Publié le 5 Sep 2024 - 12:31
ACCUSATIONS RÉPÉTITIVES DE SONKO CONTRE LA PRESSE

Ni alliée ni ennemie d’aucun politicien

 

Le Premier ministre ne rate presque jamais une occasion pour s’en prendre à la presse. Comme si la presse était responsable de tous les malheurs qu’il a vécus sur cette terre. Hier encore, Ousmane Sonko a trouvé le moyen pour s’en prendre aux journalistes, coupables, selon lui, d’être au service des responsables de l’ancien régime. Un classique utilisé par la plupart des politiciens populistes qui n’hésitent pas à exploiter les faibles de la presse pour conquérir ou conserver le pouvoir.

Pourtant, les médias ont eu à jouer un grand rôle dans sa longue marche vers les sommets de l’État. C’était dans les années 2013-2016 ou même bien avant, quand on ne lui connaissait que les statuts de syndicaliste et de fonctionnaire des impôts allant sur tous les plateaux, s’épanchant sur toutes les colonnes des journaux, notamment pour défendre son ancien collègue Tahibou Ndiaye, à l’époque poursuivi dans le cadre de la traque des biens mal acquis.

Méconnu du grand public, Sonko a existé grâce à la presse, jusqu’à sa radiation de l’Administration publique avec tout ce qui s’en est suivi. Une radiation largement commentée et décriée par les professionnels des médias ; ce qui a largement contribué à le propulser au-devant de la scène politique.

À l’époque, TikTok qui venait juste d’être lancée en Chine, était une illustre inconnue au Sénégal. Sur Facebook et Twitter, l’homme politique le plus suivi aujourd’hui n’existait presque pas. Grâce à sa bonne présence dans les médias, Sonko réussit à émerger aux élections législatives de 2017 et devient député avec moins de 40 000 voix.  

La haine des médias, un marketing politique qui marche

Grâce aux médias qui l’ont fait connaitre, Sonko était devenu, à la Présidentielle de 2019, l’un des grands favoris, selon les pronostics. Il en sortira troisième, derrière le vainqueur Macky Sall et le deuxième Idrissa Seck. Pour une première participation, c’était une prouesse saluée par beaucoup d’observateurs. Ainsi est né le phénomène, bien avant l’apparition des insulteurs qu’il cherche aujourd’hui à mettre en avant, en essayant de réduire la presse à sa plus simple expression. Le plus cocasse, c’est que le détracteur de la presse lui-même se rend compte qu’il est habitué des dérapages verbaux.

Face au personnel de la primature, il se lâche encore de manière abrupte : ‘’… Je n’ai pas lu de discours, je n’aime pas lire. C’est pourquoi je fais trop de… (il ne continue pas la phrase). À chaque sortie, on dit qu’il en a trop dit ou il n’en a pas dit assez.’’ Et puis il tente de se justifier : ‘’Mais je préfère dire les choses telles que je les ressens, dans un dialogue direct et franc’’, selon lui.  

Mais pourquoi donc cet acharnement sur la presse et les journalistes ? Non content de les asphyxier financièrement (suspension de tous les contrats de publicité avec les médias) et fiscalement, Sonko ne cesse de jeter l’opprobre sur les médias et leurs travailleurs, de façon politicienne et opportuniste.

Sur ce plan, l’homme n’a rien à envier aux plus grands populistes du monde. En France, Éric Zemmour en avait fait son sport favori. Présentant ses vœux aux journalistes en janvier 2022, à quelques encablures de la Présidentielle, l’ancien polémiste de CNews disait : "Vous êtes les hommes et les femmes les plus mal aimés de France…’’, lançait-il avant de poursuivre : ‘’Qui ne vous aime pas ? Le peuple, mes bons amis. C'est que le peuple a de la mémoire, de la jugeote et de la lucidité." Pour Zemmour, la presse est un service public qui passe son temps à ‘’cracher sur le contribuable au petit-déjeuner".

La même stratégie est également souvent utilisée par le Front national depuis les années 1980, avec Jean-Marie Le Pen, père de Marine Le Pen. En 2017, la fille Marine Le Pen lui emboitait le pas en accusant des médias d’être ‘’entièrement au service de Macron’’. Elle disait : "Dans cette élection, les médias ont choisi leur camp : ils font campagne de façon hystérique pour leur poulain."

