Tous Coupables!
La crise dans laquelle patauge le système universitaire sénégalais a des racines très profondes. Presque tous les gouvernements qui se sont succédé au pouvoir se sont cantonnés dans des solutions superficielles et simplistes s’ils n’ont pas reculé face à la mobilisation des étudiants.
L'on ne peut évacuer la responsabilité des élites politiques dans l’instrumentalisation des luttes estudiantines. Sur ce registre, le régime d’Abdou Diouf s’est toujours distingué par sa propension à imputer à l’opposition (surtout à Abdoulaye Wade) la responsabilité de la généralisation de la violence dans le campus de l’UCAD. Les pouvoirs publics actuels semblent s’inscrire dans cette logique de diabolisation et de ''bouc-émissairisation'' au lieu d’admettre leur propre responsabilité dans la crise actuelle. Les étudiants ne sont pas non plus exempts de reproches dans le climat de terreur prévalant à Dakar, à Saint-Louis comme à Ziguinchor et dans la persistance de la crise universitaire.
Le niveau de violence observé autant de la part des étudiants que des forces policières n’est guère rassurant. Il devrait interpeller l’ensemble des acteurs du système universitaire, des autorités religieuses, de la société civile. Ces acteurs devraient davantage s’impliquer dans la restauration du dialogue et de la communication entre les étudiants et le gouvernement. Dans le passé, devant des situations de crise sociale, syndicale ou scolaire, des personnalités charismatiques et unanimement respectées comme Serigne Abdou Aziz Sy Dabakh n’hésitaient pas à s’activer dans la médiation pour apaiser la tension (comme l’atteste sa fameuse expression ''Nañu tappe xol yi''.
Qu’attendent aujourd’hui les pacificateurs et les médiateurs pour amener les organisations estudiantines et le gouvernement à rétablir les fils du dialogue ? Il ne fait pas l'ombre d'un doute qu'aujourd'hui, rares sont les personnalités qui ont l’aura, la légitimité, le respect et la force de persuasion de Dabakh. Néanmoins, les figures religieuses (musulmanes comme chrétiennes) et coutumières ainsi que la société civile doivent assumer pleinement leur rôle dans l’éradication de la violence.
Qui s’est incrustée durablement dans les campus. Faute de quoi l’escalade de la violence risque de déboucher sur des conséquences désastreuses pour un système universitaire fortement ébranlé par l’ensemble des maux qui ont été diagnostiqués lors de la Concertation nationale sur l’avenir de l’enseignement supérieur (CNAES). Ces goulots qui étranglent l'enseignement supérieur ont pour noms : faiblesse des budgets, effectifs pléthoriques, pénurie d’enseignants, infrastructures délabrées, violence endémique, nombreuses grèves cycliques, gaspillage des ressources publiques, taux d’échec élevés, ampleur du chômage postdiplôme, etc.
Parmi les recommandations formulées par la CNAES, deux mesures-phares continuent de cristalliser la colère des étudiants et de nourrir leur sentiment d’avoir été ''floués'' par un régime qu’ils disent avoir contribué à élire. Il s’agit de l’augmentation des frais d’inscription et de la remise en cause du principe de la ''généralisation des bourses et des aides''. La hausse substantielle des frais de scolarité peut être assimilée à un choc traumatique pour les étudiants habitués pendant de longues années à un taux resté inchangé (4 900 F Cfa).
Elle a nourri, cette hausse, une vague de contestations et de violences au cours de l’année 2013 chez des étudiants qui ont tout tenté pour faire avorter l’application de cette mesure. Malgré l’ampleur de leur mobilisation, le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche a maintenu le cap. Mary Teuw Niane a finalement réussi là où ses devanciers à l'enseignement supérieur ont échoué. En effet, tous les gouvernements passés ont toujours nourri le projet de hausser les droits d’inscription sans jamais avoir eu le courage de passer aux actes.
Le gouvernement actuel aurait dû faire des efforts sur la question ultrasensible et prioritaire des bourses. En les payant régulièrement pour éviter toutes les perturbations enregistrées cette année et qui portent de lourdes menaces sur l’avenir du système universitaire sénégalais. L'autre revendication des étudiants qui a mis le feu aux poudres ces jours derniers, c'est celle relative ''au Master pour tous''. Sur ce sujet, le gouvernement et le SAES ont accordé leurs violons pour dire que le ''Master pour tous'' n'est valable dans aucune université du monde. Quoi qu'il en soit, le futur est parsemé d’incertitudes. La possibilité d'une année invalide ou blanche devrait être intégrée aujourd’hui.
Avec la stabilité notée cette année dans le cycle secondaire pourtant habitué aux longues grèves des enseignants ou des élèves, que faire des 30 000 bacheliers qui risquent de frapper, l’année prochaine, aux portes des universités? Certes de nombreux efforts ont été faits dans la densification de la carte universitaire, mais ceux-ci sont dérisoires devant l’augmentation exponentielle de la population scolaire, effet direct d’une croissance démographique rapide et non maîtrisée. Tout compte fait, il urge de prendre le taureau par les cornes et de régler une bonne fois pour toutes la crise universitaire. Il y va de la survie de notre enseignement supérieur.
Ibrakhima Khalil Wade