Mamadou Diang Diallo Mémoires pour restaurer les valeurs dans l’espace politique, historique et social
Il y a des silences qui hurlent et qui sont plus parlants que la voix. Le livre ‘’Le procès des Silences'' du Dr Mamadou Diang Diallo en est une preuve. Ce recueil de poèmes évoque les mémoires du poète qui, à la croisée des civilisations, ne se laisse pas emporter par la culture occidentale. Dans cette plaidoirie fourre-tout, le Ziguinchorois a ses propres repères qui lui permettent d’avoir une écriture thérapeutique. Il pose le problème d’acculturation, dénonce une situation politique où les leaders n'ont plus conscience des priorités du pays.
‘’En couchant ces vers qui racontent l’histoire politique de mon peuple, j’ai voulu faire ma propre thérapie transformative, mais aussi, inviter le lecteur à en faire autant’’, a expliqué à ‘’EnQuête’’ l’auteur du recueil de poèmes ‘’Le procès des silences’’, Dr Mamadou Diang Diallo. Ce premier livre du professeur d’anglais au lycée Saidou Nourou Tall et vacataire au département d’anglais de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, publié aux éditions ‘’Nuit et Jour’’, est divisé en cinq sections. Il s’agit notamment de : ‘’La Mémoire du Feu de Bois’’, ‘’Les Affres de Ceux d’en Haut’’, ‘’Ode pour Fleurs Fanées’’, ‘’Les Rumeurs du Moulin à Vent’’, et ‘’Là où ça ne Tourne pas rond’’.
"Dans ces sections, les poèmes suivent un rythme enchaîné et le poète nous les peint dans une chronologie qui aide le lecteur à remonter le temps, par ses souvenirs. Tout commence par une période de paix et d’innocence, puis les événements s’accélèrent avec les difficultés et les malheurs qui s'enchaînent crescendo tels les wagons d’un train, et la vie les peint de mille couleurs violacées. Une prise de conscience de la situation politique viendra s’en mêler très tôt et je me suis mis à relater les incohérences du système en général". Voici, en résumé, la quintessence de ce recueil de poèmes engagé.
Réflexion sur les modèles de gouvernances
La deuxième section intitulée ‘’Les Affres de Ceux d’en Haut’’ composée de 12 poèmes, parle de l’héritage politique administrative coloniale et de ses conséquences délétères sur les populations africaines et sénégalaises, en particulier. Pour Dr Mamadou Diang Diallo, les frustrations permanentes de ces dernières sont palpables de nos jours dans la récurrence et la fréquence des positions extrêmes : longues grèves sans issue, marches en n’en plus finir, révoltes et violences sous le silence assourdissant des autorités ou avec comme réactions la répression ou le blâme des victimes. ‘’Mais, dit-il, "le mal même transformé en bureaucratie (pour nommer les types de gouvernance que nous avons) reste toujours le mal’’.
Ainsi, le poète trouve que le legs de la jeunesse est compromis. Il parle d'un legs lourd de sens "par son insignifiance en termes de valeurs mais aussi par l’hypothèque de son espace et de son patrimoine culturel sans compter la vaine tentative de museler le peuple’’. Mais, il trouve que cette hypothèque a commencé par le marquage et l’occupation de l'espace historique sénégalais, du patrimoine matériel et immatériel par la mémoire du colon''. C’est ce qu’il a voulu fustiger dans les poèmes titrés ‘’A la Mémoire des Bourreaux’’, ‘’Les Traîtres’’ et enfin ‘’La Révolte’’.
‘’Des noms qui ne renvoient à rien dans ce patrimoine culturel et historique et qui pourtant ‘’persistent avec une complicité diffuse de nos dirigeants depuis toujours’’, selon l’auteur. Le poète décrit le politique comme un frelon, élément nocif d’une troupe qui pille le miel que le peuple distille. Il déclare : ‘’Cette comparaison n’est pas exagérée, quand on constate le degré de corruption et d’enrichissement illicite chez les politiques. En évoquant la sagesse d’Ésope et de Phèdre, dans ‘Dame Justice’, j’ai voulu montrer que le vice et l’injustice sont aussi vieux que le monde’’, ajoute-t-il.
Dr Mamadou Diang Diallo estime qu’on ne peut départir les décisions politiques des passions des hommes. ‘’Le Portrait’’, ‘’L’Homme-Nature’’ et ‘’La Politique’’, pour ne citer que ceux-là, aident le lecteur à comprendre la combinaison entre vices, passions et politiques. Ces exemples montrent que même en démocratie, les excès des exigences individuelles peuvent mener à tous les travers et mettre en péril la cohésion sociale à force de vouloir les satisfaire. ‘’Cela doit nous faire réfléchir sur les modèles de gouvernances que nous voulons toujours importer ou chanter. "Je pense que la vertu ne doit pas se définir par ce qu’elle représente ailleurs, mais, par la conduite vertueuse des hommes quel que soit le milieu’’, dit-il.
En effet, le poète estime que la politique est une science dont la maîtrise ne permet pas forcément de diriger convenablement. Néanmoins, il est d’avis que quelquefois, une bonne opinion ou une parole peut aider le politique à diriger raisonnablement ou rationnellement comme disait Socrate. ‘’Cette parole du sage ne peut être plus vraie ailleurs qu’en Afrique ou particulièrement au Sénégal où le respect de la parole donnée est vital pour l’honneur d’un homme mais surtout pour mériter la confiance d’une communauté ou d’un peuple’’, pense-t-il. ‘’Par malheur, l’héritage de notre jeunesse est celle de la Morale de la Chicane, peinte de mensonge, de fausseté, de perfidie, de mépris de la propriété légitime, de dédain de la probité et des mœurs et valeurs légitimes’’, a-t-il ajouté.
