Publié le 19 Jun 2013 - 07:05
ÉPIDÉMIE DE GROSSESSES À DAHRA DJOLOF

De la salle de classe bondée à l’intimité des garçonnières

 

Les relations entre professeurs et élèves virent carrément au sexe. Comme à Dahra où six jeunes filles fréquentant le même établissement sont tombées enceintes des œuvres de leurs enseignants, au moins pour l'une d'elles qui s'est confiée à EnQuête. Aujourd'hui, cette partie du Djolof naguère attachée à l'honorabilité des filles sombre dans le délire sexuel. Une situation à laquelle les principaux acteurs du secteur ont daigné apporter leurs explications. Reportage.

Il est neuf heures. C’est l’heure de la récréation au Cem Dahra commune. Le lieu est bruyant. Les potaches, par petits groupes, devisent à l’ombre des nimes et des murs. Ils jouent les prolongations du combat Balla Gaye 2 contre Tapha Tine. Si certains ont fait de ce combat de lutte leur choux gras, d’autres sont plus intéressés par l’histoire d'une jeune fille engrossée par un de ses profs. L'arrivée du reporter d'EnQuête éveille gêne et mutisme. Personne ne veut piper mot. Silence dans les rangs !

«J’ai tout perdu : ma virginité, ma dignité et mes études»

A. ND., la trentaine bien sonnée, est une très belle fille. Elle nous donne rendez-vous au marché central de Dahra. C'est l’une des nombreuses victimes de l'épidémie de grossesse qui sévit dans cette partie du Djolof. «Ma propre expérience me pousse à dire que les demoiselles sont les victimes de leur propre jeu, dit-elle à l'entame. Par leur port vestimentaire, leur maquillage, leur attitude et leur langage osés, elles provoquent leurs profs qui se laissent aller», affirme-t-elle avec tristesse. Le regard plein de regrets, A. ND. s’épanche, sans retenue. «Lorsque j’ai été engrossée par mon professeur d’histoire-géographie, à  la fin des années 90, toute ma famille, tétanisée, m’avait délaissée. J’étais désespérée», raconte-t-elle. «Au début de la relation, seules les notes m’intéressaient.» Naïve, son objectif était de plaire pour obtenir des notes de complaisance. «Sous divers prétextes, j’allais chez lui les après-midis dans l’espoir de détourner les soupçons. Et j'avais de plus en plus de bonnes notes, sans beaucoup travailler !»

Ce cinéma a duré le temps d'une rose. Ou plutôt d'une épine ! «Au final, c’est moi qui suis tombée dans le panneau. En réalité, j’étais un jouet entre les mains de mon prof, même pas une partenaire !» Résultat des courses : «j’ai tout perdu : ma virginité, ma dignité et mes études». A.ND. a même failli se suicider. «J’ai quitté l'école à un trimestre du Bfem, mais, de toute façon, c’était l’exclusion, alors que mon bourreau a tranquillement continué son année scolaire, avant d’obtenir une permutation», souligne-t-elle d'un ton amer.

Aujourd'hui, tant bien que mal, A. ND veut refaire sa vie, mais elle est contrainte de traîner avec elle son passé de collégienne sexuellement active, en plus du boulet que représente un fils de 14 ans, sans papa...

«Provocations de filles précoces ou majeures...»

Au Cem Dahra 1, la sirène retentit pour la récréation. Les élèves, comme une volée de moineaux, s’égaillent dans la cour. Assis entre deux chaises, Dialo Diop, le Principal, suspendu au téléphone, n’a pas le temps de rester dans son bureau, affairé entre le bloc des surveillants et les classes. «Ces grossesses accidentelles sont un phénomène social récurrent que l’on trouve à tous les niveaux, croit-il savoir. Mais dans l’espace scolaire, ce sont des attitudes inacceptables, dans la mesure où cela prend une tournure dramatique, du fait de la position influente de l’enseignant.» Enseignant expérimenté, à deux ans de la retraite, il souligne que «même s’il y a provocation de la part de filles précoces ou majeures dans beaucoup de cas, et parce qu’il y a un vrai décalage entre l’âge déclaré au civil et l’âge physique et mental, il est impardonnable qu’un enseignant descende aussi bas».

