Publié le 19 Sep 2012 - 22:30
ABDOUL AZIZ TALL (N°2 DU MOUVEMENT YAMALÉ ET MEMBRE-FONDATEUR DU M23)(2ème Partie)

«La pire des situations pour Macky Sall, c'est de se prêter à des comparaisons avec Wade»

 

 

Dans l'entretien qui suit, l'ancien Directeur général de la Loterie nationale sénégalaise (LONASE), Abdoul Aziz Tall, dissèque les facteurs qui pourraient empoisonner la présidence de Macky Sall. En pleine affaire Aminata Niane, il revient sur le choix des collaborateurs, éclaire et donne une signification précise à la fonction de ministre-conseiller et s'émeut au passage que l'annonce de la suppression du Sénat ait pu être faite dans le salon d'honneur de l'aéroport de Dakar. Entretien.

 

Mais alors, quelle appellation conviendrait le mieux pour cette catégorie de collaborateurs du chef de l'Etat ?

 

Sans doute la fonction de ministre est-elle très valorisante. Mais en réalité, les ministres-conseillers ne sont rien d'autre que des conseillers techniques du président de la République ! C'est aussi simple que cela. Il se trouve que certains parmi eux sont des personnalités ayant le profil, l’envergure et le statut qui font qu’on leur accorde le rang et l'appellation de ministre. Dans la tradition française qui nous sert bien souvent de référence dans le domaine de l’administration, nombreuses sont les personnalités politiques à occuper des fonctions très importantes au Palais de l’Elysée, sans pour autant se voir attribuer le titre de ministre. Ici, nos ministres-conseillers n’ont aucune fonction de «line». C’est-à-dire qu’ils ne gèrent pas de cabinet et ils n’ont pas en charge l’exécution matérielle des décisions. Généralement d’ailleurs, leur secrétaire est la seule personne qui leur est rattachée. Ils ont essentiellement un rôle de conseil et d’aide à la prise de décision auprès du président de la République, par rapport à des secteurs où ils disposent d’une expérience et/ou d’une expertise avérée. Ils sont appelés à étudier pour le président de la République des questions ponctuelles qu’il leur soumet et dont les recommandations qui en sont issues font l’objet de directives si elles sont agréées par le chef de l’Etat. Ces directives sont alors adressées au Premier ministre, lequel veille à leur exécution par les ministres concernés.

 

Quel est le rôle d'un chef de gouvernement dans ce système ?

 

Le Premier ministre est le chef de l’Administration. Il veille à la mise en œuvre diligente et correcte des directives du président de la République, de la politique que celui-ci a définie et lui rend compte soit à l’occasion de séances de travail régulières et formelles que ce dernier tient avec lui, soit à l’occasion des conseils de ministres. Les conseils interministériels sont aussi une instance qui permet au Premier ministre de concevoir avec ses ministres et techniciens des stratégies d’exécution des directives émanant du président de la République. Que ces directives trouvent leurs origines auprès des ministres-conseillers, conseillers spéciaux ou autres sources d’informations du Chef de l’Etat.

 

Quel est le potentiel risque de conflit entre ces différentes parcelles de pouvoir autour du président de la République ?

 

Les conflits sont inévitables dans tous les systèmes d’organisation. Ils sont même quelquefois des sources de progrès lorsqu’ils engendrent un dépassement des contraires, fruit d’une saine émulation entre les acteurs qu’ils impliquent. Il ne faut donc pas chercher à les éviter ou à les supprimer. Au contraire, il faut y faire face de façon constructive. Le Président Kennedy disait à ses conseillers, qu’il commencerait à s’inquiéter le jour où ils s’entendront tous sur une seule et même solution par rapport à un problème posé. Cela dit, les conflits doivent reposer davantage sur les idées et les opinions en vue d’une meilleure assistance au Chef de l’Etat, plutôt que sur des questions de personnes, de positionnement ou d’intérêts privés. Ce sont surtout les conflits interindividuels, qui mettent en avant l’ego au détriment de l’intérêt général, qui constituent toujours des sources de blocage du travail en équipe.

(...)

Aujourd'hui, il semble que Macky Sall doive forcément rassurer ses compatriotes sur sa volonté de rupture. Comment le faire ?

 

Il est très important pour le président de la République, que l’opinion ne perçoive pas à travers ses nominations comme la récompense d’une simple reconnaissance de soutien politique ou l’aboutissement de manœuvres et d’entregents habiles de ceux qui en sont les bénéficiaires. La pire des situations qui puisse arriver au Président Macky Sall, ce serait de se trouver dans des postures ambiguës où il se prête à des comparaisons avec son prédécesseur (NDLR : Abdoulaye Wade). Ce dernier a été un artisan achevé de la destruction des Valeurs et Principes qui ont toujours sous-tendu le fonctionnement de l’Etat du Sénégal. Il est donc essentiel qu’il se démarque nettement de ses méthodes tant décriées, et de ce point de vue, il est important que ses décisions reposent sur des critères aussi objectifs que possible...

 

Il existe un certain nombre de critiques liées à ce qui est considéré comme une lenteur dans la mise en place des réformes. Le Président Mbow vient certes d'être désigné pour piloter les réformes institutionnelles, mais globalement, une certaine léthargie prédomine.