Dr Mamadou Diang Diallo est d’avis que ‘’nos dirigeants plombent nos économies, et hypothèquent notre développement, ils tiennent le peuple en laisse et le transforme en prisonnier d’une impasse’’.
En outre, il a voulu montrer sur la couverture du recueil, par l’image d’un jeune front illuminée et de la couleur verte sous son menton, en même que dans le poème intitulé ‘’Révolte’’, que malgré le musèlement, ‘’la contestation est le seul espoir et la seule porte de sortie pour une jeunesse abandonnée (par une élite en déphasage avec nos réalités, qui lui tourne le dos à l’image), et par une justice de plus en plus marquée par ses procès biaisés d’où le juge debout sur un des plateaux de la balance’’. Dr Mamadou Diang Diallo indique que cette lueur d’espoir montre que, malgré toutes les difficultés précitées, la jeunesse africaine et particulièrement sénégalaise restera debout et ne se soumettra pas comme Thétis implorant Jupiter en faveur d’Achille.
Quant à la section 4, ‘’Les Rumeurs du Moulin à Vents’’, composée de 8 poèmes, elle parle de sujets d’habitudes tabous ou que l’on n’aborde pas de manière franche et décisive. Ils sont timidement abordés ou ils nourrissent la rumeur : ‘’l’héritage colonial maintenu par une complicité diffuse continue de plomber notre développement’’. Cette section plaide aussi pour une prise en compte et une intégration de la diaspora africaine victime de la traite négrière.
Conflit en Casamance
Compte tenu de tout cela, la première section est une sorte d’invite au retour aux sources. Titrée ‘’La Mémoire du Feu de Bois’’, cette section est composée de 14 poèmes qui parlent de périodes de paix et de guerre. C’est une compilation de mémoires d’enfance et d’adolescence. Ce sont des souvenirs de moments de jouissance, de danses, de déplacements dans un espace ‘’sans limites’’ pour les enfants qu’étaient l’auteur et ses camarades. Ils se déplaçaient quelques fois tard dans la nuit au rythme des instruments traditionnels et mythiques de la Casamance. Ils traquaient les sons du Bougueureubou, de la kora, du balafon ou du konkone ou de la musique moderne dans les soirées ‘’cholédras’’ dans les quartiers périphériques de Ziguinchor.
‘’Nous allions chercher des fruits : noix d’anacardes, mangues, etc. dans la brousse, sans limite ni restriction. Je peux aussi me rappeler des populations pressées de combler l’étranger de bontés innombrables malgré leurs frustrations gardées secrètes ou jusque-là manifester dans la paix’’, a indiqué Dr Mamadou Diang Diallo. En effet, cette section parle aussi de la gestion politique maladroite de la situation déjà fragile en Casamance, gestion héritée du système colonial et qui a mené à une guerre fratricide. Donc, le poète relate que pendant son adolescence, ces moments idylliques ont été interrompus par un réveil brutal un matin du mois de décembre 1982.
‘’D’hommes d’honneur et dignes, certains se muent en négociateurs d’un semblant de paix, et qui, sans scrupules, se sucrent au détriment du peuple. L’argent du contribuable sert à engraisser un nouveau type de fossoyeurs. Ces négociateurs jouent un double jeu dans lequel les populations sénégalaises et casamançaises en particulier sont les seules perdantes’’. Le poète décrit cette situation dans ‘’Double Tranchant’’. La violence est sans discrimination et sans limites, selon lui. Vingt ans plus tard, ‘’la suite verra le peuple confiné, s’entasser dans les cales du Joola jusqu’à la catastrophe. Mais les rumeurs du moulin à vent continuent à nourrir une politique calamiteuse, tandis que la vérité se cache : personne n’est coupable’’, dénonce Dr Diallo, regrettant le naufrage du bateau Le Joola.
Peinture de la psychologie humaine
Dans un autre registre, dans la section 3 dénommée ‘’Ode pour Fleur Fanées’’, composée de 12 poèmes, M. Diallo traite de l’amour, "mais avec des scalpels, du formol et de la morphine", avec sa propre compréhension et peinture de la psychologie humaine dans ses jouissances, mais aussi, dans ses travers. ‘’Je ne juge pas, je constate et je peins en artiste. Chacun appréciera à sa manière’’, précise le poète. En outre, la dernière section est composée de 18 poèmes que le poète a nommés correspondances, et qui parlent des turpitudes de l’âme humaine, ou de l’homme en général (18 comme 1+8=9 ; ce qui donne les 9 mois de la conception pendant lesquels l’exception divine conçoit un être innocent, bon et parfait).
Mais durant la vie de cet être, la société ou l'homme, dans sa témérité, tabous, restrictions, contraintes, etc., va tenter de le défaire ou de le refaire. C’est une réflexion particulière ou un procès qu’il fait à la société humaine par la peinture. Enfin, la question que le poète s'est posée enfin est : ‘’A quelle société se fier’’. Cependant, dans toutes les situations qu’il expose, Dr Mamadou Diang Diallo précise qu’il ne prend pas position, qu’il ne fait que peindre en artiste des tableaux qui mènent à des réflexions auxquelles il invite le lecteur.
BABACAR SY SEYE