Le Sénégal m’a offert...”
Le slameur comorien Rahim est un artiste qui a fait des études en architecture au Sénégal. Le parolier du Karthala a sorti son premier album intitulé "Selebeyoon" (carrefour). Dans cet album, il évoque ses expériences, son pays et l'Afrique en général, tout en rendant hommage au pays de la Teranga.
Qu’est-ce qui explique le choix de « Selebeyoon » comme titre de ton premier album ?
D'abord, je viens des îles Comores, qui, depuis longtemps, sont un carrefour d'échanges de marchandises, mais aussi d'humains. C’est un croisement de chemins, comme l'indique son histoire. Je suis venu au Sénégal, qui est également un carrefour, surtout en ce qui concerne l'enseignement, avec des universités sénégalaises accueillant des étudiants d'autres pays africains francophones. Je pense notamment à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD), où je suis également venu pour mes études. Je me suis ainsi retrouvé dans un carrefour avec plusieurs nationalités, cultures et influences.
En outre, j’ai appelé cet album « carrefour » parce que cela fait à peu près 10 ans que je suis dans cette marche artistique avec le slam. À un moment donné, je me suis posé et je me suis dit : « Là, je me trouve au carrefour de mon art, au carré d'une vie. » J'ai essayé de matérialiser ou de poétiser toute cette marche que j'ai faite jusqu'à arriver à ce carrefour.
En effet, quand j'ai fini mes études, j’ai commencé une carrière artistique. Je devrais retourner travailler dans le bâtiment puisque je suis architecte de formation. Je me suis donc retrouvé à un carrefour où je devais prendre des décisions, choisir des chemins, et essayer de voir ce que je voulais faire plus tard. C’est pour essayer de matérialiser et de poser toutes ces rencontres que j'ai faites. Dans l'album, je parle de mes expériences, de mes récits, de l'accueil que le pays de la Teranga m’a offert, mais aussi de l’accueil que j’ai reçu dans la plupart des pays d'Afrique que j'ai visités, des rencontres que j’ai faites grâce à la poésie. J’y parle aussi de comment j’ai essayé de concilier le slam et les études : travailler sur un chantier le matin et être sur scène le soir. Donc, je parle de tout cela dans cet album.
Un autre point important qui explique le nom « Selebeyoon », c’est le mélange de nombreuses influences. Il y a des influences mandingues, des influences de l'ouest, des influences orientales, des influences occidentales et des influences comoriennes. Tout se mélange avec ce que je raconte dans le texte. Il y a aussi l’aspect intergénérationnel en ce qui concerne les musiciens qui ont travaillé sur cet album. Certains avaient 18 ans quand ils ont collaboré à l'album, d’autres avaient 54 ou 60 ans. C’est donc aussi un mélange intergénérationnel.
J’estime qu’il y a quelque chose qui peut symboliser tout ce que je viens de dire : le carrefour. Dans un de mes textes, j’ai écrit : « Je suis d’ici (Sénégal), mais aussi d’ailleurs. Je suis comorien, mais aussi africain. » J'ai essayé de réfléchir par rapport à toutes les langues africaines que je parle. Je prends quelques mots dans ces langues pour les phrases de l'album. Je me suis exprimé dans plusieurs langues. Utiliser le mot « Selebeyoon » est une sorte de reconnaissance, car le Sénégal m’a offert de la visibilité, de l’expérience, du savoir, que ce soit dans la culture ou dans le bâtiment.
Quels sont les artistes avec qui vous avez collaboré dans cet album ?
Dans cet album, j’ai travaillé avec des artistes chanteurs et compositeurs. Par exemple, en ce qui concerne les instrumentistes, j’ai collaboré avec un artiste burkinabè nommé Koto Brawa. J’ai également travaillé avec un choriste ivoirien nommé Emmanuel Manu. J'ai aussi collaboré avec un compositeur comorien du nom de Solam Musique. J’ai travaillé avec un vieil ami à moi qui s'appelle Kassimou Madi et qui vit en France. Il y a également le compositeur Fay'z des Comores.
