Publié le 7 Feb 2014 - 09:34
28E ANNIVERSAIRE DU DÉCÈS DE CHEIKH ANTA DIOP

L'égyptologue, des misères de Senghor a la gloire posthume

 

Près de trois décennies après sa mort, Cheikh Anta Diop est plus que jamais une figure du trésor politique et scientifique du Sénégal. Mais la prise en charge de son héritage multidimensionnel est l'objet de conflits entre ceux qui s'identifient à une «spiritualité» que Senghor a fortement combattue.

 

Natif de Thieytou, dans la région de Louga, Cheikh Anta Diop a disparu le 7 février 1987. À la fois homme de science doublé d'un homme politique, il a laissé derrière lui un héritage qualifié de multidimensionnel.

Sur le plan scientifique, ''son héritage a connu un sort meilleur parce que toutes ses grandes idées et ses théories sont reprises partout à travers le monde'', estime le Pr Aboubacry Moussa Lam, égyptologue à l'Université de Dakar, rencontré par EnQuête. ''Ce qui reste à faire, c'est de mettre en pratique ses idéaux en allant vers son vœu le plus cher : l'intégration fédérale des pays d'Afrique''.

Héritiers dispersés

Toutefois, si son héritage scientifique a été ''bien géré'', son legs politique semble aujourd'hui être en lambeaux. Le dernier parti qu'il a créé, le Rassemblement national démocratique (RND) en l'occurrence, est aujourd'hui scindé en deux tendances : celle pilotée par le Pr Madior Diouf, et celle animée par le Dr Dialo Diop.

Entre ces deux entités, existent/ont existé d'autres organisations politiques issues de la pensée de Cheikh Anta Diop. Ce sont l'Union pour la démocratie et le fédéralisme (UDF/ Mboolo-mi) du Pr Pape Demba Sy, le Parti pour la libération du peuple (PLP) du défunt Me Babacar Niang, l'ex-Convention démocratique et sociale de Abdou Fall, ex-ministre d'Abdoulaye Wade.

Selon l'égyptologue Aboubacry Moussa Lam, cet éparpillement «reflète la mentalité du Sénégalais qui, (lorsqu'il n'est pas) chef ou n'est pas content, crée sa propre chapelle».

Pourtant, cette formation politique qu'est le Rnd est le fruit d'âpres combats politiques que Cheikh Anta Diop a menés contre Senghor pour l'instauration du multipartisme au Sénégal. «Il s'est battu jusqu'à ce que son parti qui était dans la clandestinité soit reconnu par le tout puissant Senghor», rappelle le scientifique.

Un frein nommé Senghor

Des misères, le premier chef d'Etat sénégalais en a beaucoup infligées à Cheikh Anta Diop, affirme le Pr Lam. «Senghor, en passant par les Français, a toujours refusé à Cheikh Anta d'enseigner à l'Université de Dakar''. C'était particulièrement vrai «quand il est revenu au Sénégal en 1960 de la France, du fait de la France mais avec la complicité de Senghor'', confie l'égyptologue.

Rebelote. «Quand Cheikh Anta, après avoir refusé d'aller enseigner les mathématiques et les sciences physiques dans le secondaire, comme le lui avait suggéré l'administration de l'époque, a préféré aller à l'Ifan grâce à l'aide du directeur d'alors, le Pr Théodore Monod (…),  il était payé comme licencié ès Lettres alors qu'il avait sa thèse de doctorat d'État», explique le Pr Lam.

Une tentative de mise au placard qui ne prendra fin que des années plus tard. «Quand l'Université de Dakar est devenue sénégalaise en 1971, Léopold Sedar Senghor, ne pouvant plus prétexter de son appartenance à la France, s'est enfin décidé à reconnaître la thèse de doctorat de Cheikh Anta et à reconstituer sa carrière.» Mais «c'était contraint et forcé» qu'il est devenu «raisonnable», précise-t-il.

Bataille d'idées

Le bras de fer entre le grammairien et l'égyptologue s'est étendu sur d'autres terrains, intellectuels notamment. «Senghor a toujours essayé de mettre la négritude à la place de ce que Cheikh Anta faisait. Mais il a un peu échoué dans sa tentative de le brimer», déclare le Pr Lam.

Une vie politique assez mouvementée et une vie scientifique plutôt chargé, Cheikh Anta Diop en a connu. Toute sa vie durant, outre le combat qu'il a toujours mené pour «l'émancipation de la race noire» et la «démocratisation» des pays africains dont le Sénégal dominé à l'époque par le monopartisme, il a toujours lutté pour l'intégration fédérale des pays africains.

«Il a été le premier avec les Nkrumah et autres panafricanistes à théoriser l'Union africaine et l'Etat fédéral d'Afrique noire. Il disait que si on ne le faisait pas, on en pâtirait. L'histoire lui a donné raison aujourd'hui», croit savoir Aboubacry Lam.

Rageusement fidèle à ses idéaux, dit-il, Cheikh Anta Diop n'a jamais voulu du pouvoir pour le pouvoir. «Son seul tort, c'est de s''être réveillé le premier alors que tout le monde dormait encore.»

ASSANE MBAYE

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