou d’autres stations étatiques sur les ondes courtes si, bien sûr, il existait dans la maison un gros transistor à antenne télescopique. L’objet miraculeux était aussi volumineux qu’une valise. Il n’y avait pas encore la télévision nationale, encore moins de téléviseur. L’écoute collective était recommandée, car le poste personnel n’existait pas. Naviguer, zapper, surfer… cela ne se disait pas. Alors, disons capter sur les ondes courtes pour écouter le monde lointain, oui ! mais il fallait économiser la batterie de la taille d’une boite de sucres en morceaux.

Donc, dans les années 1960, il y avait Ousseynou Seck, le maître de l’émission matinale en wolof. Il était très écouté, parce que ses commentaires autant que les informations qu’il donnait montraient que ses propos n’étaient pas tout à fait les siens ou, tout au moins, ce qu’il disait n’échappait pas à la vigilance des stratèges du pouvoir. On ne parlait pas de communicants à l’époque. Seck était-il l’officieux porte-parole du président Senghor ? Personne n’en doutait, parce que ses annonces se vérifiaient bien vite sur le terrain politique.

Ousseynou Seck avait été un des acteurs importants, mais peu cités de la crise de 1962. C’est lui, en effet, qui a traduit en wolof le discours de Senghor sur la crise dans la nuit du 17 au 18 décembre. La traduction en wolof de l’allocution présidentielle eut un impact déterminant dans la guerre pour le pouvoir entre Dia et Senghor. En ces temps-là, celui qui tenait la radiodiffusion avait raison, surtout en cours de putsch.

Par la suite, Seck eut deux sujets sur lesquels il s’exprimait quasi quotidiennement : la chasse aux opposants entrés dans la clandestinité à l’époque, puis les réponses à Sékou Touré qui s’attaquait à Senghor dans des discours-fleuve accusant le président sénégalais de toutes sortes de manœuvres et autres complots contre son régime. Et ses harangues révolutionnaires passaient et repassaient tous les jours sur les ondes de Radio Guinée qui avait un audimat conséquent au Sénégal.

Ousseynou Seck se chargeait donc de répliquer. Ne ratant jamais le président guinéen qu’il affublait de noms d’oiseaux. Il l’appelait ‘’goutoute’’, un oiseau que, dans le monde rural, on qualifie de chanteur narcissique parce qu’il fredonne pour lui-même.

Ainsi, pour le journaliste wolophone, le président guinéen est un narcissique indécrottable qui s’auto-glorifie dans des discours pro domo. Il était si incisif que Sékou Touré s’obligeait de lui répondre directement sur les ondes de sa radio.

Mais entre les crises diplomatiques opposant Touré et Senghor, il y avait la politique intérieure et les opposants qui n’avaient pas désarmé, malgré l’interdiction du PAI et l’entrisme du PRA et d’autres formations politiques.  Les récalcitrants, Seck les menaçait chaque matin d’arrestations prochaines. ‘’Mbalma dèmna guèdj !’’, disait-il en wolof, pour annoncer, textuellement, ‘’un coup de filet’’ dans les rangs des adversaires du régime senghorien et leur promettait ‘’Ndougousine’’, une prison mythique qui n’était en fait que le nom d’un village que personne ne connaissait. En 1968, il fut l’une des rares cibles des manifestants qui brûlèrent son domicile.

Ousseynou Seck est mort avant la réconciliation entre Sékou Touré et Senghor, en 1974, actée par la venue du Bembeya Jazz à Dakar cette année-là.

Après Ousseynou Seck, il n’y eut plus de phénomène médiatique du même acabit. Certes, Hajj Mansour Mbaye joua un rôle similaire auprès d’Abdou Diouf, mais il était plutôt porte-voix que porte-parole. Mbaye Pekh avec Wade itou.

Quels liens entre Ousseynou Seck, il y a soixante ans, et l’actualité ? Peut-être aucun, parce que les époques sont différentes, mais la chasse aux opposants d’hier ressemble beaucoup à celle en cours, sauf qu’aujourd’hui, ce n’est point idéologique. Ensuite, il n’y a plus de Ousseynou Seck pour annoncer ‘’Mbalma dem na guèdj !’’. Soixante ans après Seck, c’est le chef de parti Ousmane Sonko qui s’y met, avec les réseaux sociaux ou quelques caciques qui tirent à vue sur l’ancien chef d’État et ses proches. La situation actuelle ressemble davantage à une vendetta d’État qu’à une reddition de comptes ou à un conflit idéologique entre partis. Et quand l’arme est l’État, rien ne peut arrêter la machine répressive.

Ousseynou Seck n’est plus là, mais les mêmes pratiques demeurent.

Issa Sall

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