Les limites de la médecine légale
Comment deux médecins légistes peuvent-ils en arriver à des conclusions différentes sur un même dossier ? Deux choses peuvent l’expliquer, selon le docteur Amadou Sow, spécialiste de la médecine légale. De l’avis de l’expert, cela peut résulter soit d’un manque de compétence, soit de la performance des moyens des uns et des autres.
C’est une situation qui peut paraitre rocambolesque pour le profane, mais pour le docteur Amadou Sow, Médecin légiste, il ne faudrait pas s’alarmer outre mesure. Il déclare : ‘’Ce sont des choses qui peuvent arriver dans la médecine en général, et la médecine légale ne fait pas exception. C’est vrai que quand c’est dans notre domaine, ça peut être source de polémique, du fait de la sensibilité de ce métier. C’est également pourquoi il faut que le médecin légiste soit excellent et qu’il dispose de tous les moyens nécessaires pour exercer son travail. En cela, j’estime que ce qui s’est passé n’est pas un coup pour la médecine, ça pourrait être un mal pour un bien. Les questions qu’il faut plutôt se poser, c’est qui a fait les expertises ? Leur niveau ? Leur background ? Dans quelles conditions les expertises ont été faites ? Voilà les bonnes questions qu’il faut se poser.’’
La médecine légale, affirme le spécialiste, comme toutes les autres branches de la médecine, n’est pas une science si exacte que certains peuvent le penser. ‘’On ne peut pas dire que c’est une science exacte, dans la mesure où ce sont des humains qui interprètent des faits. Le médecin légiste est un spécialiste qui observe des lésions et qui fait des appréciations. Ce qui est invariable, ce sont les faits, les lésions objet de l’observation ; elles ne varient pas. Mais les conclusions tirées par les experts peuvent être différentes. Tout dépend des compétences de l’expert et des moyens techniques et technologiques dont il dispose pour faire son appréciation. Voilà les deux éléments essentiels qui peuvent mener à certaines situations’’, explique le Dr Sow.
Pour lui, ce n’est même pas la première fois que cela arrive. ‘’Ce sont des situations que l’on a déjà vues aussi bien au Sénégal que dans d’autres pays. Au Sénégal, il y a quelques années, deux médecins étaient arrivés à deux conclusions différentes dans la mort d’un élément des forces de défense et de sécurité. Ce sont des choses qui peuvent arriver, même si c’est rare. Ce qui est sûr, c’est qu’entre les deux, il y en a une qui n’est pas exacte. Mais comme je l’ai dit : deux choses peuvent l’expliquer. Soit c’est la compétence du médecin qui est en cause, soit la performance des outils à sa disposition.’’
Dans l’affaire de la mort d’Idrissa Goudiaby à Ziguinchor, le procureur a annoncé récemment une troisième expertise pour savoir où se trouve la vérité ; lequel des experts a raison, lequel a tort. Pour le légiste, c’est tout à fait normal. ‘’C’est quelque chose de très normal, car lui n’est pas un expert. Il a consulté deux hommes de l’art qui ont donné des versions contradictoires, c’est tout à fait normal qu’il requière une troisième expertise qui pourrait effectivement permettre de faire la lumière, dans le sens soit de donner raison à une partie ou bien à aucune des deux. Tout dépend. L’essentiel est de faire en sorte que le troisième, s’il doit y en avoir, que cela apporte une plus-value’’.
Manque de compétence ou de moyens
Toutefois, selon le médecin légiste, dans certaines situations, en analysant les rapports, un expert peut avoir une idée sur laquelle des deux expertises se rapproche le plus de la réalité. ‘’Dans le rapport, indique-t-il, il est normalement donné un certain nombre d’indications basées sur les observations qui permettent à tout expert d’avoir une lecture des faits. Ainsi, en voyant les rapports, un médecin légiste peut dire de manière objective que tel s’est conformé le plus aux exigences de la médecine légale. L’autre peut se tromper de bonne foi. Je le dis et je le répète, les médecins sont des humains et ils peuvent se tromper. Par exemple, dans la médecine en général, on voit des praticiens se tromper de diagnostic ; ils peuvent diagnostiquer un rhume, alors qu’en réalité, le patient souffre d’une grippe. Mais cela ne suscite pas pour autant le tollé’’.
Dans tous les cas, cette divergence au niveau des rapports d’expertise n’est pas pour ramener la sérénité dans ces dossiers politico-judiciaires. De sérieuses suspicions ont, ces derniers jours, émaillé les dossiers concernés. Certains n’ont pas manqué d’indexer la mauvaise foi de l’un des spécialistes. Ce qui pose la question de la procédure de désignation des experts. Le docteur Amadou Sow apporte des éclairages : ‘’L’expert médico-légal peut être désigné sur la base de la liste des experts agréés par un tribunal. Souvent, dans la pratique, l’autorité judiciaire demande l’avis de l’Ordre des médecins pour choisir, avant d’entériner la proposition faite par l’ordre. S’il doit y avoir contre-expertise également, c’est dans les mêmes conditions, en principe. Dans le dossier en question, tout s’est passé dans l’ordre normal des choses. Un médecin a été désigné pour faire l’autopsie ; une partie n’a pas été d’accord et a demandé une contre-expertise autorisée par le procureur. Laquelle a livré des conclusions différentes. Le procureur va aviser de la conduite à tenir, face à ces deux rapports différents.’’
À propos de la responsabilité pénale des uns et des autres, le spécialiste explique : ‘’En médecine légale comme dans la médecine en général, il y a des conditions spécifiques pour engager la responsabilité du professionnel. D’abord, il faut une faute, un dommage et qu’il y ait un lien de cause à effet entre les deux. Auquel cas, celui qui s’estime lésé peut porter plainte. En tout état de cause, s’il y a infraction, toute personne ayant intérêt à agir peut valablement le faire’’.
MOR AMAR