La polémique sur l'endettement public entre réalités économiques et biais méthodologiques

Un débat cristallisé autour du ratio dette/PIB. La récente annonce par Bloomberg, s’appuyant sur un rapport de Barclays, d’une dette publique sénégalaise atteignant 119 % du PIB en 2024 a provoqué une onde de choc sur les marchés financiers et dans les cercles économiques et universitaires notamment (Larem/Faseg/Ucad). Ce chiffre, contrastant avec les 99,7 % révélés par un audit officiel en 2023 et largement au-dessus de la norme communautaire UEMOA (70 %), soulève des questions cruciales : Quelle est la fiabilité de ces estimations ? Comment interpréter cette situation sous le prisme de la solvabilité et de la stratégie économique du gouvernement ?
I. Un contexte marqué par des défis structurels et des réformes audacieuses.
1. Un héritage financier lourd mais une gestion proactive.
Le gouvernement du Pr. Diomaye Faye dirigé par le Pm Ousmane Sonko, arrivé au pouvoir en 2024, a hérité d’une situation financière obérée par des irrégularités comptables indéniables et une sous-évaluation des déficits sous l’ancienne administration. L’audit de la Cour des comptes a révélé un déficit de +10 % du PIB en 2023 (contre +5 % annoncé précédemment), conduisant à un gel du programme du FMI de 1,9 milliard de dollars . Malgré cela, le Sénégal a maintenu ses engagements, sans défaut de paiement, et propose un budget 2025 visant à réduire le déficit à moins de 7 % grâce à une politique de dette "prudente" et un recours accru aux financements domestiques . Toutefois, des efforts au retour à l'orthodoxie budgétaire sont nécessaires, in fine, une nouvelle trajectoire macroéconomique plus viable est attendue.
2. Une croissance dynamique mais des déséquilibres persistants.
Le pays table sur une croissance de 8,8 % en 2025( ANSD, DPEE...), portée par l’exploitation pétrolière, mais freinée par des secteurs secondaires et tertiaires en ralentissement . Cette croissance masque mal des faiblesses structurelles :
- Une dette principalement utilisée pour refinancer des échéances et couvrir des dépenses courantes, limitant les investissements productifs (Dr. Seye).
- Des disparités régionales criantes (57 % de pauvreté à l’Est contre 9 % à Dakar), soulignées dans le référentiel Sénégal 2050 .
II. La controverse méthodologique : comment évaluer la dette sénégalaise ?
1. Les critiques contre le rapport Barclays par les experts et chercheurs du LAREM.
Le Dr Bocoum, économiste certifié par le FMI, dénonce une "misinformation" dans l’estimation à 119 % du PIB. Selon lui :
- Absence de base officielle : Le chiffre repose sur une hypothèse contestable du PIB nominal (19 537 milliards FCFA), non validée par l’ANSD ou le FMI. Un PIB recalculé ("rebasing") pourrait réduire mécaniquement le ratio (Dr Seye & Dr. Diané et al.)
- Biais de perception : Les marchés surestiment le risque en l’absence d’un "prêteur en dernier ressort" comme la BCEAO, contrairement à la BCE pour les pays européens (Chercheur Ibn Ibrahimcitation).
2. La réponse des autorités et des experts locaux.
Un expert et cadre macroéconomique sénégalais conteste cette vision, affirmant que la dette dépasse effectivement 100 % du PIB, mais insiste sur la nécessité de stratégies de refinancement plutôt que sur une lecture alarmiste (cadre de l'administration).
Le gouvernement mise sur :
- Des partenariats public-privé (PPP) pour relancer l’investissement.
- Une réforme du marché financier domestique, incluant la microfinance et les diaspora bonds .
III. Perspectives : entre ajustement fiscal et souveraineté financière.
1. Les pistes pour une dette soutenable
- Renégociation des échéances : Le budget 2025 prévoit un étalement des paiements pour 2026-2027 .
- Diversification des financements : La tournée du Premier ministre en Chine et les discussions avec les pays du Golfe visent à sécuriser des alternatives aux marchés occidentaux. Au demeurant, les retrouvailles des Présidents Diomaye et Macron sont salutaires à cet effet. (Dr. Seye).
2. Un impératif : repenser l’architecture financière régionale.
L’incapacité de l’UEMOA à stabiliser les dettes souveraines expose le Sénégal aux caprices des marchés. Le Dr Bocoum plaide pour une réforme monétaire incluant :
- Un rôle accru de la BCEAO dans la régulation des obligations.
- Une meilleure intégration des données économiques pour éviter les interprétations biaisées.
En conclusion,
Au-delà des chiffres, un besoin de transparence et d’innovation
La polémique sur la dette sénégalaise révèle moins une crise de solvabilité qu’un déficit de communication et d’outils financiers adaptés. Alors qu’un nouveau rapport indépendant (Mazars) sur la dette 2019-2024 est attendu, les autorités doivent :
1. Consolider la crédibilité des données via l’ANSD et des audits transparents.
2. Accélérer les réformes du référentiel "Sénégal 2050", notamment sur la gouvernance et l’innovation technologique .
"Ce n’est pas la dette qui est dangereuse, mais l’incapacité à maîtriser les conditions de son financement", résume le Dr Bocoum. Un mantra pour éviter que les prochaines annonces ne fassent encore trembler les marchés. Au demeurant, communiquer, expliciter et rassurer sont les seules issues favorables.
Dr. Seydina Oumar Seye
Sources complémentaires : Reuters , Sputnik Africa , échanges d’experts et universitaires et chercheurs du LAREM/FASEG/UCAD