‘’Le problème, avec nos artistes, c’est qu’ils manquent de professionnalisme’’
La Société sénégalaise du droit d’auteur et des droits voisins (Sodav) est dans une nouvelle dynamique. Tous les contrats anciennement paraphés vont être revus, dans l’intérêt des créateurs. De même, tous les exploitants d’œuvres des artistes devront absolument verser des redevances, au risque de s’exposer à des poursuites judiciaires. La Sodav se donnera également le droit d’auditer les systèmes de reporting des plateformes de diffusion. Mais toutes ces mesures ne seront pertinentes, selon le Dg Aly Bathily, que si les artistes et autres créateurs s’inscrivent dans la voie du professionnalisme. Entretien !
Le Bureau sénégalais du droit d’auteur (Bsda) a cédé la place à la Société sénégalaise du droit d’auteur et des droits voisins (Sodav). Quelle est la philosophie de la nouvelle structure ?
Il y a une nouvelle démarche qui repose essentiellement sur quelques critères dont la performance, la transparence et la bonne gouvernance. Dès notre prise de fonction le 6 octobre 2016, nous avons fait de ce triptyque notre credo. Quand je parle de performance, je pense qu’en ce qui constitue l’essence de notre corps de métier, c’est-à-dire la collecte des fonds, la redistribution et la maîtrise des charges, il y a des améliorations substantielles. Autant les collectes ont augmenté, de même que les redistributions, autant les charges sont en train d’être compressées. Je pense que dans tous les pays du monde, ce sont ces critères-là qui déterminent la bonne marche d’une société de gestion collective.
En termes de transparence, l’Assemblée générale est en soi un exemple. En ce qui nous concerne, nous nous sommes imposés de toujours rendre publics nos comptes. De même, nos rapports d’activités sont régulièrement publiés, y compris par voie de presse avec, à la clé, une conférence pour permettre aux journalistes de poser les questions qu’ils souhaitent poser après lecture du bilan financier, indépendamment du rapport de gestion. Tout ceci pour souligner et dire la logique de transparence dans laquelle nous nous sommes inscrits depuis la mise en place de la Sodav. Dans le mode de désignation des dirigeants sociaux et du directeur que je suis, je pense que tout a été clair.
En dépit de tout, il est certain que nous serons toujours critiqués. Mais, à mon avis, ce n’est pas une mauvaise chose ; les critiques sont nécessaires, car elles nous permettent de nous parfaire et d’aller de l’avant. Nous devons alors les entendre et intégrer les points de vue pertinents.
Cela dit, au niveau international, dans le rapport mondial sur les collectes, à paraître dans quelques semaines, il y a un focus sur le Sénégal qui témoigne de la qualité du travail que nous sommes en train de faire.
Au droit d’auteur, sont venus s’ajouter d’autres droits. Concrètement, quelles questions cela soulève-il ?
Il faut préciser qu’avec la loi de 2008, le législateur sénégalais a reconnu d’autres catégories de droit en plus du droit d’auteur. Ce sont les catégories qui relèvent des droits voisins et d’autres qui, certes existaient, mais de manière théorique. Il y a parmi ces droits celui qu’on appelle le droit de suite, qui est une redevance reconnue aux artistes plasticiens avec un taux de 5 %. Et contrairement à d’autres pays, chez nous, ce taux n’est pas régressif, il est fixe. Il y a aussi la rémunération sur la copie privée. Et quand vous verrez le rapport sur les collectes mondiales, les trois sociétés qui sont en tête sont celles des pays où on a appliqué la rémunération sur la copie privée. Au Sénégal, une commission est à fond dans ce travail. Pour les droits voisins, la Sodav est en train de réviser ses contrats généraux de représentation dans lesquels elle va introduire la clause ‘’rémunération équitable’’.
Et nous sommes sur une bonne lancée. Au-delà, il y a des catégories qui n’ont jamais perçu de droits, alors que la loi leur en donne droit. C’est une injustice que nous sommes en train de corriger. Ce sont, par exemple, les droits de représentation télévisuelle, les droits des arts visuels, etc. Si vous allez dans les hôtels, tous les tableaux qui y sont affichés doivent être rémunérés au même titre que la musique qui y est diffusée. Pour le moment, nous avons juste pris un taux arbitraire de 5 % pour payer les auteurs d’arts visuels. Nous sommes en train d’identifier les bénéficiaires et, incessamment, nous allons les contacter pour, au cours d’une conférence de presse, leur donner leur dû et sensibiliser tous ceux qui exploitent indûment les œuvres des artistes.
