Journaliste ou politicien embusqué
Ce n’est pas que le journaliste n’a pas droit de faire de la politique ou que sa profession lui interdise d’avoir un engagement dans un parti politique, dans telle organisation, association… Le défi sera de rester ce qu’il est professionnellement sans renier ses engagements. Le pire serait de mettre son appartenance professionnelle au service de la politique tout en cachant la deuxième derrière la première. La page ‘’Médias’’ de Rfm a consacré son édition de la semaine à ces journalistes militants ou sympathisants de formations ou de causes politiques en se cachant derrière le journalisme. Sans vouloir s’identifier.
Il y en a qui se déportent sur les réseaux sociaux comme Facebook, transmettent des messages au profit de personnes politiques. Et on en voit de toutes (ou presque) les factions et obédiences : karimistes, khalifistes, rewmistes… Ils se cachent à peine pour peu qu’on puisse les considérer comme menant un militantisme embusqué ou clandestin ou semi-clandestin. ‘’Certains journalistes sont des politiciens déguisés’’, clame El Hadj Kassé, ministre conseiller du président de la République et ancien directeur général du quotidien national ‘’Le Soleil’’ (cité par le portail Seneweb.com, 21 février 2017).
Un beau jour, à l’avènement au pouvoir d’un homme politique ou d’un parti, derrière eux ou à leurs côtés, on remarque un ou des journalistes dont on se convainc qu’ils avaient toujours parti lié avec ses compagnons qui ne sont donc pas si nouveaux que cela.
La profession de journaliste n’est pas incompatible avec la politique… La difficulté, c’est être l’un et l’autre avec honnêteté, intégrité avec ses confrères, loyauté à son organe de presse…
De célèbres journalistes ont été militants politiques sans que leur engagement ait déteint ni influencé leur rapport honnête et professionnel à l’information équilibrée due au public. Sans même que cela se devine. Alors directeur général du quotidien gouvernemental ‘’Le Soleil’’, le mythique Bara Diouf était membre du Bureau politique du Parti socialiste et siégeait à cette instance au titre de ses fonctions directoriales. Cinquante-huit ans plus tard, son lointain successeur Yakham Mbaye est militant de l’Alliance pour la République, parti au pouvoir. Sa nomination a été accueillie ici et là par un scepticisme à l’idée qu’il mettrait le journal au service de la propagande de son parti. Et c’est là que sont attendus les journalistes qui rédigent au quotidien ce journal. Doivent-ils, peuvent-ils assister de manière passive à un dévoiement de la ligne philosophique de l’organe de presse dont la vocation est de ‘’visibiliser’’ l’action du gouvernement ? C’est là la difficulté.
En 2016, les journalistes de la chaîne de télévision française ITélé durent faire quelques longs jours de grève contre la nouvelle politique de la direction qui tentait de faire de chacun d’eux un publiciste au détour de son travail de journaliste. Nous avons consacré deux numéros de cet ‘’Avis d’inexpert’’ à cette stratégie instaurée par des responsables d’organes de presse sénégalais commercialisant la couverture par leur média de manifestations jugées plus proches de l’activité communicationnelle que de l’information pure.
Le journaliste peut faire de la politique, mais rester journaliste, quoi qu’il arrive. Que cet engagement professionnel ne serve pas à masquer des compromis et des compromissions occultes. Un jour, quand accèderont au pouvoir ceux au nom de qui ils se battent aujourd’hui, on découvrira qui ils sont ; peut-être que d’aucuns oublieront ce que ces tireurs embusqués ont eu à faire, mais certaines personnes du public n’auront pas la mémoire courte. Attention ! Le public vous suit, vous écoute, vous lit…
‘’Le politicien qui se cache derrière le métier’’, s’est exaspéré un membre de l’APR contre Pape Alé Niang à la chronique incisive et sans concession, épinglant souvent le régime Apr.
‘’Individuellement, tout journaliste a le droit d'avoir ses sympathies politiques, d'adhérer personnellement à une idéologie, soutient Christian Lionet, cité par le journal haïtien ‘’Le Nouvelliste’’ (03-11-2005). Mais ce droit fait partie de son domaine privé. Il doit s'interdire, dans l'exercice de sa profession, tout prosélytisme au service de cette idéologie’’.
‘’On ne peut pas être journaliste et militant politique, ou militant idéologique dans l'exercice de sa profession’’, soutient Lionet qui estime que ‘’l'engagement politique public, qui est le droit de tout citoyen, est incompatible avec le journaliste qui couvre le champ politique’’.
Tout dépend du contexte, rétorquent d’autres journalistes pour qui l’engagement du journaliste pour combattre une dictature est bel et bien concevable. Et une fois vaincue la dictature, le journaliste engagé retournerait-il à ‘’l’orthodoxie’’ ?