«Relations suspectes»

Les relations suspectes entre profs et élèves sont une réalité, constate Ousmane Niane, surveillant général. Pire, elles sont devenues alarmantes du fait de plusieurs facteurs. Dont le moindre n'est pas «la précocité des jeunes filles». Grâce aux technologies de l’information et de la communication, «les filles sont très tôt assez informées sur leur corps et leur intimité. Les bribes d’informations qu’elles obtiennent de l’internet, en catimini, les poussent un peu à une imitation qui fait le lit des problèmes», fait remarquer Niane. Phénomène aggravant, selon lui, «l’éducation à la sexualité n’est plus prise en compte au niveau des familles.» «Avant, les mamans et les tantes s’en occupaient bien. Aujourd’hui, cette éducation n’existe plus, ce qui expose de fait les filles à ces grossesses non désirées.» En plus, le système scolaire lui-même est vide de programmes spécifiques liés à l'éducation à la sexualité et pouvant aider les jeunes filles à se prémunir contre les dérapages qui les guettent, ajoute le surveillant général.

«Les professeurs concernés doivent être sévèrement sanctionnés et mutés»

Autre facteur explicatif avancé, la «proximité coupable» entre les deux groupes d'acteurs du drame ainsi établi. «Auparavant, il y avait une ligne de séparation entre le professeur et son élève, pour ne pas dire une barrière entourée de mythe, de respect et d’admiration», rappelle Ousmane Niane, un brin nostalgique. À présent, «la familiarité a tellement gagné du terrain qu'elle a encouragé les jeunes filles à avoir plus de liberté et d’audace, ce qui a lâché la bride à leurs enseignants.» Ce «rapprochement» a été facilité par «le relâchement de la surveillance familiale elle-même due à l'effritement progressif de l’autorité parentale.» En face, alors qu'ils étaient censés jouer les père-fouettards, les enseignants se sont fourvoyés dans une violation combinée «de l’éthique, de la déontologie et de la législation scolaire», constate notre interlocuteur. Qui ne se prive pas de mettre en cause un «mode de recrutement» qui jure d'avec les intérêts fondamentaux des élèves et de l'école en général.

Confirmation auprès de Mme Ndiaye, une professeure d’espagnol trouvée dans la salle des profs. «À cet  âge, ces jeunes filles devraient se préoccuper de leur avenir parce que l’éducation des jeunes filles est fondamentale». Elle ne mâche pas ses mots pour dénoncer «le comportement de certains enseignants qui vont engrosser leurs propres élèves. Les professeurs concernés doivent être sanctionnés  sévèrement et mutés le plus rapidement possible. Les acteurs de l’éducation et l’État plus particulièrement doivent prendre à bras le corps ce problème», s’insurge-t-elle.

«Enseignants et élèves sont de la même génération »

Quand nous arrivons au Lycée moderne de Dahra, il est onze heures. C’est le calme plat propice aux études. Moussa Ndiaye, le Censeur, nous accueille dans son bureau. Féru d’informatique, il pianote sur son écran plat. Il se veut prudent. «Si cela s’avère, ça veut dire qu’on a atteint des proportions extraordinairement regrettables. Il faut le déplorer», dit-il. Pour lui, les causes de ce phénomène sont multiples. D’ordre socio-économique, d'abord. «Beaucoup d’élèves nous viennent de la périphérie. En ville, elles ont d’énormes besoins en voulant se mettre à la mode. Ainsi de sollicitation en sollicitation, elles deviennent très vulnérables», analyse le censeur. Puis, se pose un problème de mentalité. «Moi, j’entends souvent les garçons employer les termes tels que «come on town», etc.», s’exclame cet ancien professeur d’anglais. «Pour dire que lorsqu'on vient de la campagne ou du monde rural, on a tendance à vouloir incarner certaines valeurs sur le tard. Mais sans s’en rendre compte, on glisse et à partir du moment où on a commencé à réaliser ce qu’on a fait, c’est déjà trop tard».