Sur les traces de Marine Le Pen, de Bolsonaro, de Trump et de Zemmour

De la part des opposants, les attaques contre les médias sont devenues une stratégie non seulement pour conquérir le pouvoir, mais aussi pour le conserver. Au Brésil, le populiste Bolsonaro en a usé et abusé. Il n’a eu de cesse, même quand il était au pouvoir, d’invectiver, d’insulter et de menacer les journalistes. Un rapport de Reporters sans frontières avait d’ailleurs compilé ses différentes saillies contre la presse. Il était ainsi devenu la terreur des médias au Brésil.

Aux États-Unis, Donald Trump était également en guerre ouverte contre les médias, quand il était tout-puissant locataire de la Maison-Blanche. En 2018, plus de 200 groupes de presse ont publié un édito commun pour dénoncer ce qu’ils considéraient comme ‘’une guerre sale contre la presse libre’’. Sous le hashtag #EnemyOfNone (Ennemi de personne), lesdits médias répondaient à Trump qui les taxait "d'ennemie du peuple''. Une campagne initiée à l’époque par le ‘’Boston Globe’’, quotidien basé à Boston, pour dénoncer ‘’la multiplication des coups de boutoir du président américain contre les médias, qualifiant à l'envi de "fake news" tout organe de presse publiant des informations qui lui déplaisent’’, lit-on dans un article de France 24.

 La presse n’était pas seule dans son combat. Les défenseurs de la liberté de la presse avaient également joint leur voix pour fustiger les déclarations de l’homme le plus puissant du monde qui menacent le rôle de contre-pouvoir de la presse. Tout en saluant l’initiative, les intellectuels n’avaient pas manqué de relever ses limites et le risque que de telles réponses puissent servir la rhétorique des insulteurs de la presse.

Le grand dilemme, c’est de savoir si la presse doit continuer de subir ? Quelqu’un comme Ken Paulson, ancien rédacteur en chef du quotidien ‘’USA Today’’, disait : "Je ne crois pas que la presse puisse rester sans rien faire et subir. Elle doit se défendre lorsque l'homme le plus puissant du monde tente d'affaiblir le premier amendement." Le responsable au Musée de l’information ajoutait pour relativiser l’efficacité de la campagne de sensibilisation : "Les personnes qui lisent les éditoriaux n'ont pas besoin d'être convaincues. Ce ne sont pas elles qui hurlent [sur les journalistes] aux meetings présidentiels." 

Selon lui, face aux assauts de Trump, les médias doivent développer une campagne "marketing" plus large pour souligner l'importance d'une presse libre comme valeur fondamentale.  

Sur un autre registre, la sortie d’Ousmane Sonko, hier, aura le mérite de renseigner sur la toute-puissance de l’actuel Premier ministre. C’est dans la matinée qu’il a juré à ses employés qu’il n’y aura pas de motion de censure. Avec une assurance digne d’un véritable chef, il affirme avec force : ‘’Je vous assure qu’il n’y aura pas de motion de censure. Et le 12 (septembre), ces gens auront autre chose à faire que d’être députés à l’Assemblée nationale.’’

En attendant le 12 septembre, tous les autres vœux du Premier ministre ont été exaucés. Face aux personnels de la primature, il informe : ‘’Je peux vous donner la primeur que le président de la République va prendre aujourd’hui des décrets pour remercier les présidents de ces institutions et bloquer le fonctionnement pour qu’aucun centime de crédit ne puisse être dépensé dans le cadre de ces institutions.’’

En ce qui concerne la reddition des comptes, il met la pression sur le ministre de la Justice Ousmane Diagne et les magistrats.  ‘’La reddition des comptes, fulmine-t-il, va démarrer maintenant, cette semaine même et va prendre le temps qu’il faudra’’.

À entendre Sonko, tout serait déjà cuit. Il ne resterait qu’à procéder à l’arrestation des cibles. ‘’Les gens ne peuvent pas se permettre n’importe quoi sur le foncier, sur le foncier bâti, sur les marchés publics, les marchés classés secret défense, dans tous les domaines, amasser des milliards et penser qu’ils peuvent s’en sortir indemnes’’, a-t-il insisté.

C’est pourquoi, souligne-t-il, le régime a pris des mesures conservatoires pour que certains ne puissent pas sortir du pays. ‘’Il y a trois ou quatre qui ont pu s’échapper, mais s’il faut aller les tirer par les orteils ils reviendront. Nous prendrons toutes les dispositions pour que justice soit faite et que l’argent qui appartient au peuple soit ramené. Dans les jours à venir, c’est par dizaines qu’ils devront rendre compte’’, requiert le Premier ministre. 

MOR AMAR

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