Le dialogue de sourds
Selon des sources autorisées de la mouvance présidentielle, il n’y aura ni couplage ni dissolution de l’Assemblée nationale par le président de la République Macky Sall. S’il n’y a pas de consensus, le projet de révision de l’article 87, pensé surtout pour le prochain président, sera retiré.
Le sujet a fait couler beaucoup d’encre et de salive. De nombreuses voix se sont élevées ce week-end pour protester contre ce qu’elles considèrent comme des velléités d’affaiblir la représentation nationale. En première ligne de ce combat, il y a l’ancien président de groupe parlementaire majoritaire, le libéral Doudou Wade.
Selon lui, ‘’la modification de l’article 87 comme prévu par le projet de loi est une catastrophe… Avec cette nouvelle rédaction, le président de la République a droit de mort sur l’Assemblée nationale. Ainsi, il lui est loisible de dissoudre l’Assemblée nationale et d’organiser des élections législatives sans coup férir, tous les 100 jours’’, dénonce-t-il énergiquement.
Pour éviter un tel scénario, l’éminent parlementaire en appelle à un ‘’sursaut d’orgueil collectif pour refuser le dictat du président de la République.’’ Dans cette perspective, M. Wade, qui dit ignorer les motivations de l’actuel chef de l’État, préconise un amendement libellé comme suit : ‘’Il ne peut être procédé à une nouvelle dissolution que 12 mois après ces élections.’’
Embouchant la même trompette, le député de Yewwi Askan Wi, Guy Marius Sagna, s’est voulu on ne peut plus catégorique sur les supposées motivations du président Macky Sall. À le lire, et il n’est pas le seul à soutenir une telle thèse, c’est comme si l’actuel président cherchait à dissoudre l’actuelle législature. ‘’Un président de la République qui part dans sept mois et qui cherche à dissoudre l’Assemblée nationale quand il veut ne part pas vraiment’’, peste-t-il dans un commentaire. Dans la même veine, le mouvement Frapp/France dégage, dont il est le leader, a dénoncé une volonté du président Sall de dissoudre l’Assemblée et de coupler les Législatives à la prochaine Présidentielle.
Cette levée de boucliers fait suite à la publication du projet de loi portant révision de la Constitution, qui doit être soumis aux parlementaires aujourd’hui. Dans l’exposé des motifs, l’Exécutif informe : ‘’Pour répondre aux nécessités de rationalisation du calendrier électoral et d’une meilleure harmonisation des rapports entre le pouvoir Exécutif et le pouvoir Législatif, il est procédé à la suppression de la période pendant laquelle il ne peut être procédé à la dissolution de l’Assemblée nationale.’’
Le nouvel article 87 était ainsi libellé comme suit : ‘’Le président de la République peut, après avoir recueilli l’avis du Premier ministre et du président de l’Assemblée nationale, prononcer, par décret, la dissolution de l’Assemblée nationale.’’ L’alinéa 2 précise : ‘’Le décret de dissolution fixe la date du scrutin pour l’élection des députés. Le scrutin a lieu soixante jours au moins et quatre-vingt-dix jours au plus après la date de publication dudit décret.’’
Membre du pôle des représentants de la société civile au Dialogue politique, Moundiaye Cissé tente de relativiser, non sans souligner que le sujet a été abordé dans le cadre des discussions au sein du Comité de suivi. D’emblée, il précise : ‘’D’abord, il faut relever que dans le cadre des discussions, cette disposition a été certes abordée, mais ce n’est pas pour l’actuel président qui n’est pas candidat en 2024. Cette disposition, c’est pour le prochain président de la République.’’
Ainsi, pour le directeur exécutif de l’ONG 3D, il y a eu peut-être un problème de communication et quelques insuffisances dans la formulation de la révision. ‘’Le problème est que si la disposition ne change pas, le prochain président, je souligne qu’on ne le connait pas encore, risque d’avoir des difficultés, s’il veut dissoudre l’Assemblée nationale. Si la durée des deux ans est respectée, il ne pourra le faire qu’au mois de septembre et tout le monde sait que ce sera très compliqué, parce qu’on est en plein hivernage, en plus de la préparation du marathon budgétaire. Or, il y a un besoin réel de rationalisation du calendrier électoral, faire en sorte que les Législatives et la Présidentielle se tiennent la même année. C’est juste cette double préoccupation qui a été à l’origine de ce projet’’, informe le membre du Collectif des organisations de la société civile pour les élections.
Moundiaye Cissé tient à souligner : ‘’Ce n’est pas pour le président de la République sortant, mais pour son successeur que nous ne connaissons pas encore.’’
Seulement, même si le projet était de donner des outils au prochain président, tel qu’il a été rédigé, un président de la République, qui qu’il puisse être, peut dissoudre à tout moment l’Assemblée nationale, remettre en cause la volonté du peuple. Ce qui a fait l’objet de vives controverses.
La majorité coupe l’herbe sous le pied des détracteurs du projet
Alors que le débat enflait, la mouvance présidentielle, elle, poursuivait les échanges. Aux dernières nouvelles, il y a de fortes chances que la disposition polémique (article 87) soit ôtée du projet de révision à présenter aujourd’hui à l’hémicycle.
Selon nos sources, deux hypothèses sont possibles à l’Assemblée nationale : soit le projet sera purement et simplement retiré, soit le projet sera maintenu, mais avec un amendement qui fixe à un an la période durant laquelle l’Assemblée ne pourra pas être dissoute.
Dans tous les cas, renseignent nos interlocuteurs, il n’est pas dans l’esprit du président ni de dissoudre ni de coupler les élections législatives et la Présidentielle. ‘’Il n’y aura pas de couplage. Nous allons discuter avec les députés pour avoir un texte consensuel’’, souligne un de nos interlocuteurs.
Mor AMAR