Ensuite, la faute à l'environnement scolaire actuel. «Enseignants et élèves sont de la même génération. Ce sont des gens qui se rencontrent sur les terrains de sport, dans les clubs, dans les soirées, etc.  Il n’y a pas un écart énorme entre leurs âges. Aussi se retrouvent-ils dans ces parties de plaisir...» A ce niveau, c'est «la psychopédagogie» frappée de «négligence» qui est mise en accusation lors du «recrutement». «Vous voyez un jeune fauché, habitué à la vie du campus universitaire. Dès qu'il est recruté, il a aussitôt les moyens de ses envies. Il poursuit son mode de vie estudiantin. Le résultat ne peut qu’être scandaleux, surtout pour la fille», souligne le censeur du lycée moderne de Dahra.

«Les filles discriminées»

Fustigeant l'absence de réaction appropriée, Moussa Ndiaye s'insurge contre «ces choses extraordinaires (qui) se passent dans l’espace scolaire. Tout le monde croise les bras», alors qu'il y a urgence à «combattre ce phénomène. Il y va de la responsabilité de l’État», rappelle-t-il. Les pouvoirs publics sont d'autant plus co-responsables de cette épidémie de grossesse en milieu scolaire qu'«aucun règlement intérieur n'est précis sur la nature des sanctions à infliger aux enseignants et professeurs coupables de turpitudes.» Ce qui sécrète de l'injustice quelque part. «Au collège, on interdit l’accès des cours aux filles qui sont tombées enceintes. C’est discriminatoire», dénonce-t-il. «Quand il y a grossesse non désirée du fait d'un homme dans l’établissement, c’est la fille, simple victime, qui est sanctionnée, doublement d’ailleurs. L’État doit prévoir quelque chose à ce niveau.»

«Des parents irresponsables»

Mais pas seulement, note Dialo Diop, Principal du Cem Dahra 1. «C'est aux parents de  prendre leurs responsabilités. Qu’ils éduquent leurs enfants, dès le bas âge, en leur inculquant les bases des enseignements religieux ! Qu’ils assument l’éducation sexuelle des adolescents, notamment des filles», recommande-t-il. Scandalisé, il s'en prend aux fauteurs de troubles masculins. Contre qui «il faut sévir. Quelles que soient les raisons, l’enseignant est là pour apporter une éducation et un savoir aux apprenants. Quand on n’a pas la fibre enseignante, il faut chercher ailleurs», assène-t-il à l'endroit de ses collègues.

Le censeur Moussa Ndiaye le rejoint sur ce plan. «La responsabilité des parents est écrasante car tout part de l’éducation de base.» Puis, c'est l'indignation : «regardez l’habillement de nos filles, c’est tout à fait déplorable ! Dans la rue, vous êtes même poussés à croire que les filles ne viennent pas de leurs propres domiciles, au vu et su de leurs parents, frères et autres sœurs», s'exclame-t-il.

L'enseignant et la parabole du mouton

Philosophe, Moussa Ndiaye fait remarquer à propos de l'enseignant ou du professeur. «Il n’est pas un mouton, quand même ! Il lui faut s’interroger sur la nature de l’herbe qu’il doit brouter. Et il doit savoir qu'il ne peut tout brouter sur son passage. S’il a des intentions nobles, il passe par le mariage légal. Le fait de tout brouter est une irresponsabilité caractérisée. C’est une synergie d’efforts qu’il nous faut pour combattre ce désastre», martèle-t-il. Il n'est pas certain que ces mots de bon sens plaisent à un autre Principal de collège de la localité. La cinquantaine, les dents rougies par la cola, cet homme apporte son grain de sel dans le débat. «Moi, en tant que professeur, j’entretenais des relations amoureuses avec mes élèves, c’est pourquoi je ne jetterai pas la pierre à mes jeunes cadets.» Et lorsqu'on lui rapporte l'image du censeur Ndiaye, il rétorque après quelques tierces de réflexion : «vous savez, le mouton ne broute également que là où il est attaché», indique-t-il, perfide. Dans l'anonymat, bien sûr !

 

 

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