Pour les chanteurs, j’ai un featuring avec Sheikha de Légende, une artiste chanteuse et compositrice sénégalaise. Sur le morceau éponyme « Selebeyoon », j’ai également travaillé avec un compositeur chanteur nommé Faraz des Comores. De plus, j’ai retravaillé avec l'une des icônes de la musique comorienne, Farid Youssouf. Si je devais faire une comparaison imagée, je dirais que Farid est comme Baba Maal au Sénégal. J’ai aussi collaboré avec Nawiya, une artiste slameuse, chanteuse et choriste. Ils ont tous contribué, soit par la musique, soit par le chant.
Du côté slam, je n’ai pas de featuring. J’ai un album dans lequel je raconte tout ce que j’ai vécu. Je ne pouvais pas me permettre d’avoir de featuring. C’est mon ressenti, mon histoire. Et comme on dit, on est mieux servi que par soi-même.
Il nous semble que c’est un album riche en variété ?
Il y a une musicalité très variée. J'ai une musique orientale, comorienne, africaine, un peu proche de la rumba. J'ai aussi une musicalité mandingue avec la kora, ainsi que du blues de Ouaga avec Koto Brawa. Donc, c'est vraiment un mélange. C'est un cocktail de musique. Je suis allé au bout de mon inspiration, mais aussi de l'inspiration des gens avec qui j’ai travaillé. J’ai voulu avoir une musicalité très originale, pour ne pas dire unique, tout en essayant d'harmoniser la musicalité avec mes textes et de refléter le même ressenti que l'album.
Quelles sont les thématiques que vous abordez ?
Comme je l'ai dit, ce sont mes expériences. J'ai parlé de mon pays, les Comores, parce que la première question qu’on me pose chaque fois que je fais une scène, que ce soit ici au Sénégal ou ailleurs, c’est : « Tu viens d'où ? » J’ai écrit un texte pour répondre à cette question et inviter les gens aux Comores. J’ai aussi fait un texte pour parler de mes vécus. Ce texte évoque tout ce que j’ai vu au Mali, au Sénégal, en Côte d’Ivoire, au Burkina… J’ai également des textes engagés. J’ai parlé de l’Africa Taay (l’Afrique d’aujourd'hui). J’ai également abordé une situation tragique qui se passe chez nous aux Comores : les morts du visa Balladur. Ce visa a été instauré entre les trois îles de l'archipel des Comores par la France. Cela a entraîné des pertes humaines en mer, constituant aujourd'hui un cimetière marin. Donc, j’ai parlé de la situation de mon pays et de l’Afrique en général.
Si vous deviez résumer votre expérience en trois mots, que diriez-vous ?
Je dirais juste Selebeyoon.
Êtes-vous un artiste engagé ?
Je donne mon point de vue. Je ne sais pas si on peut appeler cela de l’engagement ou pas. Je parle beaucoup de l’africanité parce que je suis africain et nous sommes dans une dynamique de développer la renaissance africaine. Donc, je parle de la diversité culturelle et du vivre ensemble pour que l'Afrique aille de l'avant.
Quel appel lancez-vous aux Africains ?
Nous devons assumer notre identité culturelle et apprendre à nous connaître avant de nous exporter vers les autres. Ça ne sert à rien aujourd'hui de copier tel continent ou tel pays. C’est à nous de nous mettre en valeur et de ramener cette identité au Selebeyoon, au carrefour de tous les continents. Et montrer qu’on est ouvert au brassage culturel, mais sans être dominé…
Combien de titres composent l’album ?
C’est un album de huit titres. J’ai eu de la chance, car j'étais invité dans le cadre de la Biennale. J'ai participé à pas mal d'expositions sur l’éveil féminin, sur le vivre ensemble, sur l’éveil des consciences africaines. Ensuite, j'ai eu la chance de faire mon premier concert live de mon album à la Maison des Cultures urbaines de Ouakam. L’album porte un nom wolof. Faire mon premier concert au Sénégal est d’une très grande importance. Voir que j'étais entouré par les gens qui m'ont accompagné pendant longtemps, ou que nous avons fait cette marche ensemble pendant plusieurs années (cinq, six, sept, huit ans), était vraiment une étape magnifique.
BABACAR SY SEYE