Le Grand pacte présidentiel
Les informations en préambule des conclusions définitives de la commission politique du Dialogue national laissent présager d’un accord de compromis entre Macky Sall et les ‘’K’’ (Karim Wade et Khalifa Sall). Les délégués au Dialogue national – du pouvoir, de l’opposition, de la société civile et des non-alignés - sont parvenus à un accord sur les modifications du Code électoral devant permettre à Karim Wade et Khalifa Sall de briguer la magistrature suprême en février 2024. Tandis que la question du troisième mandat sera laissée à l’appréciation du Conseil constitutionnel. Ce pacte entre les principales personnalités du dialogue semble acter l’isolement d’Ousmane Sonko.
Même si les conclusions du rapport final du Dialogue national sont attendues ce weekend, les contours d’un accord politique entre pouvoir et opposition se précisent de plus en plus.
Ainsi, les questions d’inéligibilité de Karim Wade et de Khalifa Sall pourraient être résolues, avec la modification de l’article L28-3 du Code électoral. Les délégués au Dialogue national – du pouvoir, de l’opposition, de la société civile et des non-alignés – se sont accordés pour y ajouter la grâce présidentielle comme étant aussi un moyen de permettre à un citoyen de figurer sur les listes électorales.
Tandis que du côté du pouvoir, on affiche une certaine confiance quant à une issue favorable, au sortir de ce dialogue, à une candidature de Macky Sall. Concernant cette question, une synthèse du rapport de la commission politique du Dialogue national ‘’en appelle au respect de la Constitution, des lois et règlements’’. Un moyen de ladite commission de laisser cette question à l’appréciation du Conseil constitutionnel. Une demi-victoire du camp présidentiel qui avait toujours prôné le recours à la plus haute juridiction du pays pour régler cette question.
Ce pacte présidentiel semble convenir aux plus grandes forces politiques participantes à ce dialogue, à savoir Benno Bokk Yaakaar (BBY), PDS et Taxawu Sénégal. D’autant plus que le chef de l’État, à l’occasion d’une rencontre avec des militants de Benno Bokk Yaakaar, hier mercredi à Paris, a demandé à ses troupes de se préparer pour la victoire, lors de la Présidentielle de 2024 : ‘’Nous nous maintiendrons au pouvoir’’, ‘’rester unis, restez mobilisés. Nous aurons à faire, beaucoup à faire pour aller vers la marche du progrès et la victoire en 2024’’.
Des propos interprétés par certains comme un premier pas vers une candidature du chef de l’État. Macky Sall a promis de s’adresser à la Nation, après les conclusions du Dialogue national attendues ce weekend. Le chef de l’État pourrait aussi attendre jusqu’à la fin août, date limite pour le début de la procédure de parrainages des candidats, pour se déclarer, indique son entourage.
De son côté, les partis indépendants ou non alignés soucieux des questions électorales ont aussi obtenu quelques avancées dans la question du fichier électoral, de la liste unique, du parrainage et de la caution.
De leur côté, les avocats de Karim Wade se ‘’réjouissent que le Dialogue national initié par Macky Sall et regroupant la société civile, les partis politiques de la majorité et de l’opposition ait unanimement acté la révision du procès de Karim Wade’’, ont-ils déclaré dans un communiqué (voir ailleurs).
Mais ces consensus obtenus par les acteurs du dialogue semblent faire sortir de ses gonds l’ancienne Première ministre Aminata Touré. Dans une note, elle fustige la tenue de ce ‘’dialogue de l’injustice’’. ‘’Il aurait été également convenu de modifier l’article L28 et L29 du Code électoral pour permettre aux candidats auparavant inéligibles de pouvoir se présenter à l’élection présidentielle de 2024. Cependant, ces modifications introduisent une précision de taille : les candidats concernés devront avoir purgé leur peine au préalable’’, a-t-elle indiqué. Avant d’ajouter : ‘’Autrement dit, Karim Wade, qui reste devoir 138 milliards aux contribuables sénégalais, pourrait participer à la prochaine élection présidentielle, mais le leader de Pastef, Ousmane Sonko, condamné suite à des poursuites à motivation purement politique, lui, ne pourrait pas participer à cette même élection.’’
Isolement d’Ousmane Sonko dans un climat de défiance entre opposition et pouvoir
Les opposants au Dialogue national comme la plateforme F24, Yewwi Askan Wi et Guem Sa Bopp qui avaient fustigé ce conclave, le considérant comme un simple moyen de valider une troisième candidature de Macky Sall, pourraient voir leur position au sein de l’opposition se renforcer. D’autant plus que les modifications de la loi électorale ne concernent que les candidats qui ont déjà purgé leur peine, au préalable. Une disposition qui exclut de fait Ousmane Sonko dont l’affaire est pendante devant la justice, à la suite de sa condamnation à deux ans de prison, le 1er juin dernier.
De ce fait, ce pacte entre pouvoir, une partie de l’opposition et les non-alignés va isoler un peu plus Ousmane Sonko, confiné depuis la fin mai dans sa résidence de la cité Keur Gorgui par un dispositif policier.
L’emprisonnement de certains militants et cadres de son parti, depuis le début du procès pour viol l’opposant à Adji Sarr, a-t-il un effet sur la capacité de mobilisation de ses partisans ?
Toujours est-il que ces alliés de YAW, qui ont promis une marche vers son domicile, pour le libérer, le 25 juin, sont susceptibles de déclencher d’autres actions visant à dénoncer une éventuelle candidature de Macky Sall.
Selon plusieurs observateurs, ce rassemblement des membres de YAW opposés au dialogue national entend perturber la déclaration du président de la République et aussi remettre sur le devant de la scène la coalition YAW face à la plateforme F24. Cette nouvelle force qui a organisé le ‘’dialogue du peuple’’ s’impose, de plus en plus, comme la force motrice de l’opposition sur cette question du troisième mandat et de la défense des libertés publiques.
En outre, la scission au sein de YAW semble avoir amenuisé sa force de frappe. La perspective d’un remaniement ministériel, qui pourrait intervenir après le 25 juin, rebattrait certaines cartes, à l’issue de ce Dialogue national.
En tout cas, le climat de défiance entre pouvoir et opposition risque de s’exacerber avec des manifestations anti-Macky Sall à Paris et à Lisbonne, ainsi que l’annonce de la plainte en France contre de hauts responsables politiques et militaires sénégalais, et d’une demande d’enquête de la Cour pénale internationale (CPI) contre le régime du président Macky Sall. Tandis que du côté du pouvoir, on multiplie les déclarations appelant à la dissolution de Pastef d’Ousmane Sonko, considéré comme un “mouvement insurrectionnel’’.
AMADOU FALL