Publié le 19 Sep 2012 - 10:00
ABDOUL AZIZ TALL (N°2 DU MOUVEMENT YAMALÉ ET MEMBRE-FONDATEUR DU M23)

«La pire des situations pour Macky Sall, c'est de se prêter à des comparaisons avec Wade»

 

Dans l'entretien qui suit, l'ancien Directeur général de la Loterie nationale sénégalaise (LONASE), Abdoul Aziz Tall, dissèque les facteurs qui pourraient empoisonner la présidence de Macky Sall. En pleine affaire Aminata Niane, il revient sur le choix des collaborateurs, éclaire et donne une signification précise à la fonction de ministre-conseiller et s'émeut au passage que l'annonce de la suppression du Sénat ait pu être faite dans le salon d'honneur de l'aéroport de Dakar. Entretien.

 

 

 

Le Premier ministre vient de faire sa Déclaration de politique générale. Comment l’avez-vous entendue ?

 

La Déclaration de politique générale est un événement inscrit dans le calendrier républicain, à chaque fois que la Primature à un nouveau locataire. Je dois avouer, pour avoir participé par le passé à la préparation de ce type de discours, qu’il s’agit plutôt d’une compilation de bonnes intentions, qui s’inspire d’un programme en l’occurrence ici le «Yoonu Yokkute». Mais rarement par le passé il y a eu des évaluations d’étape pour mesurer le niveau réel d’exécution des programmes déclinés dans ces déclarations. C’est donc un événement rituel où chaque acteur joue sa partition et à l’issue duquel l’on se félicite. Il faut tout de même noter que dans la présente déclaration, le Premier ministre a beaucoup parlé de suivi et d’évaluation. Il faut espérer que tel sera le cas, car c’est cela qui apparaîtrait comme une véritable rupture. Cela dit, je pense que la déclaration de politique générale du Premier ministre, le 10 septembre, a été longue, très longue. L'exercice, pour le chef du gouvernement, était délicat : rappeler ce à quoi le président s'était engagé, mais ne rien dire de plus. Préciser l'application du programme présidentiel, sans trop s'avancer sur les détails, le calendrier ou le financement des mesures. La mission, de ce point de vue, est accomplie. Monsieur le Premier ministre s'est livré à un inventaire, par endroits fastidieux, du champ de l'activité gouvernementale. Dans ses réponses aux députés, il a beaucoup préconisé ce que j’appellerais la «culture de l’accord», celle qui s’impose peu à peu dans le dialogue et la démocratie. C’est peut-être un souci de ne pas commettre de faute, même s’il est apparu quelquefois volontariste. La nouvelle opposition a soulevé une bronca, comme il fallait s’y attendre ; en témoigne la question de la nationalité d’un membre du gouvernement.

 

D'une manière générale, cinq mois après l'arrivée de Sall au pouvoir, comment jugez-vous son action ou bilan ?

 

Parler de bilan au sens managérial du terme me paraît un peu prématuré. En revanche, comme dans tout système qui fonctionne, il est impérieux d’assurer un suivi permanent qui permet de déceler très tôt les dysfonctionnements éventuels et de leur apporter les mesures correctives avant qu’il ne soit trop tard. Ce suivi est aussi l’occasion d’identifier les acquis positifs et de les renforcer. C’est le sens que les Anglo-saxons donnent au concept de «control» qui signifie une maîtrise de la situation, au fur et à mesure que l’activité se déroule. A ne pas confondre avec une vérification qui s’effectue sur une période plus longue et qui peut donner lieu à des résultats dont les interprétations peuvent être à la fois plus larges et plus détaillées. C’est du reste cette dernière conception qui se prêterait le mieux à la notion de bilan.

 

Il y a eu de fortes réserves sur une nomination très médiatisée, celle de Mme Aminata Niane, wadiste pure sucre, comme ministre-conseiller du Président Macky Sall...

 

Vous comprendrez que je ne puisse pas me prononcer sur des cas individuels. Je peux simplement dire que le président de la République doit faire prévaloir la stricte application des principes et valeurs fondamentales qui guident le fonctionnement d’un Etat moderne. A savoir, mettre en avant les principes de neutralité et d’égalité envers ses concitoyens, et assurer une mutabilité, c’est-à-dire engager une série de véritables réformes qui vont marquer des ruptures salutaires par rapport au régime précédent. Il lui faut donc remettre l’Etat à l’endroit et restaurer l’orthodoxie dans l’administration publique. A cet égard, la nomination de personnes dans l’administration et ses démembrements, selon leur appartenance à un parti politique ou à des réseaux de relations plutôt que selon leur mérite, pourrait remettre fortement en question la neutralité réelle de l’Etat envers ses propres agents. Et c’est à la fois frustrant et démotivant pour les agents de l’Etat, de voir placer à la tête de leur structure des personnes sur lesquelles ils émettent des réserves fondées quant à leurs capacités à les diriger. Cette situation est d’autant plus inacceptable quand certaines nominations apparaissent comme une opération de recyclage des apparatchiks de l’ancien régime. Les nominations doivent obéir davantage à des profils, des attitudes et des aptitudes, qu’à des considérations subjectives ou partisanes. Elles doivent être un moyen d’expression réelle de notre démocratie. Sinon, le pouvoir risque d’avoir à s’opposer à la plus grande force des cadres et du personnel, celle de l’inertie qu’engendre la démotivation.

