La communauté mouride se rappelle son 1er khalife
Le magal de Darou Khoudoss est célébré chaque année le 20ème jour du mois lunaire, de Tamxarit. La 87e édition est célébrée à Touba, dans la nuit du jeudi 13 au vendredi 14 novembre. Cet événement religieux commémore le rappel à Dieu et le retour à Touba de Cheikh Ahmadou Bamba, Khadim Rassoul, fondateur du mouridisme. Retour sur les péripéties de cet événement qui est la dernière grande cérémonie religieuse, avant le magal de Touba, et sur la vie et l’œuvre de celui qui en fut l’instigateur, le premier khalife de Bamba sur terre.
RAPPEL HISTORIQUE
Cheikh Ahmadou Bamba est décédé en juillet 1927, alors qu’il était en résidence surveillée, à Diourbel. Après ce rappel à Dieu, Serigne Mouhamadou Moustapha Mbacké, son fils aîné, s’est battu contre l’administration coloniale de l’époque, pour réaliser l’ultime vœu du fondateur du mouridisme, celui d’être inhumé à Touba. Un acte de haute portée spirituelle et de bravoure qui mérite aujourd’hui d’être célébré par toute une communauté. Serigne Mouhamadou Moustapha Mbacké, qui prit donc la tête de la communauté, assuma pleinement toutes les responsabilités qui lui étaient dévolues, de 1927 à 1945. En 1935, il organisa, pour la première fois, ce Magal. Cette première édition lui permit de rassembler les disciples mourides et d’entamer avec eux les multiples projets, dont entre autres, les travaux de la Grande Mosquée de Touba, dont la réalisation lui avait été recommandée par Khadimou Rassoul.
Ladite célébration n'a connu d'interruption qu'en 1945, suite à la demande de l'administration coloniale auprès de Cheikh Moustapha. Cette date avait coïncidé avec l'organisation d'élections. De 1945 à nos jours, aucune autre interruption n'a été notée dans l'organisation de ce magal. Après 1945, Serigne Cheikh Ahmadou Mbacké, communément appelé Gaïndé Fatma, fils aîné de Cheikh Mouhamadou Moustapha, a continué la célébration jusqu'en 1978, année de sa disparition. Serigne Mbacké Madina l'a organisé de 1978 à 1985. Serigne Aliou Mbacke a repris le flambeau jusqu'en 1998, pour le passer à Serigne Khadim qui l'a organisé jusqu'en 2004.
Depuis cette date, la célébration du magal est organisée par Serigne Ahmadou Makhtar, actuel khalife de Cheikh Mouhamadou Moustapha. Tous ces khalifes de Serigne Mouhamadou Moustapha Mbacké ont successivement utilisé les structures des Dahiras, appelés « Wilaya », pour faire fonctionner à plein régime le magal. L’organisation de cette année n’a pas dérogé à la règle. Les responsables, bien épaulés par ces mêmes dahiras, n’ont ménagé aucun effort pour réserver aux pèlerins un accueil chaleureux. Le quartier Darou Khoudoss a fini de faire le plein. Les disciples sont venus nombreux de toutes les régions du pays et de l’extérieur pour communier.
VIE ET OEUVRE DE SERIGNE MOUHAMADOU MOUSTAPHA MBACKE
Serigne Mouhamadou Moustapha Mbacké est fils de Cheikh Ahmadou Bamba. Né à Darou Salam en 1886, sa vie et son œuvre reposent sur deux socles qui ont transcendé le temps et les époques : le raffermissement du Mouridisme et la construction de la grande Mosquée de Touba. Bien que n’étant pas l’aîné des fils de Serigne Touba, Serigne Modou Moustapha, âgé de 40 ans, fut le 1er Khalife du fondateur du mouridisme, après le rappel à Dieu de son père. Issu de la prestigieuse famille maraboutique de Serigne Coki dans le Ndiambour, de par sa mère Sokhna Aminata Lo, Serigne Moustapha est le neveu de Serigne Makhtar Binta Lo, un des premiers compagnons de Serigne Touba. Très jeune, il débuta son initiation coranique auprès de son père, avant de la poursuivre, en compagnie de son frère cadet Serigne Fallou, aux côtés de Mame Thierno Birahim Mbacké, sept années durant.
En 1902, il fut de l’expédition de Khomack qui allait rejoindre Cheikhoul Khadim en exil en Mauritanie. Il y resta jusqu’à 1907. Homme de terrain, doté d’un grand discernement, il accompagna son père à Dakar, sur invitation du Gouverneur Général de l’A.O.F. Cheikh Modou Moustapha Mbacké, comme on l’appelait affectueusement, eut la lourde tâche de diriger la communauté mouride, dans ses années d’affirmation, marquées par la disparition de Cheikhoul Khadim, la crise économique des années 30 et une épidémie de peste qui ravageait tout sur son passage. C’est dans ce contexte difficile, marqué par la réticence de certains des grands disciples et l’hostilité des colons, que Cheikh Moustapha accomplit à la lettre les recommandations de feu son père, dont le premier grand pari étaient de l’inhumer à Touba, chose quasi impossible, du fait du statut de prisonnier en résidence surveillée de Serigne Touba.
Le deuxième grand pari réussi par Cheikh Moustapha a été la construction de la grande mosquée de Touba, dont l’autorisation de construire a été retirée à Cheikhoul Khadim, dès 1925. Après de multiples tractations et procès contre les autorités coloniales, il obtint l’autorisation de construire, mais devait au préalable respecter la clause du financement sur fonds propres de l’embranchement de la voie ferrée, Diourbel-Touba, long de 48 km, pour permettre l’acheminement des matériaux depuis Dakar. La route étant à cette époque presque inexistante. La réalisation de cet important ouvrage conçu de manière très rudimentaire, à cette époque la technologie n’étant pas avancée, les mourides, par le biais de leur Khalife, ont montré leur réalisme, leur efficacité, par un impressionnant travail à la chaîne où tout se faisait à la tâche, prouvant ainsi leur sérieux et leur organisation, mais aussi le sens de l’entrepreneuriat, le culte du travail et du management.
Le 4 mars 1932, il posa la première pierre de la mosquée et tint aux mourides un discours rassembleur, les invitant au travail et à la dévotion, à taire les velléités et à se consacrer à l’essentiel, conformément à la volonté de Cheikh Ahmadou Bamba. Avec la construction de cet édifice religieux, il a montré la voie. Plein de lucidité et de calme, Serigne Modou a su imposer sa personnalité et son charisme. Sa dignité, sa droiture et son efficacité ont fini par convaincre les plus sceptiques.
Il a ainsi jeté les bases d’une nouvelle communauté plus soudée, bien structurée, apte à relever les nouveaux défis qui allaient interpeller la communauté, dans un monde en pleine mutation. Il fut le prototype même de l’agriculteur aguerri aux rigueurs de la vie champêtre et l’exemple vivant du bon mouride, avec sa nature posée et son intelligence très fine. Il provoqua un grand élan mystique qui favorisa un essor économique de la région de Diourbel. La production arachidière était passée de 20 000 tonnes à la fin des années 1930 à 75 000 tonnes, entre 1937 et 1938.
Après 18 ans passés à la tête de la communauté mouride, Hamdy, comme l’appelait sympathiquement les anciens, tira sa révérence à l’aube d’un vendredi pluvieux du mois de juillet 1945. Il fut inhumé auprès de son père dans l’enceinte de la grande mosquée de Touba.
Abdou Fatah Gaye (TOUBA)