BAISSE INSIGNIFIANTE, INCOMPLETE ET TARDIVE DU COUT DE L’ENERGIE AU SENEGAL
Les cours du pétrole ne cessent de plonger, atteignant de nos jours le niveau historique de 30 dollars le baril, alors qu’il en valait 120 dollars en 2009, soit une variation de -90 dollars le baril dans la période 2009, 2015.
Le repli est absolument considérable, mais, il faut surtout relever le fait que cette baisse tendancielle avait déjà commencé dès l’année 2008, coïncidant avec l’essor de l’exploitation du pétrole de schiste aux Usa et plus tard au Canada, en Russie, en Australie, en Argentine ou au Mexique. La substitution progressive des hydrocarbures dites conventionnelles par le pétrole et le gaz de schiste s’amplifie davantage dans le monde .Au vu de la grande amplitude de ce phénomène inédit apparu ces cinq ou six dernières années, la tendance baissière qui devient structurelle, préoccupe le monde économique dans le sens d’une forte déflation généralisée des prix, comme le fût le quadruplement du prix de l’or noir avec le premier choc pétrolier en 1973.
Indubitablement, cette baisse structurelle va changer la donne économique mondiale des décennies antécédentes au cours desquelles le coût exorbitant de l’or noir constituait une des principales causes des crises et dérégulations économiques de nombre de pays dans le monde, ainsi que le blocage du développement et l’accroissement de la pauvreté dans les pays à faible revenu non producteurs de pétrole. Aujourd’hui, grâce à la conjugaison de plusieurs facteurs favorables, nous subissons un antichoc pétrolier avec le concours de l’exploitation du pétrole de schiste, au point qu’en 2012, plus de 4 000 nouveaux puits de production ont été mis en service aux Usa et au Canada.
Il s’y ajoute que le pétrole de schiste a l’avantage d’être un pétrole léger dont les coûts d’exploitation sont sans commune mesure, comparativement aux gisements off shore du pétrole classique. C’est dire que le pétrole classique apparaît comme une source d’énergie en constante perte de vitesse, appelée à être remplacée non seulement par le pétrole de schiste, mais aussi, par le solaire, l’hydroélectricité, l’éolienne ou les agro-carburants avec les problèmes d’environnement qu’imposent de plus en plus l’utilisation des sources d’énergie renouvelables.
De plus, la mise en exploitation de nouveaux gisements de pétrole en mer du Nord norvégienne et en mer très profonde au Brésil ou dans d’autres parties du monde, ainsi que l’exploitation des sables bitumineux du Canada et la reprise des exportations du pétrole Iranien, accroissent d’autant l’offre mondiale de pétrole et l’éventail des sources d’approvisionnement. Si bien que les prix du pétrole dégringolent à une vitesse vertigineuse dans un marché mondial assommé par une surabondance de l’offre mondiale devant des perspectives de demande en chute avec la baisse sensible des importations chinoises.
A partir du moment où la composante énergie de l’indice des prix à la consommation est particulièrement sensible à l’évolution des prix du pétrole, nous devrions connaître une baisse subséquente des coûts de production et une hausse appréciable du revenu des ménages, donnant une plus grande opportunité à l’investissement et à l’amélioration de la situation extérieure des pays non producteurs comme le Sénégal. Cependant, les effets de cette chute peuvent se traduire aussi dans des pays comme le nôtre à forte pression fiscale sur les produits énergétiques par une réduction des recettes fiscales, mais, l’Etat devrait profiter de ce repli pour réduire les subventions et utiliser les montants épargnés dans des dépenses mieux ciblées et plus productives .
A n’en pas douter, cette forte baisse des prix du pétrole qui a tendance à se maintenir dans le long terme aura un impact considérable sur la vie des populations dans des pays comme le Sénégal avec une meilleure compétitivité des entreprises, si l’Etat veille à une répercussion proportionnée des variations, en évitant de profiter d’une situation de rente. Toutefois, pour certains pays producteurs qui n’ont pas assez diversifié leur économie comme le Nigeria, l’Algérie, la Libye, l’Angola, le Soudan ou le Tchad qui commencent d’ailleurs à avoir des difficultés économiques énormes, cette chute va se traduire par des chocs financiers importants et une baisse du niveau de vie des populations et des problèmes sociaux, toute choses restant égales par ailleurs.
De même, des hypothèques pourraient peser sur l’exploitation de nouveaux gisements offshore découverts en RDC et au Sénégal, avec la chute drastique des cours du pétrole pouvant provoquer des problèmes de rentabilité par rapport aux coûts d’exploitation rapportés aux réserves prouvées. Les récentes baisses au Sénégal du prix des produits dérivés du pétrole tels que l’essence, le gasoil et le gaz butane de l’ordre de moins de 10% par rapport aux prix antérieurs, sont loin d’être à la mesure de la chute du prix du baril du pétrole sur le marché international, en plus du fait que le prix de l’électricité n’a pas connu une évolution à la baisse.
L’état du Sénégal sur ce plan devrait avoir une approche plus économique que financière des problèmes en évitant de profiter de situations de rente pour miser sur la baisse des couts et le développement et la compétitivité de l’économie sénégalaise. Car, plus l’état du Sénégal se met en situation de rente financière en jouant sur les prix des hydrocarbures qui sont même à la base des couts de production et des couts de transaction et partant de la compétitivité des entreprises sénégalaises, plus l’économie réelle en pâtit ; Cependant, l’état du Sénégal pourrait sensiblement accroitre ses ressources financières, non pas en amont ou à l’entrée ,en maintenant une pression fiscale élevée doublée d’une situation de rente sur les pris des hydrocarbures, mais en aval ,en luttant contre les évasions fiscales avec la formalisation du secteur non structuré et l’élargissement de l’assiette fiscale consécutif à la baisse sensible des couts sur l’énergie .
Le temps est venu de profiter du contexte international très favorable pour induire une diminution généralisée et notable du niveau des prix et de mettre le coût de l’énergie au Sénégal à un niveau de compétitivité au moins proche de celui en cours dans notre environnement économique régional et sous régional.
Kadialy Gassama
Economiste
Rue Faidherbe X Pierre Verger
Rufisque