 

Toujours en cinq mois, il y a eu beaucoup de nominations, notamment au poste de ministre-conseiller. Une bonne partie de l'opinion y voit déjà ds relents de wadisme.

 

Le système Wade a sans doute traumatisé les Sénégalais, notamment dans la facilité déconcertante avec laquelle il nommait aux fonctions de ministres d’Etat, ministres, ministres-conseillers et autres. Il est vrai que l’on peut craindre que les récentes nominations du Président Macky Sall soient perçues comme une continuité de pratiques antérieures qui avaient été fortement décriées. Mais il y a une différence de taille entre les deux époques, c'est le facteur contexte.

 

C'est-à-dire ?

 

L’on est ici en présence d’un chef d’Etat nouvellement élu, qui construit pour la première fois une nouvelle équipe, appelée à travailler avec lui dans les différentes missions qui sont les siennes. Dans toutes les administrations du monde, il en est ainsi lorsqu’un nouveau régime s’installe. Aux Etats-Unis d’Amérique par exemple, il y a même une formule consacrée : «Les hommes du Président», en référence à tous ceux qui travaillent autour du chef de l’Exécutif et qu’il s’est choisis lui-même sur la base de connaissances antérieures qu’il a de ces personnes, relativement à leurs aptitudes et attitudes à exercer les missions qu’il entend leur confier. Même s’il peut arriver que certains de ses collaborateurs soient en activité dans le secteur privé, ils se gardent toujours d’être en situation de conflit d’intérêts par rapport à leur statut de conseillers du Président américain.

 

A vous entendre parler, il faut s’attendre à d’autres nominations ?

 

Je n’en doute pas. Le président de la République est dans cette phase de mise en place de son équipe. Il lui appartient d’identifier le nombre de conseillers qu’il lui faut, et de délimiter leur champ d’attribution. Évidemment, il doit le faire en toute lucidité et, par conséquent, éviter toute précipitation. La fonction de président de la République est la plus importante de notre système institutionnel. Toute décision que prend le chef de l’Etat a forcément un impact dans toutes les ramifications de la Nation. C’est pour cette raison qu’il doit faire preuve de prudence et opérer des choix judicieux d’hommes et de femmes qui l’aident dans le processus décisionnel. Toutefois, le nombre des ministres-conseillers devrait être limité, sinon on pourrait logiquement se demander si ses nominations obéissent uniquement au souci de rationaliser la distribution des rôles. S’il crée une pléthore de personnel par rapport au niveau d’activité de la Présidence de la République, il va de soi que certains agents seront amenés à se tourner les pouces et à être payés à ne rien faire. Et comme chacun sait, l’oisiveté est «la mère de tous les vices». Elle est aussi souvent source de rumeurs, de trafics d’influence, de déperditions et autres attitudes et pratiques négatives propres à détériorer le climat de sérénité et de confiance attendu dans un environnement de travail. Cette ambiance salutaire qui incite au travail est encore plus valable dans un cadre aussi symbolique et solennel que celui de la Présidence de la République. Je voudrais souligner pour terminer sur cette question, que contrairement à ce qu’en pense une certaine opinion, cette catégorie de fonctionnaires qui assistent le chef de l’Etat n’est ni un gouvernement bis, encore moins un «Shadow cabinet».

 

Au fond, c'est quoi un ministre-conseiller ?

 

Cette appellation est à mon avis doublement inconvenante. D’abord parce qu’elle n’existe que dans la nomenclature des personnels du Ministère des Affaires étrangères. Elle correspond à un grade bien précis qui se situe en dessous de celui des Ambassadeurs. Pour être plus précis, c’est un mot composé qui s’écrit avec un trait d’union entre ministre et conseiller. Si donc on continue d’appeler ces collaborateurs du président de la République ministres-conseillers, on court le risque évident de créer des confusions et amalgames. L’autre motif qui aurait dû inspirer un changement d’appellation, c’est que ce concept de ministre-conseiller renvoie à une image qui n’est pas forcément positive, au regard de ce que l’ancien Président avait fait de la Présidence de la République, à savoir le bassin de rétention de ministres d’Etat, ministres et Directeurs généraux déchus, à qui on attribuait systématiquement le titre de ministre-conseiller. Un simple souci de rupture sémantique aurait dû inspirer que l’on évitât ce mimétisme peu séduisant.

 

ALIOU NGAMBY NDIAYE

 

(A suivre)

 

 

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