Très casanière, la presse sénégalaise !
L’information intéressante n’est pas forcément catastrophiste. C’est cette vérité que le président de la République, lors d’une rencontre avec trois groupes de presse, en marge d’une tournée économique à Kaffrine, a voulu rappeler à la presse, le 16 avril dernier. Une escarmouche qui survient en Casamance par ces temps d’accalmie dans le conflit et des négociations ultrasecrètes à l’étranger, n’est pas synonyme de retour aux hostilités armées. « Je vous demande, à vous la presse, d'être très responsables et lucides dans le traitement de ces questions. Vous ne verrez jamais des images de décapitation sur Cnn ou France 24», a dit le président Sall.
Ça sonne comme un appel à cette sorte de consensus patriotique auquel s’est astreinte la presse américaine qui refuse désormais de montrer du sang ou des morts américains. C’est cela qui est, sans doute, à l’origine du « journalisme embarqué » (lesembedded) sur les théâtres d’opérations militaires ; des reporters convoyés par des militaires qui ne leur montrent que ce qu’ils « doivent » voir. « Ku la abbal gët… » (On ne verra que ce que voudra qui vous prête des yeux), selon le dicton wolof. C’est cela, aussi, un des viatiques de la guerre du Vietnam (1955-1975) que les spécialistes accusent la presse d’avoir, en parti, contribué à faire perdre à leur pays ; une débâcle qui fut d’abord politique avant d’être militaire.
Il faut certes parler de la Casamance, mais non monter en épingle toute situation réelle qui y prévaudrait. Un traitement avec recours à des « spécialistes » du genre « dakarologues en sénégalologie » qu’aiment railler les géniaux parodistes de « Diagaty Xibaar » de Rfm. Certaines rodomontades (du reste, sujettes à caution) de certaines figures indépendantistes du Mfdc, bien au chaud à leur exil doré par rapport aux conditions spartiates du maquis irrédentiste, ne méritent pas de figurer en une de journaux écrits ou parlés. Quand l’information est avérée certes ; en revanche, son traitement et sa diffusion sont un choix responsable ; cette responsabilité dont doit toujours s’éclairer la profession de journaliste. Ce n’est pas être réactionnaire que d’approuver l’appel des journalistes sénégalais à la précaution face à des déclarations faisant vantant la force militaire de la rébellion en Casamance. La sécurité nationale comprend aussi celle des journalistes eux-mêmes. C’est aussi simple que cela.
« Le journalisme est devenu, dans ce pays, le bassin versant de tous eux qui ont échoué dans la vie. Tous veux qui ratent leur vie se reconvertissent dans le journalisme ; ce qui explique en partie la médiocrité des productions des médias sénégalais.» C’est déroulant ma page Facebook le 15 avril dernier que je suis tombé sur ce constat d’un journaliste respectable, Ibrahima Sarr, directeur du Centre d’études des sciences et techniques de l’information (Cesti, institut de journalisme de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar). La réflexion est si véridique qu’on n’a même pas besoin d’y rajouter quoique ce soit. C’est à l’aune des profils des stars, mais aussi des soutiers qu’on mesure la véracité des propos de Sarr. Il y a tout dans cette presse. Et les dérives les plus honteuses sont, en général, le fait triste de ces « Till l’Espiègle » reconvertis en journalisme après avoir tout essayé et tout échoué. C’est là une tare que le journalisme devra porter, porte comme étant sa propre malédiction.
Certes, le projet de nouveau code ouvrirait un portique de sécurité plus strict à l’entrée, mais mettrait plus de rigueur et d’ordre à l’entrée d’une profession desservie par un excès d’ouverture. Ce n’est pas un défaut que d’être ouvert, mais le mal c’est de s’être ouvert avec démagogie et calcul mesquin : tel est reconverti en journaliste parce qu’il a un bagout qui fait de l’audience. Et au bout de l’opération, ce coopté devient une créature de Frankenstein ; laquelle, échappant à son créateur, sème mort et désolation au point de discréditer la science, de s’interroger sur la finalité de la science elle-même. La fin ne saurait justifier les moyens.
Rien ne gêne quand un médecin à l’expertise avéré et à la pertinence indiscutable se reconvertisse au journalisme spécialisé, mais ce n’est pas de tels exemples qui ont motivé la réflexion de Sarr ; ce dernier est plutôt dégoûté par les pratiques de ces individus sans aucun bagage qu’on a commis l’erreur de faire des journalistes et qui, une fois ayant accédé à cette profession si enviée, ne sont pas du tout soucieux de l’exercer de manière honnête. Cependant, ne jetons pas la pierre à eux seulement ; des journalistes formés à la bonne école, à l’école respectable sont devenus des « mangeurs d’herbe », pour user d’une métaphore prisée par ceux qui connaissent bien ce type de régime alimentaire insolite pour un journaliste.
L’actualité internationale a-t-elle un intérêt pour la presse sénégalaise ? Rares sont les journaux sénégalais cités à la revue de presse des radios étrangères comme Rfi : les journaux et sites qui tiennent le haut du pavé, ce sont les titres de Guinée (Guinée Conakry Infos) et burkinabès (Bendre, l’Observateur Paalga). Des analyses et commentaires respectables par leur pertinence. Ce n’est pas que la presse sénégalaise n’ait pas leurs experts. C’est que la presse sénégalaise a choisi d’être casanière… alors que les rubriques « Internationale » de journaux comme Le Soleil avaient compté.
« Victimes de leur culture provincialiste, les journalistes choisis, ont aussi oublié l’actualité internationale et surtout régionale et africaine », déplore l’éditorialiste du quotidien Le Témoin en faisant allusion à l’entretien-fleuve entre le chef de l’Etat et des journalistes sénégalais à Kaffrine. Momar Seyni fut un orfèvre du desk « International » du quotidien L<e Soleil ; dont on n’oublie pas du tout sa vigoureuse passe d’armes avec l’ambassadeur des Etats-Unis d’alors, Charles Bray, après son commentaire percutant sur le minage des ports nicaraguayens par les Etats-Unis pour étouffer le régime sandiniste. Dans les rédactions, il y a des aptitudes pour traiter l’information internationale, la commenter, l’analyser… Le public (lectorat, téléspectateurs et auditeurs) a droit à des commentaires et analyses qui lui fassent mieux comprendre les enjeux de telle actualité internationale.
Jean Meïssa DIOP