ABATTAGE D’ARBRES SUR LE BOULEVARD DIAL DIOP
Le BRT en passe de détruire des témoins de l’histoire du Sénégal
La libération des emprises sur les voies réservées au Bus Rapid Transit (BRT) suscite une grande indignation, avec la destruction d’arbres, parfois historiques.
Le contraste est saisissant sur un discours aux antipodes des actions. Allant jusqu’à instruire pour la modification des codes de l’urbanisme et de la construction, le président de la République s’était érigé en défenseur acharné d’un reverdissement et de la préservation du patrimoine végétal de Dakar. Ceci, lorsqu’il présidait, le 9 août 2020, au Centre de conférences international Abdou Diouf de Diamniadio, la cérémonie de la Journée nationale de l’arbre. Macky Sall affirmait alors : ‘’Nous devons partout planter des arbres. C’est la raison pour laquelle, je vais proposer, dans le cadre du Code de la construction et du Code de l’urbanisme, que désormais, les autorisations de construction soient adossées à l’obligation de planter des arbres devant les maisons et de faire en sorte que ces arbres puissent suivre.’’
Seulement, la position du président de la République sur l’importance de la préservation des arbres laisse sceptique beaucoup de citoyens. Surtout depuis le démarrage des opérations de libération effective des emprises sur le tracé du BRT (Bus Rapid Transit). Au moment de la sortie du chef de l’Etat, sur la section 3 du projet BRT, allant du "rond-point Case bi à l’échangeur de l’Emergence", débutaient les opérations de démolissage. Et l’abattage systématique des arbres sur les voies offrait un triste paysage où le bâti remportait de nouvelles victoires sur les arbres offrant encore de la résistance.
Mais depuis le 25 novembre dernier, d’autres opérations concernent les emprises visées par les sections 4 à 9, c’est-à-dire les parties ‘’allant du pont de l’Emergence (ex-pont Sénégal 92) au carrefour situé près de la RTS, passant par le collège Hyacinthe Thiandoum, les carrefours de Liberté 6 et de la boulangerie Jaune, la rue 10 prolongée, le rond-point ONU, la place de la Nation et le boulevard Général Charles de Gaulle’’.
Alors que les engins démolisseurs s’apprêtent à visiter la rue 10 et l’avenue Dial Diop, des riverains réunis autour du mouvement Jotna (jeunesse ouverte à toute nouvelle alternative) de Grand-Dakar lancent une alerte pour sauver les centaines d’arbres qui bordent cette avenue que le projet envisage de détruire.
Lamine Diouf fait partie de ce collectif et s’offusque face à l’éventualité de voir ces arbres, témoins du passé de son quartier, disparaître. ‘’Dans le contexte des changements climatiques qui touchent déjà le Sénégal, on ne pouvait pas rester les bras croisés et laisser des centaines d’arbres être coupés comme ça. Ces arbres ont été mis en place depuis la présidence du président-poète Léopold Sédar Sénégal. Le défilé de la fête nationale d’indépendance se faisait sur le boulevard Dial Diop qu’ils longent’’, dénonce-t-il dépité, l’option choisie par les responsables du BRT.
Le défilé de la fête nationale d’indépendance se faisait sur le boulevard Dial Diop
Selon ses concepteurs, le projet de ligne pilote de BRT ‘’s’inscrit dans une stratégie ambitieuse et globale de mobilité urbaine durable à Dakar menée par le Cetud (Conseil exécutif des transports urbains de Dakar)’’ et qui devrait réduire ‘’le temps de parcours entre Guédiawaye et le centre-ville de 90 à 45 minutes dans des conditions de confort, de sécurité et de régularité substantiellement améliorées’’.
Le tracé dessert au total 23 stations fermées avec des bus à plancher haut (quai hauteur 95 cm). La ligne pilote de bus sur voies réservées s’étendra sur une longueur de 18,3 km, de la gare routière de Petersen à la préfecture de Guédiawaye. Au départ, il longe les allées Papa Guèye Fall, puis le boulevard Général de Gaulle jusqu’à la place de la Nation. Il emprunte le boulevard Dial Diop et l’ancienne piste jusqu’au giratoire Liberté 6. Le quartier de Grand-Yoff prend le relais, en passant par le pont de l’Emergence puis les Parcelles-Assainies, par la route des Niayes, avant d’atteindre Fadia et Cambérène. Une fois à l’hôpital Dalal Jamm, il emprunte la corniche de Guédiawaye jusqu’à la préfecture.
Conformément à la réglementation nationale, le projet a fait l’objet d’une évaluation environnementale et sociale, et a obtenu un certificat de conformité environnementale délivré par le ministère de l’Environnement et du Développement durable, plus de trois mois avant son approbation par le Conseil d’administration de la Banque mondiale, le 25 mai 2017. Les travaux ont été lancés en grande pompe par le président de la République Macky Sall, le lundi 28 octobre 2019.
Mais le nombre impressionnant d’arbres abattus, sans forcément choisir l’option de les préserver à tout prix, ne passe pas au niveau du boulevard Dial Diop. Des riverains ont écrit des correspondances au ministère de l’Environnement et au président de la République. ‘’Le maire de Grand-Dakar nous a dit qu’il était impuissant pour sauver ces arbres. La seule réponse que les responsables de communication du BRT nous ont servie, était que deux arbres seront plantés pour chaque arbre détruit dans le cadre du projet’’, renseigne Lamine Diouf.
Des activistes du mouvement associatif pour mener le combat pour l’environnement
D’autres organisations regroupant des activistes issus du mouvement associatif dont le collectif Mbed mi dou mbalite, ou encore l’association Simple action citoyenne de Junior Diakhaté Niintche, l’enseignant qui reconstruit des écoles, s’investissent aussi pour la sauvegarde des arbres longeant le boulevard Dial Diop. Une manière d’essayer de sauver les petits traits de verdure que compte une ville en manque criard de poumons verts.
Loin de s’ériger contre le projet en lui-même, ces activistes plaident pour une implication des emplacements des arbres dans le tracé. Nous avons vu sur les maquettes publiées, explique Lamine Diouf, qu’il y a des espaces verts entre les voies routières qui sont réparties sur deux côtés. ‘’Pourquoi ne pas faire le tracé de sorte à laisser les arbres en place, les embellir pour qu’ils s’intègrent au paysage ? Ils suivent une trajectoire rectiligne du boulevard du centenaire à Sacré-Cœur pratiquement. Au moins, que l’on laisse en l’état ceux qui sont situés sur le trottoir. On peut les tailler afin qu’ils ne gênent pas la vision des automobilistes’’, propose-t-il.
Alors que le projet est entré dans sa phase active, Lamine Diouf et ses activistes espèrent sauver ce qui peut encore l’être, en appelant les Sénégalais à prendre conscience de l’importance de la préservation des arbres situés dans les emprises des grands projets de l’Etat. Au rond-point Castor, beaucoup d’arbres ont été récemment abattus pour la construction d’un autopont. Il n’est jamais trop tard pour bien faire, estime-t-il, en lançant un appel à l’Agence nationale de la grande muraille verte (ANGMV) et à toute bonne volonté éprise d’une justice environnementale et de la préservation d’un patrimoine inestimable.
Lamine Diouf
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