‘’Cette exposition est une manière de dire aux familles qu’elles doivent mieux garder les œuvres’’
Quelle est l’importance d’une exposition-souvenir, pour vous ?
Je considère que ces artistes exposés ici aujourd’hui ont un rôle d’ambassadeur ; ils nous ont valu beaucoup de satisfaction à travers le monde. Cette exposition a plusieurs dimensions. La première d’entre elles est pédagogique. Elle permet de montrer à la génération actuelle ce que faisaient leurs devanciers dont Papa Ibra Tall ou encore Alpha Waly Diallo. Cela leur permet de lire et d’avoir une relecture de leurs œuvres, pour voir si réellement ils sont dans les mêmes trajectoires. Il y a une question de spécialisation dans une œuvre qui doit toujours avoir une rivalité entre le fond et la forme.
L’autre aspect est la sensibilisation des familles des artistes disparus. Il faut qu’elles sachent qu’il est important de préserver ces œuvres, ce patrimoine qui appartient à ces artistes disparus. Si elles ne connaissent pas cette importance, elles ont tendance à les négliger. Cette exposition est une manière de leur dire que ce qu’elles ont est un patrimoine à préserver.
Le troisième élément est de dire à la face du monde que l’art, aujourd’hui, a complètement changé de paradigmes. Récemment, la Sodav (Société sénégalaise du droit d’auteur et des droits voisins) a distribué de l’argent aux artistes sénégalais. J’ai été payé à cet effet parce que je me suis inscrit en France. Un artiste comme Moussa Sakho a reçu trois millions et il s’est dit que c’est fabuleux et se demande comment il a fait pour en gagner autant. Il y a quelques années, j’étais en Allemagne, et un ami artiste avait reçu un courrier lui annonçant qu’il avait gagné près de 7 000 mille euros en droits et il ne savait où on avait montré ses œuvres.
Donc, cette exposition est une manière de dire aux familles qu’elles doivent mieux garder les œuvres. Ce salon est tellement important que je crois que chaque année, on doit faire plus et ne pas faire du surplace. Il faut savoir innover.
Monter une exposition d’œuvres d’artistes décédés n’est pas toujours une chose aisée. Quelles sont les difficultés auxquelles vous avez dû faire face ?
C’est vrai que ce n’était pas du tout facile. D’aucuns nous ont demandé des assurances. Ils nous ont clairement dit qu’ils ne pouvaient pas faire sortir les œuvres sans cela. D’autres, dès qu’on les a sollicités, nous ont dit qu’il n’y a aucun souci et ont mis de suite à notre disposition les œuvres. Heureusement qu’en amont, toutes les dispositions ont été prises pour leur garantir une assurance. Certaines familles que j’ai contactées ont répondu favorablement en me disant : ‘’Comme c’est toi Kalidou qui t’en occupe, on a confiance en toi. On peut te remettre les œuvres.’’
Cela m’a beaucoup touché. Elles m’ont assuré qu’elles viendraient, et en masse, prendre part au vernissage. Si aujourd’hui Mor Guèye était vivant de même qu’Alpha Waly ou encore Diatta Seck, je suis certain qu’ils seraient là parce que leurs œuvres nous parlent et nous interpellent. Quand je vois le tableau d’Ansoumana Diédhiou qui a peint les oiseaux de Djoudj en 1977, cette tapisserie a énormément de succès. Je ne savais pas qu’il nous appelait à la préservation de l’environnement. Quand Modou Niang intitule son tableau ‘’Tontine’’, il parle de l’économie sociale et solidaire. Seulement, il nous fallait les mots pour les traduire. Quand Kébé nous parle de ‘’Mboloo’’, il fait référence à la solidarité.