De quels moyens de contrainte disposez-vous pour amener les exploitants à payer ?
Avant même d’en arriver au moyens de contrainte, nous faisons beaucoup de communication et de pédagogie. Il s’agit d’expliquer à ceux qui exploitent les œuvres des artistes le fondement légal de cet acte de perception. Il faut qu’ils comprennent aussi que c’est un acte citoyen qui contribue à la bonne marche de la société. Nous sommes à l’ère de la mondialisation et le secteur des industries culturelles est un véritable fer de lance pour le développement de nos pays. Cela dit, après avoir expliqué et fait œuvre de pédagogie, nous sommes amenés, en désespoir de cause, à user des voies que la loi nous autorise. Bref, la piraterie et la contrefaçon sont criminalisées, et il y a tout un arsenal juridique qui va dans ce sens.
Il est bon, par ailleurs, de souligner qu’en ce qui concerne les sociétés de téléphonie mobile, nous sommes parvenus à nouer des accords. Incessamment, les paiements vont tomber, notamment en ce qui concerne les trois sociétés de téléphonie qu’il y a au Sénégal. D’ailleurs, il faut préciser que ces trois sociétés en question sont en train de signer des conventions avec la Sodav.
Certains responsables de radio et télévision ont toujours refusé de payer parce que, disent-ils, la Radiodiffusion télévision sénégalaise (Rts) ne s’acquitte pas elle-même de ses obligations…
(Il coupe) A propos des radios qui ne paient pas, il ne faut pas prendre comme prétexte le fait que la Rts ne paie pas pour ne peut s’acquitter de ses obligations. C’est ce que j’appelle de la malhonnêteté. Et Il faut comprendre, par ailleurs, que la Rts est en train de s’acquitter de ses devoirs et des engagements qu’il a pris par la voix du président de la République. Notamment le paiement des arriérés à hauteur d’1 milliard de francs Cfa.
La Rts a également paraphé des moratoires qu’elle s’engage à respecter. Mieux, nous allons revenir sur certains contrats. Maintenant, qu’une personne ne paie pas et veuille brandir la Rts comme prétexte, cela ne peut pas prospérer, en ce qui nous concerne. Quiconque ne s’acquitte pas de ses obligations, devra forcément rendre compte. Radio publique et privée, ce n’est pas mon problème. Je mets tous les exploitants sur le même pied et j’applique les mêmes principes de tarification par rapport au budget et au chiffre d’affaires de chaque société. Et c’est sans doute à ce niveau que les montants vont différer. Le débat radio publique-radio privée, c’était du temps du Bsda (Bureau sénégalais du droit d’auteur, Ndlr). Pour moi, c’est terminé tout ça.
Si la transparence est votre credo, qu’est ce qui explique donc les nombreuses contestations d’artistes, dont certains disent rester plus de 5 ans sans percevoir leur dû ? Où, s’ils le perçoivent, c’est une somme modique qui leur est versée ?
Votre question pose la problématique de la répartition. Il faut savoir que les sociétés de droit d’auteur ne sont pas un système de redistribution sociale. Le principe, c’est que chacun obtienne ce qui lui revient de l’exploitation de ses droits issue des retombées et avantages découlant de l’exploitation de ses œuvres. Cela dit, que quelqu’un dise qu’il est resté 5 ans sans rien percevoir, cela ne me gêne pas. Ce n’est pas parce que vous avez une carte de membre de la Sodav que, forcément, elle vous doit quelque chose. La Sodav ne choisit pas qui payer ou qui ne pas payer. Nous recevons le reporting de ceux qui exploitent les œuvres et nous nous fondons sur cela pour payer.
Il est clair que si vous êtes restés 5 ans sans que votre répertoire ne soit exploité, évidemment, vous n’aurez rien. S’il est exploité à des sommes modiques, nous vous paierons en conséquence. Il faut que ceux-là qui se plaignent essaient d’abord de se remettre en cause et de travailler. Parce qu’autant vous êtes resté 5 ans sans rien percevoir, autant en 5 ans, certains ont obtenu des sommes importantes, parce qu’ils ont bien voulu se mettre dans une dynamique de performance. Ensuite, il faut que les gens essaient de s’adapter aux nouveaux modèles économiques. Le numérique, les nouvelles technologies, etc., offrent un champ illimité de possibles qu’il faut explorer. Cela dit, nous avons des artistes et des créateurs bourrés de talents et qui sont plein de créativité. Et dans tous les secteurs.