 

Aujourd’hui, nous sommes dans une situation où l’on doit tout reconstruire ou presque dans ce pays, et les Sénégalais sont fort impatients. Ils doivent toutefois comprendre que certaines situations difficiles héritées par le régime actuel ne peuvent pas trouver des solutions aussi rapidement qu’ils l’auraient souhaité. Car le temps des réalisations est plus long que le temps de la parole. Certes, on ne pourra pas passer tout le temps à dire que c’est la faute au régime précédent ; ce serait du reste une mauvaise stratégie de communication. Le ministre en charge de l’Énergie, par exemple, a suffisamment expliqué aux Sénégalais qu’un problème comme celui de l’électricité requiert des solutions qui pourraient remettre totalement en cause les formules coûteuses utilisées par l’ancien régime et que de ce point de vue, les réponses à apporter ne seront pas aussi rapides et spontanées que les citoyens le souhaitent. Au surplus, beaucoup de réformes ne peuvent s’opérer qu’en relation avec l’Assemblée nationale, alors que celle-ci vient tout juste d’être installée.

 

Oui, mais concrètement ?

 

Cela dit, les Sénégalais ont besoin d’être à la fois convaincus, apaisés et rassurés par rapport à la fin définitive du traumatisme et des stress résultant d’un mal vivre que douze ans de gouvernance catastrophique d’Abdoulaye Wade leur ont fait subir. Son régime a laissé un véritable champ de mines qui est très loin d’avoir révélé tous les secrets et scandales qu’il a générés durant ses douze ans de règne. Pour avoir posé des mines partout, aux niveaux politique, économique et social, Abdoulaye Wade aura tracé à son successeur un véritable destin de «démineur». L’expertise d’ingénieur géologue du Président Sall ne sera certainement pas de trop dans cette aventure périlleuse qui l’attend. Dans ce contexte, l’adhésion et le soutien des populations au chef de l’Etat lui seront d’autant plus facilement acquis, qu’il leur aura donné la preuve de sa volonté de satisfaire les besoins les plus urgents, de dissiper leurs inquiétudes en matière de justice et surtout d’équité et de transparence dans la gestion des affaires de l’Etat. Ce sont là des aspirations légitimes dont son prédécesseur, obnubilé par sa réélection, avait totalement fini de les sevrer. Et cela fait partie sans aucun doute des nombreuses causes qui lui ont valu d’être chassé du pouvoir. Les Sénégalais doivent donc aider le nouveau Président à accomplir cette œuvre exaltante de salubrité publique, d’autant que, comme le soulignait l’Abbé Pierre : Au pouvoir, on court le risque de perdre la hiérarchie des urgences.

 

Un mot sur la suppression du Sénat.

 

La décision du chef de l’Etat de supprimer le Sénat est salutaire. Au-delà du prétexte des inondations, il faut avouer que nombreux sont ses alliés qui n’étaient pas d’accord sur son maintien. Si le Président s’était obstiné à le conserver, il aurait créé un malaise qui allait remettre en cause la cohésion dans sa propre coalition et peut-être même provoquer une dissidence avec les sentinelles pour la défense des conclusions des Assises Nationales. Il est donc tout à fait heureux qu’il l’ait compris, surtout à un moment où il a besoin du concourt de tous pour faire bouger les rangs. «Une déclaration de cette nature et de cette importance n’aurait pas dû se faire dans le salon d’honneur de l’aéroport.» Je voudrais tout de même émettre quelques réserves sur la forme de cette annonce de la suppression du sénat, qui ne m’a pas paru conforme à l’orthodoxie qui sied en de telles circonstances. Pour moi, une déclaration de cette nature et de cette importance n’aurait pas dû se faire dans le salon d’honneur de l’aéroport. Aucune urgence, aucune gravité, ne doit ôter la solennité devant entourer l’annonce de la décision de suppression d’une institution aussi importante que le Sénat. La formule utilisée donne l’impression d’une précipitation et jure d’avec les principes fondamentaux auxquels doit obéir une communication institutionnelle. Une autre réserve que je voudrais émettre est celle relative à l’argument des inondations pour justifier la suppression du Sénat. Il peut laisser croire à un subterfuge, et donner le sentiment que la décision n’est pas totalement assumée par celui qui la prend, et cela ne reflète pas à mon avis une bonne image de communication positive...

 

Aujourd'hui, c'est quoi votre rôle dans la mouvance présidentielle ?

La plus grosse menace qui pèse sur les hommes d’Etat, c’est de se trouver dans une posture où on leur fait croire que tout va bien. De par ma vocation de conseiller en Management, mon rôle est plutôt d’identifier des dysfonctionnements et d’attirer l’attention du décideur afin qu’il prenne rapidement des mesures correctives. Car demain, nous serons tous comptables, quelque part, des résultats du président de la République.

 

Où en est-on avec le règlement du dossier Jean Lefebvre Sénégal ?

C’est un dossier qui fait l’objet de contacts entre les parties concernées. Je ne peux pas en dire plus pour le moment. Mais il est important que tout le monde se rappelle qu’il y a 3000 travailleurs qui attendent le règlement de ce dossier pour retrouver ce qu’il y a de plus précieux, en dehors de leur vie et de leur famille, à savoir leur outil de travail. Cette entreprise était, il y a moins de 10 ans, le premier dans le secteur des BTP au Sénégal. Elle a périclité non pas à cause d’un défaut de management, mais du fait de la volonté délibérée de l’ancien régime de l’anéantir.

 

ALIOU NGAMBY NDIAYE

 

 

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