Quand Alpha Waly Diallo parle de ‘’Bataille’’, il nous montre la maitrise des traits, des volumes, on a l’impression de voir une photo. Il en est de même du défunt jeune Sidi Diallo qui était un artiste montant. Il était important, aujourd’hui, de montrer le travail important d’Amadou Sow sur la céramique. Nous avons plusieurs collectionneurs qui nous ont prêté des œuvres, comme Sylvain Sankalé, Habib Diène, Abdoulaye Racine Kâne, Maguèye Kassé, l’ancien ministre Abdoulaye Diop, etc. Ils sont nombreux et nous ont tous prêté leurs œuvres pour les présenter ici. Cela permet de valoriser la collection de ces gens-là. On a répertorié 66 artistes. Mais seule une quarantaine figure dans cette exposition parce que nous avions des problèmes d’accès aux œuvres. Il y a des artistes dont on ne connaît les noms, mais dont on n’a pas pu retrouver des œuvres. Il y a deux ou trois artistes dont on m’a parlé et que je ne connaissais pas du tout. Je suis allé dans les archives, j’ai interrogé des familles également pour avoir des informations sur eux. Certains m’ont confirmé qu’ils étaient des artistes et ont fait l’école des arts ensemble, mais que ces derniers s’étaient installés en France. Il y en un particulièrement, Cheikh Ndioro, quand je suis allé sur Internet, je me suis rendu compte qu’il était un génie qui surfait entre la peinture, la céramique, la sculpture, etc. Quand j’ai vu son travail, j’étais ébahi. Malheureusement, il n’y a qu’une seule œuvre que sa famille avait gardée avant de la perdre.
Comment s’est fait le choix des œuvres exposées ?
Les choix ont été faits de manière naturelle. La qualité est le critère mis en avant. Pour Bocar Diongue, par exemple, on m’avait proposé trois de ses œuvres. J’ai choisi l’œuvre que détient le collectionneur Serigne Touba Sène. Elle était celle qui me parlait le mieux. Elle correspondait à une démarche beaucoup plus esthétique. C’est ce que je cherchais sur le plan de la qualité dans le travail. Il y en avait pour d’autres pour qui on m’a présenté deux œuvres et qui ont des similitudes. Un artiste qui fait du sous-verre, qui a fait la même œuvre sur El Hadj Malick Sy.
Je me suis dit qu’il fallait chercher autre chose et j’ai pu trouver une œuvre sur des scènes de vie quotidienne. Pour la sculpture, quand on voit l’œuvre de Cheikh Diouf, qui est un peu de la céramique, on voit qu’il était un artiste précurseur qui savait casser les codes. Ibou Diouf, dans son tableau ‘’Le Sénégal qui regarde’’, je trouve que c’est lui-même qui regarde le Sénégal, après les difficultés qu’il avait rencontrées. La chance que j’ai eue, c’est d’avoir approché et pratiqué tous ces artistes. Quand Modou Niang faisait son travail sur les femmes pileuses de la Médina en 1979, on n’avait pas compris qu’il alertait sur l’exode rural. Il les avait peintes parce qu’il habitait la Médina.
Quand il faisait cela à Thiès, à l’atelier de cartonnage en 1979, il chantait ses ‘’xassaïdes’’ et nous en parlait. Nous, on ne les connaissait pas. Cette tapisserie a eu beaucoup de succès et a été tissée et retissée à travers le monde. Ces artistes étaient des visionnaires. Ils parlaient de choses qui allaient venir. On parle aujourd’hui de Sénégal émergent et l’émergence, c’est d’avoir des ressources naturelles. Le pétrole est là. Ndary Lô l’avait vu et cette œuvre a été présentée lors de la dernière biennale. Elle a été même offerte à l’Etat du Sénégal par les Ics, par l’intermédiaire de Jean-Michel Seck. Elle est aujourd’hui installée au musée Léopold Sédar Senghor. Ndary Lô a présenté la sculpture d’un homme qui marche et je me suis dit que la technique est assez particulière avec ce fer forgé et je l’ai choisie pour la mettre dans cette exposition.