Le president Sène sur la comparution des témoins
Président de la 4ème Chambre correctionnelle de la Cour d’appel de Dakar, André Bob Sène a présidé la seconde session de la Cour d’assises de Dakar. À la suite de l'entretien accordé mardi à ‘’EnQuête’’, le juge aborde, entre autres, l'absence des témoins devant les Cour d'assises, la suppression du jury populaire et le flop des assises militaires.
En parlant de décision juste et acceptée, avez-vous le sentiment que les décisions prononcées durant la session étaient justes et acceptées ?
Juste ? J’en ai le sentiment, en mon âme et conscience, parce qu’on est là pour respecter la loi. Acceptée ? Peut-être pas, car tout dépend du bord où l’on se trouve. Lorsqu’une personne fait appel, cela veut dire qu’elle n’a pas accepté la décision, or des appels, ça ne manque pas forcément.
Pensez-vous que les assises sont bien organisées, si l’on sait que les témoins comparaissent rarement alors qu’il n’en manque pas ?
C’est un gros problème. Il y a des témoins déterminants qu’on aurait voulu entendre. Avec l’organisation des Assises, quelqu’un peut recevoir une citation à personne, c'est-à-dire en main propre. On se dit que cette personne va venir. Le jour de l’audience, on ne peut pas savoir si elle viendra. Plusieurs raisons l'expliquent, dont la peur. Dans les dossiers d’agression, le témoin peut habiter le même quartier que l’accusé. Le témoin a peur de représailles, car il ignore s’il va sortir ou rester en prison. C’est compréhensible, mais leur comparution nous aurait aidés à éclairer davantage la Cour.
Les avocats de la défense sont prompts à décrier les procès-verbaux d’enquête préliminaires. A votre avis, les policiers et gendarmes mènent-ils correctement les enquêtes ?
Les procès-verbaux d’enquête préliminaires sont les premiers éléments que nous avons dans le dossier. Il n’y a pas que la police et la gendarmerie qui peuvent les fournir, parce qu’ils étaient là au moment de l’arrestation. Mais généralement, les accusés disent à la barre qu’ils ont été tabassés. En droit, ces Pv ne valent qu’au titre de renseignements. Mais nous, on recoupe par rapport à ce qu’il a dit devant le juge d’instruction. S’il y a une version vraisemblable- je ne dis pas vrai- on peut analyser et dire que la version servie devant les policiers est la plus plausible. Surtout que lorsqu’ils sont arrêtés, ils sont suivis par la clameur publique. Pour éviter d’être lynchés, ils se rendent à la police où ils avouent tout, mais au bout de 2 ans, 3 ans d’instruction, ils accusent les policiers de les avoir chargés. Or, ils avaient même donné une description circonstanciée des faits. Comment les policiers peuvent-ils inventer des noms, des lieux, des dates ? Ce n’est pas possible.
Parlons de la Cour d’assises militaire dont les deux affaires inscrites au rôle ont été renvoyées pour cause d’irrégularité de la procédure. Votre commentaire ?
La Cour d’assises militaire a échappé à la réforme de 2008. Mon point de vue est que chacun a droit à un procès équitable. La Cour n’a certes pas été régulièrement saisie, mais, il fallait voir le grief invoqué par l’accusé, par rapport à cette saisine. Si ses droits sont préservés, l’essentiel est qu’il soit jugé. Parce qu’on ne peut pas faire une instruction pendant 5 ans et venir dire que la Cour est mal saisie, or c’est le seul jour où tu peux t’expliquer sur les faits pour pouvoir t’en sortir ou retourner en prison.
Est-ce que ce n’est pas de l’impréparation pour des juristes ?
Il ne faut incriminer personne. C’est un problème de textes. Ils n’ont pas été revisités et remis à jour. Il fallait une réflexion pour réaménager les textes, mais entre-temps la procédure est venue. Donc les gens ont privilégié la tenue d’un procès pour que les gens qui ont duré en prison puissent avoir justice que de se formaliser à des questions de procédure. Ce qui est capital, c’est que la personne s’explique.
Pensez-vous que la composition de la Cour d'assises militaire soit équilibrée, si l’on sait qu’il n'y a qu’un seul magistrat professionnel entouré de deux assesseurs et quatre jurés militaires appartenant au même corps que l’accusé ?
Cela peut paraître bizarre, mais c’est toujours l’ancien texte. Puisque c’est la loi de la majorité et si automatiquement il y a le réflexe de corps, il n’y aura pas de décision de condamnation, car le magistrat peut être mis en minorité. Il faut réfléchir sur la réforme et être en phase avec nos engagements internationaux.
FATOU SY &
SOPHIANE BENGELOUN