Diomaye audite, l’Union européenne se dédouane
La problématique de la raréfaction de la ressource halieutique est souvent au cœur des polémiques entre les acteurs de la pêche et l’Union européenne, concernant les accords de pêche signés depuis 2014. Les bateaux étrangers sont accusés de piller le poisson du pays, Jean-Marc Pisani, l'ambassadeur de l’Union européenne au Sénégal, a ainsi indiqué que les bateaux européens avaient un impact minime sur le secteur de la pêche au Sénégal.
C’est à un dialogue de sourds que l’on va sans doute assister, entre les nouvelles autorités sénégalaises et l’Union européenne, concernant le dossier de la pêche. Le duo Sonko-Diomaye qui a fait de la renégociation des contrats et des accords de pêche son mantra a souvent mis en exergue les accords de pêche avec l’Union européenne comme l’une des causes de la raréfaction des ressources halieutiques et le bradage de la souveraineté nationale. Ceci a même poussé le chef de l’État à exhorter son gouvernement à mener une enquête approfondie sur toutes les zones d’ombre concernant ce secteur stratégique de la pêche qui, selon les Nations Unies, fait vivre directement et indirectement plus de 600 000 personnes au Sénégal.
Ainsi, dans sa communication lors du dernier Conseil des ministres, le président Faye a demandé au gouvernement de procéder à ‘’l’audit du pavillon sénégalais et l’évaluation des accords et licences de pêche’’ dans le but de préserver les ressources halieutiques et de démasquer des soupçons de prête-noms afin de protéger les professionnels de la pêche artisanale.
Dans cette optique, le ministère des Pêches, le 6 mai dernier, a publié une liste de navires autorisés à pêcher dans les eaux sénégalaises. Elle répertorie 132 navires industriels battant pavillon sénégalais, 19 bateaux européens et plus de 17 400 pirogues artisanales. Cette décision fait suite à une campagne électorale où la plupart des candidats, dont Bassirou Diomaye Faye, avaient dénoncé ces accords de pêche signés avec l’Union européenne.
Selon Mouhamed Sylla, chargé de communication de la Coalition nationale pour une pêche durable (Conaped), depuis la publication de la liste des bateaux autorisés à pêcher dans nos eaux territoriales, beaucoup de navires pirates étrangers et des pilleurs ont fui les eaux territoriales.
Ainsi, on note une recrudescence des prises au niveau de la pêche artisanale depuis la publication de ces listes, soutient-il.
De son côté, l’Union européenne refuse d’enfiler le corset du bouc émissaire pour les maux dont souffre le secteur de la pêche. Jean-Marc Pisani, l'ambassadeur de l’UE au Sénégal, a ainsi indiqué que les bateaux européens avaient un impact minime sur le secteur de la pêche au Sénégal.
D’après le plénipotentiaire, l’accord en vigueur depuis 2019, et qui doit expirer au mois de novembre prochain, entre l’Union européenne et le Sénégal, ne représente que moins de 1 % de la pêche au Sénégal.
Toujours selon M. Pisani, cet accord est soumis à un contrôle régulier des scientifiques et des experts sur un quota de 10 000 t/an au titre de l’accord de pêche. Les bateaux européens en pêchent 3 000, alors que la totalité des prises au Sénégal est de 400 000 t par an, a-t-il assuré. Surtout que, d’après lui, les Européens ne pêchent que les stocks excédentaires et seulement deux variétés que ne pêchent pas les Sénégalais, le thon et le merlu noir, a-t-il précisé.
En outre, pour l’ambassadeur de l’Union européenne, les coupables de la raréfaction des ressources sont à chercher du côté des bateaux-usines chinois, européens ou russes et aux 50 000 pêcheurs artisanaux sénégalais environ.
Les accords de pêche avec l’Union européenne, le bouc émissaire de la raréfaction de la ressource ?
Les accords de pêche signés en 2014 et renouvelés en 2019 prévoient des possibilités de pêche pour 28 thoniers senneurs congélateurs, 10 canneurs et cinq palangriers d’Espagne, du Portugal et de France, pour un tonnage de référence de 10 000 t de thon par an. Ils autorisent également la capture de 1 750 t de merlu noir par an pour deux chalutiers espagnols. La contrepartie financière annuelle de l’UE s’élève à 1,7 million d’euros (1,1 milliard F CFA) qui regroupe deux volets : droits d’accès aux eaux du Sénégal et soutien sectoriel au développement de la politique de pêche du Sénégal, notamment par l’amélioration du contrôle de la pêche, le développement de la recherche et de la collecte de données dans le domaine de la pêche et la certification sanitaire des produits de la pêche. Le montant des redevances supplémentaires dues par les armateurs est estimé à 1,35 million d'euros par an (877 millions F CFA), peut-on lire sur le rapport du Service de recherche du Parlement européen datant de 2020.
Cette bataille sur la responsabilité de la crise de la pêche constitue-t-elle un moyen pour le nouveau gouvernement d’augmenter les enchères concernant les futures négociations des accords de pêche ? Va-t-on vers une rupture totale des accords de pêche entre les deux entités ?
Pour Mouhamed Sylla, chargé de communication de la Coalition nationale pour une pêche durable (Conaped), avant toute renégociation ou rupture, il faudrait faire l’évaluation des accords de pêche. ‘’Il est important de faire cet inventaire pour la partie sénégalaise, dans la mesure où, dans ces accords, il y a beaucoup de clauses qui ne sont pas claires, notamment les prises accessoires ou tolérance. Les bateaux européens sont autorisés à pêcher le thon et le merlu noir, mais ils arrivent parfois qu’ils prennent d’autres poissons, mais le tonnage de ces prises reste encore inconnu. Par ailleurs, pour attraper des thons, ils utilisent des appâts vivants qui sont contraires aux pratiques d’une pêche durable’’, affirme-t-il.
Quant à la question de la préservation des ressources, le spécialiste des pêches préconise un appui à la recherche pour faire l’état des lieux des stocks et à partir de ces études, définir une politique de pêche qui se veut durable et pérenne. ‘’Il faut mettre en œuvre un certain nombre de mesures comme l’arrêt des licences de pêche pour les espèces surexploitées et remettre sur pied le bateau de recherche océanique qui est en panne de 2015, pour évaluer le stock des ressources halieutiques. Il faut aussi auditer toute la flotte industrielle et mettre des observateurs sur ces bateaux pour contrôler la pêche. Il faut aussi assurer des zones de pêche bien définies pour la mise en œuvre d’une pêche durable”, conclut-il.
Mamadou Makhfouse NGOM