Oui, mais il reste que la majorité peine souvent à s’imposer au niveau international…
Le problème principal, c’est le manque de professionnalisme. Et pour y faire face, il faut que les gens soient assez outillés en entreprenariat culturel. C’est bien de pouvoir créer des contenus de valeur, mais pour que la qualité puisse ressortir et pour que vous puissiez les commercialiser et créer de la valeur comme dans une véritable industrie, il faut comprendre quand même le schéma de monétisation. J’ai parlé tantôt de l’usage des réseaux numériques, c’est un aspect. Mais il y a un autre problème. Je me dis aussi qu’il faut d’abord une reconnaissance légale, juridique des métiers de la culture, des métiers de la profession culturelle.
D’où l’urgence et la nécessité d’adopter le projet de loi sur le statut de l’artiste. Pour cela, Il faut qu’on essaie de bien réfléchir à des dispositions très pertinentes et avant-gardistes. A ces deux difficultés, vient se greffer une troisième : celle d’accéder au crédit. Il ne faut pas qu’on se leurre ; pour qu’il y ait une industrie culturelle performante, il faut aussi que les intervenants dans ce secteur puissent avoir accès au crédit.
On parle maintenant de ressources énergétiques et les banques ont ouvert toutes leurs possibilités aux intervenants dans ce secteur. Pourquoi ne pas faire la même chose avec les acteurs de l’industrie culturelle ? Leur faire confiance et leur faciliter l’accès au crédit ? Nous partons, à notre niveau, sur un plan d’action visant à mettre en place un système de management et de gestion des droits d’auteur et des droits voisins assez incitatif, assez sécurisant, assez transparent. Et je pense que sur cette lancée, en tout cas, on fait de notre mieux. Je précise que sous ce rapport, notre pays est très respecté au niveau international, pour une société qui vient de naître.
En parlant des plateformes de diffusion, vous aviez fait comprendre que la Sodav se fonde sur le reporting qu’elle reçoit pour effectuer les paiements. Comment être sûr de la fiabilité de ces fiches ?
Il est vrai que c’est problématique, de ce point de vue, et nous en sommes conscients. C’est la raison pour laquelle nous souhaitons que nos techniciens puissent aller auditer directement les systèmes de reporting. Le contrôle n’exclut pas la confiance, comme on dit, et il faut, de temps en temps, qu’on puisse aller vérifier qu’effectivement les reportings qu’on nous donne sont exactement conformes à ce qui est dans leur base de données. Même si, je le précise, Il ne s’agit nullement de remettre leur crédibilité en cause. Nous sommes dans des rapports professionnels, nous avons des mandats et donc il faut qu’on s’en acquitte.
En ce qui concerne les plateformes de vente en ligne, il y en a beaucoup. La plupart sont en train de discuter, de négocier des contrats à signer. Nous allons d’ailleurs faire un communiqué pour inviter tout le monde à se rapprocher de nous. Il serait plus facile, pour les exploitants, de donner toutes les conditions d’exploitation afin qu’on puisse leur faire la tarification qui sied.
Pour revenir sur les sociétés de téléphonie mobile, on se réjouit au moins que les trois opérateurs nationaux aient accepté de se conformer auprès de la Sodav. Mais après plusieurs années d’exploitation, forcément, on va renégocier certains contrats. Les conditions d’exploitation ont changé, beaucoup de choses ont changé et un contrat n’est pas statique, il est dynamique. A un moment donné, il faut l’adapter à la réalité actuelle. Ces sociétés ont créé de nouveaux services, mis en vente de nouveaux produits. Tout cela, il faut le prendre en compte. Leurs pratiques tarifaires aussi ont évolué et tout ceci participe des éléments qui font qu’un contrat puisse être résilié. Il est important que ces sociétés comprennent que dans les nouvelles clauses, il faudra que la Sodav puisse avoir la possibilité d’auditer directement leurs systèmes.
FELIX NZALE